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carême, dix-neuviéme jour de mars mil sept cens deux, âgé de cinquante et un ans et quatre mois, étant né le quatorziéme jour de novembre mil six cens cinquante, aprés la mort de Guillaume de Nassau X° de ce nom, prince d'Orange, mort le sixiéme de novembre de la même année mil six cens cinquante, âgé de vingt-quatre ans, laissant son épouse Henriette Marie d'Angleterre (fille de Charles Ior et de Henriette Marie de France, roy et royne d'Angleterre) grosse de Guillaume, l'ennemy de la France.

Monsieur l'abbé

petite digression

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que nous venons de quitter par une avoit actuellement la fiévre quarte (selon le rapport du sieur Louis Marotte, son valet de chambre et procureur fiscal de la justice d'Orbaiz), et ayant été surpris par l'attaque inopinée des ennemis, à laquelle on ne devoit nullement s'attendre si on avoit eu affaire à un ennemi de bonne foy, mais le prince d'Orange en a-t-il jamais eu? moins en cette occasion, puisqu'il y avoit un traitté de paix fait et signé réciproquement de part et d'autre1, — ayant été, dis-je, surpris et n'ayant pu prendre sa côte d'arme, qui auroit paré le coup fatal qui luy fut porté, il monta précipitamment sur le premier cheval qu'il trouva à la main, plus attentif à son devoir qu'aux violentes ardeurs de la fiévre, et se rendit à son poste pour recevoir les ennemis. Monsieur de Luxembourg se reposant sur la bonne foy de ce traitté danssa poche, se délassoit de ses fatigues précédentes et se divertissoit à table avec les officiers généraux dans le logis abbatial de Saint-Denis 2, lorsqu'on vint luy dire jusqu'à trois fois que les ennemis étoient à la portée du canon, et que même son arriére-garde commandée par Monsieur de Choiseul étoit aux prises avec le prince d'Orange, qui, chagrin et au désespoir de ce traitté qui lui ôtoit les armes des mains, finissoit une guerre qui le faisoit considérer des alliez et avançoit un repos trop préjudiciable à ses intérests, feignit malicieusement et contre sa propre conscience d'ignorer ce traitté de paix dont luy-même

1. [La paix avait été signée à Nimègue, entre la France et la Hollande le 10 août 1678, à onze heures du soir.]

2. [« Le maréchal de Luxembourg, qui bloquait Mons, venait de rece« voir la nouvelle de la paix: il était tranquille dans le village de SaintDenis, et dinait chez l'intendant de l'armée.» (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. XIII.) La Gazette de France dit qu'il a entendoit la messe. >> L'abbaye de Saint-Denis se trouvait à une lieue et demie environ au nordest de Mons. C'était dans cette abbaye que le maréchal de Luxembourg avait placé son quartier général en avant et sur la droite de son armée.]

étoit porteur, et commença dés lors à agir dans toutes les occasions avec cette mauvaise foy, les fourberies et les perfidies qui ont fait son véritable caractére et reglé toute sa conduite jusqu'au dernier soupir de sa vie. Notre général toujours présent à soy et sans s'embarrasser de la supercherie de Guillaume de Nassau, monte à cheval, met son armée en état de recevoir et de repousser vigoureusement l'ennemy autant que le tems et la situation du terrain où il étoit campé le permettoient, et par sa contenance, sa prudence et son courage, il fit éprouver dés cette premiére occasion où ils mesuroient leurs armes ensemble, au prince d'Orange que soit qu'il eût dans la suite le courage de venir à luy en brave et de bonne guerre, ou plutôt que, dépouillant tout honneur et toute honte et se faisant un front à toute épreuve, il vînt à luy en fourbe et en lâche, il luy apprendroit toujours qu'il n'étoit qu'un jeune homme et un petit apprentif dans le mêtier de la guerre. Le prince d'Orange a bien fait l'expérience de cette espéce de prophétie dans les batailles de Steenkerck, de Nervinde1, d'où il ne se retira du champ de bataille qu'aprés la perte de toute son artillerie, et avec les tristes debris de ses armées, redevable luy-même de son salut à la bonté et à la course de ses che

vaux.

Mais laissons là cet infortuné politique qui est allé rendre compte, il y a plus de trois ans, à un juge aux lumiéres et à la justice duquel rien n'échappe, pour dire que Monsieur d'Esclainvilliers se trouvant au milieu du plus grand feu des ennemis, il choisit et coucha en joue un des premiers de leurs officiers; mais son pistolet ayant manqué, son adversaire,

ayant échappé par ce défaut, luy tira son pistolet dont les Mr l'abbé blessé balles l'ayant percé au défaut des côtes, renversé sur son che

val et se sentant hors d'état de combattre et blessé à mort',

1. Le maréchal de Luxembourg vainquit Guillaume III à Steinkerque le 3 août 1692, et à Nerwinde le 29 juillet 1693.1

2. [Dom Du Bout a dû écrire ces lignes en 1705.]

