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A cette dépêche était jointe la nomenclature des objets qui devaient composer mon trousseau, et dont je crois devoir donner le détail :

Neuf chemises de cretonne.

Neuf paires de bas de coton de couleur.

Neuf mouchoirs de poche.

Six bonnets de nuit.

Neuf cravattes blanches.

Une cravatte en soie noire.

Deux paires de souliers.

Une boîte à graisse pour les souliers.

Une brosse à habits.

Un peigne à décrasser.
Un tire bourre.

Une Epinglette.

Un tournevis.

Un couvert en argent.

Une timbale ou gobelet en argent.

Uu havre-sac.

Un Etui de mathématiques.

Une Equerre.

Un habit, une veste et deux culottes de drap bleu.

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Il me serait impossible de dire quelle fut ma joie ou plutôt mon délire à la réception de cette lettre. Cependant, après le premier moment d'enthousiasme, je me pris à réfléchir que j'allais quitter pour longtemps ma mère, mon père, mes amis, ma ville natale, et je fus saisi d'un réel sentiment de tristesse. Mais cette sensation ne fut pas de longue durée; la joie de porter un uniforme, les illusions que je me faisais sur le séjour de Saint-Cyr eurent bientôt dissipé cet accès de mélancolie, et ce fut presque avec bonheur que je fis mes visites de départ.

Mon père m'accompagnait jusqu'à Saint-Cyr où je devais être rendu le 17 avril 1809. Nous partîmes donc pour Paris où nous séjournâmes quelques jours, puis, après avoir gagné Versailles et visité les principales curiosités, nous nous mîmes en route pour Saint-Cyr.

CHAPITRE I,

J'ARRIVE

Encore tout émerveillé de Paris et de Versailles, un peu étourdi par les fumées d'un bon diner que nous venions de prendre chez le Suisse du parc de cette dernière ville, je laissais avec insouciance rouler le modeste pot de chambre qui nous conduisait à Saint-Cyr.

Déjà, nous avions dépassé la grille qui ferme le grand parc, quand, tout à coup, derrière un mur d'enceinte assez élevé, j'aperçois un petit bâtiment surmonté d'un belvédère et couvert en ardoises. Je devinai ma prison et mon cœur commença à se serrer... Bientôt un vaste édifice se présente à l'extrémité d'une avenue de jeunes arbres, je vois une grande porte flanquée à ma gauche d'un pavillon pour le concierge, et audessus de laquelle je lis en lettres d'or sur une plaque de marbre noir :

Ecole spéciale impériale militaire

J'examine les dehors d'un œil curieux et inquiet; de hautes murailles, des portes solides, des fenêtres défendues par des barreaux et des treillages de fer: point de bruit, aucun mouvement, le silence et le calme de la solitude.

Toutes mes brillantes illusions viennent de s'évanouir aussi

promptes que l'éclair! je ne songeais plus qu'aux douceurs de la maison paternelle si imprudemment quittée; je pensais à ma bonne mère dont je ne recevrais plus les caresses, qui ne serait plus là pour veiller sur moi, m'entourer de ses soins, de sa tendresse, et ne s'occuper que de mon bonheur; au lieu de ces jours heureux, libres et paisibles, mon imagination subitement glacée ne m'offrait plus qu'une triste et dure captivité.

. La voiture s'arrêta au bout de l'avenue. Morne et pensif, je descends machinalement sans mot dire. Mon père s'aperçoit du changement qui vient de s'opérer en moi. Il devine facilement la cause de ma consternation. Ecoute, me dit ce bon père, il en est temps encore, retournons si tu veux. A ces douces paroles, je me sens ranimé; l'espoir revient; je suis prêt à me jeter au cou de mon père, à remonter dans le fiacre... Mais quoi! Revenir dans ma petite ville après avoir marqué tant de joie de la quitter ! Renoncer à une admission si longtemps, si impatiemment attendue, sollicitée, je le dis en rougissant, malgré les représentations, les conseils, les vœux de mes excellents parents! Me montrer ainsi faible, inconstant, incertain....

Impossible, que penserait-on de moi ? On me tient pour un assez mauvais sujet déjà, et ma mère a tant pleuré de mes petites fredaines! Allons, il faut se résigner.

Mon père attendait ma réponse: je compose mon visage; non, lui dis-je, je suis content. La voiture part et va attendre à l'auberge mon père et un de mes cousins qui nous avait accompagnés.

Nous passons la première porte et entrons dans une deuxième avenue fermée à gauche par une muraille très élevée, à droite par un long corps de logis. Des jeunes gens, en bonnets de coton, en larges capotes de laine blanche regardaient à travers les barreaux et les grillages des fenêtres. Un conscrit ! s'écriaient-ils. Leurs cris attirent à une des croisées une femme vêtue de noir, la tête couverte d'une ample coiffe blanche. C'était une sœur hospitalière, et les jeunes gens, les malades de l'hôpital.

Au milieu de ce corps de logis, nous trouvons une seconde porte soigneusement fermée qui s'ouvre au son d'une grosse cloche dont nous tirons la chaîne. Nous entrons à gauche est le logement du portier; à droite, un salon qu'on nous dit être le parloir. Nous sommes dans une cour déserte; l'herbe y

croît entre les pavés, et le bâtiment qui la ferme en face de nous paraît inhabité et en mauvais état.