3. [Il paraît qu'à la bataille de Saint-Denis-sous-Mons le prince d'Orange faillit être pris par d'Esclainvilliers qui le serra do fort près. De Quincy. Hist, milit. du règne de Louis le Grand, t. I, p. 594. Sur Timoléon d'Esclainvilliers, frère aîné de l'abbé d'Orbais, cf. ibid. p. 157 et 198. - V. la relation du Combat près de Mons » imprimée dans le Mercure Hollandois, Amsterdam, 1680.]

4. [ Pendant que les bataillons français rectifient leur ligne sous le com<< mandement de leurs officiers, un escadron du régiment de Tilladet, con<duit par le chevalier d'Esclainvilliers, défile rapidement entre les intervalles, se déploie en avant et charge; deux escadrons des gardes du roi

à mort.

il se retira et se fit porter au quartier de Monsieur de Montalte auprés de Mons', pour faire mettre le premier appareil à sa blessure, et de là dans l'abbaye de Saint-Ghislain, à trois [lisez deux] lieues de Mons2; où estant arrivé il pensa d'abord sérieusement à mettre ordre aux affaires de son salut par la reception des saints sacremens, témoignant un grand regret d'avoir offensé Dieu, des différens qu'il avoit eus, et de la conduite qu'il avoit tenue à l'égard des religieux d'Orbaiz, et pour marques du regret sincére qu'il en ressentoit et de la confiance entiére qu'il avoit en leur amitié pour luy, nonobstant ce qu'il avoit fait contre eux, et en leurs priéres et leur credit auprez de Dieu, il témoigna qu'il auroit fort souhaitté que son corps fût inhumé dans l'église de cette abbaye, afin que sa présence les engageât à prier Dieu pour luy plus assidûment et plus longtems. Mais comme il se trouvoit arrêté dans une abbaye du même ordre, et qu'il étoit trop éloigné d'Orbaiz, il aima mieux qu'on emploiât en aumônes et en priéres la dépense qu'on auroit faite pour transporter son corps de Saint-Ghislain à Orbaiz; il demanda avec beaucoup d'instance et par grâce aux religieux de Saint-Ghislain d'être inhumé dans la petite chapelle du même saint devant le milieu de l'autel, proche le marche-pied; ce qui luy fut accordé. Il pria aussi qu'on donnât avis aux R. P. prieur et religieux de son abbaye de sa mort promptement, et qu'il mouroit avec la douleur de n'avoir pas toujours vécu en parfaite intelligence avec eux. Il fut assisté dans les derniers momens de sa vie par le R. P. Dom

<< d'Espagne viennent à sa rencontre, ils sont renversés; les chevaux-légers « lancés à fond de train traversent encore deux lignes d'infanterie, et, leur « charge fournie, reviennent par le même chemin ; malheureusement, le << chef audacieux qui les avait entraînés, le chevalier d'Esclainvilliers, « tombe frappé à mort....» Hisioire de Louvois par Camille Rousset, 4o édition, t. II, p. 526.]

1. [Le comte de Montal, l'un des deux commandants du corps de blocus de Mons, avait son quartier au Nord de la ville, vers la rivière de la Haisne. Les troupes françaises se replièrent en avant de ce quartier pendant la nuit qui suivit la bataille de Saint-Denis.]

2. [Saint-Ghislain ou Saint-Guillain, petite place du Hainaut entre Mons et Condé, prise par les Français le 10 décembre 1677, rendue à l'Espagne après la paix de Nimègue. Elle tire son nom de l'abbaye qui y fut fondée vers le milieu du vir siècle (Gallia christ. III, 90) et définitivement démolie en 1798. Les Annales de Saint-Ghislain, composées par D. Baudry, se trouvent publiées en grande partie au t. VIII des « Monuments pour servir à l'histoire des provinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg »>, ap. Collection des chroniques Belges.]

Antoine Bougier', prieur du monastere de Saint-Martin de Fives', faux-bourg de Lille en Flandre, et supérieur de ladite abbaye de Saint-Guislain par ordre de la cour de France, à cause des intelligences et de l'attachement de Dom Jérôme des Maziéres, abbé de ce lieu, aux intérests des Espagnols, parmi lesquelz il s'étoit retiré; par le R. P. Dom André Chevrier3, procureur de l'abbaye de Corbie pour les affaires de Flandre, et par le R. P. Ficier, religieux dominiquain du couvent de Velly', françois et aumônier dudit régiment de Tilladet. Il mourut Mort de Mr l'abenfin vingt-quatre heures aprés sa blessure, entre huit et neuf heures du soir du quinziéme jour d'août mil six cens soixante dix-huit, âgé de quarante-six ans ou environ.