Une troisième porte à droite nous donne accès dans une petite cour carrée où quelques élèves sont exercés à la manœuvre de cinq à six pièces de canon. Ils nous regardent avec curiosité. Nous passons à côté d'eux et nous entrons dans un joli pavillon carré adossé au mur qui fait suite à l'alignement de l'hôpital, et que deux arbres flanquent à droite et à gauche. C'est dans ce pavillon que se trouvent le cabinet et le bureau particulier du général. Un petit homme ayant l'air fort important s'empare de nous, nous fait monter quelques marches, et après avoir traversé un vestibule, nous introduit devant le général.

Je vois un homme d'une taille élevée, d'une figure belle et sévère son front découvert, son regard ferme, sa tête bientôt chauve, ses favoris noirs et épais, sa jambe mutilée, son accueil un peu froid, son uniforme brillant décoré d'un ruban bleu et d'une rosette rouge, tout cela inspire le respect et une sorte de crainte dont on ne peut se défendre. Je me sens fort mal à mon aise. Il reçoit de mon père ma lettre d'admission, et m'adresse quelques questions pendant que son secrétaire m'inscrit sur un gros registre. Cela fait, il me donne un billet sur lequel je lis mon nom, mon numéro, la compagnie dans laquelle je dois entrer, les professeurs dont je suivrai les cours, et il nous congédie. Le petit homme reparaît, nous conduit dans la première cour au bureau du quartier-maître, où mon père paie mon trousseau et le premier trimestre de ma pension, puis à la lingerie, où une respectable matrone prend note de mon arrivée avec tout ce qui la concerne relativement à moi. De là, il faut aller à l'Economat; mais, arrivés à la porte de la cour du pavillon du général, le petit homme signifie à mon père et à mon cousin que je dois seul le suivre. J'obéis en silence. Nous traversons une troisième cour: une porte intérieure est gardée par un factionnaire devant lequel nous passons et qui m'apostrophe d'un Bonjour, conscrit ! Nous entrons dans un corridor et bientôt à l'économat. Là, on écrit de nouveau sur un registre, on me fait signer je ne sais quoi. Un grand homme à favoris noirs et habillé de bleu m'essaie des habits d'uniforme. On me donne une paire de souliers trop larges, des bas bleus, des guêtres noires, qui me coupent le jarret, une veste qui m'étouffe, un frac qui me serre étroitement et dont le collet bien agraffé me met au carcan; on pose verticalement sur ma tête un bonnet de police bleu liseré de rouge, on me met en

main un gobelet d'étain, une cuillère et une fourchette en fer battu; je prends sous mon bras les habits bourgeois que je viens de quitter et je cours rejoindre mon père et mon cousin. Celui-ci, en me reconnaissant se met à rire de me voir ainsi empêtré. Mais moi, je ne riais pas et je me repentais amèrement de n'avoir pas profité de la bonté de mon père en retournant avec lui. Nous faisons un tour ou deux dans la cour, et comme il est quatre heures et que ces messieurs doivent aller coucher à Paris, nous nous acheminons vers l'auberge où le fiacre attend. C'est là que se feront nos adieux.... Hélas! je ne peux plus sortir. Le portier m'arrête. Il faut dès à présent nous séparer. Je me jette dans les bras de mon père: je reçois ses derniers conseils et ses derniers embrassements. Je le charge des miens pour ma bonne mère, j'embrasse mon cousin, j'embrasse encore mon père... La porte se ferme sur eux et me voilà seul, séparé du monde, ignorant ce que je vais devenir, avec qui je dois vivre et n'ayant pas l'espoir de sortir de l'Ecole avant deux ou trois ans.

CHAPITRE II.

MON ENTRÉE

Tristement préoccupé, je traverse lentement toutes les cours où j'avais déjà passé et j'entre dans le corridor de l'économat. Le factionnaire m'indique le chemin, au bout du corridor, je descends sept à huit marches, et j'arrive dans la cour des jeux où mes futurs camarades étaient rangés sur trois lignes, chaque compagnie ayant en face d'elle son sergent commandant, qui en faisait l'appel.

Serré dans mes guêtres, dans ma culotte, dans mon gilet, dans mes habits, dans ma cravate, raide comme un bâton, et mon bonnet de police droit sur ma tête comme un éteignoir sur une chandelle, tenant d'une main ma timbale et mon couvert, et de l'autre mon billet d'entrée, je m'avance gauchement le long de ce front formidable d'où partent bientôt mille apostrophes. Eh! conscrit! où vas-tu donc? - Comment t'appellestu? - Quel est ton pays?· Ton numéro? - Embarrassé, étourdi de ces interpellations; je répondais et montrais mon billet à chaque sergent qui, après y avoir jeté un coup d'œil rapide, me répondait laconiquement: Plus loin, conscrit; et moi, de cheminer, cherchant après la troisième compagnie.

Je la trouve enfin, son commandant reçoit mon billet, ins

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