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Ledit Pere Ficier fit faire le lendemain ses obséques et paya pour tous les fraiz funéraux dix-neuf patagons de quarantehuit patarres ou sols chacun, monnoie de Flandre, qui font à notre monnoie de France dix-neuf écus à soixante sols, ou cinquante-sept livres, et vingt sols, monnoie d'Haynault, ou vingt-cinq sols de France, pour les fossoyeurs, suivant la quittance donnée audit Pere Ficier le seizième jour d'août audit an 1678, par Dom Ildefonse du Belloy, religieux et maître d'hôtel de Saint-Guislain, et ensuite abbé, aprés la mort dudit Dom Jérôme des Maziéres, dont voicy copie de l'original donnée à Dom Nicolas du Bout par ledit sieur Louis Marotte et laissée dans le chartrier :

1. [D. Antoine Bougier, né à Guise, diocèse de Laon, avait fait profession dans l'archimonastère de Saint-Remi de Reims le 19 juin 1656, à l'âge de 22 ans. Il mourut à l'abbaye de Saint-Pierre de Corbie le 1 avril 1690.]

2. [Saint-Martin de Fives (Nord), ancien prieuré bénédictin fondé vers 1104 par Herman, chanoine de Lille, et dépendant de l'église Saint-Nicaise de Reims. Migne, Dict. des abbayes, col. 501.]

3. [D. André Chevrier, natif de Saint-Dizier, diocèse de Châlons, fit profession à Saint-Remi de Reims le 17 août 1646, à l'âge de 19 ans. Il mourut en Flandre le 9 avril 1702.]

4. VAILLY (Veilly, Vesli, Vaesli, etc...), auj. ch. 1. de cant. (Aisne), arr, de Soissons, possédait autrefois un couvent de Jacobins qui ne comp→ tait plus qu'un religieux à l'époque de la Révolution. Melleville, Dictionn. histor. du départ. de l'Aisne, in-8°, t. II, p. 242.]

5. [Sur l'historique du régiment de Tilladet consulter l'Histoire de la cavalerie française par le général Susane (3 vol. in-12, Hetzel, 1874), t. III, p. 228 et suiv.]

6. [Sous cet abbé (1649-1681) ailleurs dénommé Marlière ou Marlier, la communauté eut beaucoup à souffrir des maux de la guerre. V. Histoire de la ville de Saint-Ghislain par G. J. de Boussu, p. 197 et 273, Mons, Michel Varret, 1737, in-12.]

bé le 14 ou 15 août 1678.

Vacance du

1678.

« Je soubsigné, maître d'hostel de l'abbaye de Saint-Ghis« lain, atteste d'avoir reçû du Révérend Pere Ficier, bachelier

de la sainte theologie et aumônier de Monsieur Tilladé, la « somme de dix-neuf patagons pour les exéques de Mr de Clainvilliers. Fait audit Saint-Ghislain, ce seizième aoust « 1678. Signé Dom Ildefonse du Belloy.

« Sy a été aussi payé par ledit Révérend Pere Ficier au fossier de Saint-Ghislain vingt sols monnoie de Haynault. Signé « Dom Ildefonse du Belloy. »

On dira icy par occasion que Dom Ildefonse du Belloy étant abbé et allant à Mons, le cheval, qui le portoit, s'abatit sous luy et le tua'.

Dez aussi-tôt que le R. P. prieur et les religieux anciens et réformez d'Orbaiz apprirent la mort de leur abbé, ils s'acquitérent avec toute la diligence et toute la solennité qu'ils purent des devoirs, offices et priéres ordinaires qu'il s'estoit promis de leur charité.

On n'a pu découvrir par quel motif il en avoit agi un peu siége abbatial. durement pendant sa vie avec ses religieux d'Orbaiz: on ne veut pas croire que ç'ait été par des vues et des intérests temporelz, puisqu'on sçait de plusieurs personnes trés dignes de croyance qui l'ont pratiqué longtemps, qu'il estoit extrêmement généreux, desintéressé, se faisant un vray plaisir de servir et d'obliger tout le monde, refusant toujours généreusement les présens qu'on lui offroit pour obtenir de lui des grâces, ou pour reconnoître celles qu'il avoit déjà accordées, et rebutant fiérement ceux qui insistoient pour les luy faire enfin accepter.

Ces mêmes personnes nous ont aussi dit que quoique Monsieur le marquis d'Esclainvilliers fût chargé ordinairement de la conduite d'un régiment, il se déroboit neantmoins adroitement aux compagnies des officiers pour assister exactement et dévotement à la sainte messe, aussi bien que pour réciter son office ou breviaire, ce qu'il faisoit fort exactement autant que

1. [D. Ildefonse de Belloy, mort d'une chute de cheval le 9 septembre 1687, était abbé de Saint-Ghislain depuis l'année 1681.]

2. [Sur les services militaires de plusieurs membres de la famille d'Esclainvilliers et sur le régiment qui portait ce nom, voir: Général Susane, Histoire de la cavalerie française, t. I, p. 54, 109 et s., 138, 152; t. II, p. 26 et s., 46 et s., 123 et s.; t. III, p. 134, 173, 206. Pour la généa– logie, voir à la Bibl. nat., Cabinet des titres, dossier bleu (Séricourt), nos 16109 et 16110.]

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