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famille Lemonnier de la Jourdonnière. Il prit le jeune étudiant sous sa protection et fit, à diverses reprises, des démarches, soit auprès de l'évêque du Mans, M. de Froullai', soit auprès de l'évêque de Soissons, pour obtenir qu'on lui fit grâce du séjour au séminaire qu'il semblait redouter si fort. Mais les deux prélats refusèrent de faire cette concession.

Les lettres adressées à sa mère par M. de la Jourdonnière pendant l'année 1755 sont entre nos mains; il y est longuement parlé de ces négociations.

Nous ne possédons aucune lettre de M. de la Jourdonnière portant la date de 1756 à 1765 et nous ignorons ce qu'il devint pendant ces neuf années. Nous savons seulement, par le rapprochement de certains détails contenus dans des lettres postérieures, qu'il dut aller passer quelques années, comme élève du séminaire sans doute, à Luçon, dont l'évêque était, paraîtil, moins opposé que les autres prélats aux idées jansénistes, et où il fut ordonné prêtre.

Il était revenu à Paris dans la pension de M. Savouré, lorsqu'il se décida à accepter la situation de principal du collège de Châlons-sur-Marne qui lui avait été offerte par l'évêque d'après la lettre que nous publions un peu plus loin.

Le 11 septembre 1765, Mme de la Jourdonnière écrit, à son fils :

« Si je n'avais consulté que la chair et le sang, mon cher fils, je me serais opposée de toutes mes forces à ce changement, mais la volonté de Dieu doit être notre règle, tu lui appartiens plus qu'à moi. Tu es prêtre pour l'église, il importe [peu] quelles fonctions y exercer, pourvu qu'on la serve et qu'on soit dans la place où il paraît qu'il [Dieu] te veut, et j'espère qu'il applanira toutes les difficultés qui se sont trouvées; il l'a fait partout à ton égard et je l'attends encore de sa bonté. >

M. de la Jourdonnière partit pour Châlons, le 17 septembre, et s'empressa, quelques jours après son arrivée, d'annoncer à sa mère la façon dont il avait été reçu. Celle-ci lui répond le 6 octobre.

« J'ai reçu ta lettre, mon cher fils, avec bien du plaisir. Je ne l'attendais pas plus tôt que mercredi. Il fallait bien avoir quelque chose à nous dire des habitants du pays et de la façon

1. Charles-Louis de Froullai, né en 1687, nommé évêque du Mans en 1723, mort en 1767.

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dont tu y as été reçu. Ce qui m'a consolé dans cette affaire, c'est l'entrevue de l'évêque. Enfin, c'est à celui qui tient les cœurs dans sa main et qui les fait mouvoir comme il veut que nous sommes redevables de ce changement'. Comme ton voyage à Châlons est son ouvrage, j'ai toujours eu la confiance qu'il applanirait toutes les difficultés qui pourraient se rencontrer. »

Après lui avoir donné quelques conseils sur les soins à prendre pour les enfants qui lui sont confiés, elle lui demande des renseignements sur la ville qu'il va habiter.

Tu ne me parles point de la promenade du Jard, j'ai vu dans le Dictionnaire géographique qu'elle est la plus belle de France; s'il a menti, tant pis pour lui. »

Enfin elle s'inquiète de sa santé à cause de l'épidémie qu'il lui dit régner à Châlons.

La dissenterie que tu dis être à Châlons m'inquiète, sans que tu n'es pas fort sur les fruits. Le raisin qui n'est pas mûr est propre à la donner. »

Bien reçu à Châlons, où il succédait à un M. Jaquin qui, paralt-il, avait laissé le collège dans un assez grand désordre', M. de la Jourdonnière s'empressa de s'installer. Puis il s'occupa de porter la réforme dans cet établissement, en changeant les maîtres qui ne lui convenaient pas et en expulsant les élèves qui avaient une mauvaise conduite.

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Il devait diriger ce collège pendant au moins sept années et ne le quitta que pour revenir à Laval où il avait été nommé chanoine du chapitre de Saint-Tugal, à une date que nous ignorons.

Toutefois, cette nomination ne dut pas être de beaucoup postérieure à l'année 1772, car, dans sa lettre du 28 novembre de cette année, la dernière que nous possédions, il dit n'avoir pas besoin de faire de grandes provisions pour le collège de Châlons, ce qui semble établir qu'il s'attendait à le quitter prochainement.

La correspondance que nous possédons se divise en trois séries.

1. Antoine-Eléonore-Léon Leclerc, de Juigné, évêque de Châlons de 1764 à 1781, époque à laquelle il fut nommé archevêque de Paris.

2. Ce M. Jaquin fut sans doute le premier principal du collège de Châlons, lorsque la direction de cet établissement eut été retirée aux jésuites en 1763.

La première comprend douze lettres adressées à sa mère, pendant l'année 1755, par M. de la Jourdonnière, alors professeur à Paris chez M. Savouré.

La seconde se compose de trente lettres de Mme de la Jourdonnière à son fils, la première datée du 11 septembre 1765, à l'époque où il va prendre la direction du collège de Châlons, et la dernière du 5 août 1768; plus une lettre unique du 7 décembre 1770.

Mme de la Jourdonnière écrit chaque mois à son fils qui lui répond dans le même délai. Chaque lettre coûtait à cette époque quatorze sous de port et c'était sans doute par raison d'économie qu'ils ne s'écrivaient pas plus souvent. Mais les lettres du fils nous manquent, et celles de sa mère, posant des questions dépourvues de réponses, ou donnant son appréciation sur des faits dont le récit nous fait défaut, ne nous paraissent offrir que bien peu d'intérêt pour l'histoire du collège de Châlons.

Il y est bien question de difficultés que M. de la Jourdonnière a eues avec l'évêque, auquel des parents étaient allés se plaindre que leurs enfants eussent été chassés du collège (lettre du 14 février 1766); ou avec d'autres parents qui viennent en personne quereller le principal pour le même motif (lettre du 3 septembre 1766); ou encore avec les membres du bureau d'administration qui craignent qu'en se montrant trop sévère, on n'éloigne les élèves (lettre du 16 mai 1766); ou enfin avec les professeurs et les élèves (lettre du 11 mai 1766, 9 octobre 1767, etc...); mais toujours sans aucuns détails sur les incidents auxquels il est fait allusion1.

Enfin, la troisième série comprend cinq lettres adressées par M. de la Jourdonnière à sa mère, du 30 avril au 28 novembre 1772. Celles-ci sont les plus importantes et ce sont les

1. D'autres parents viennent au contraire remercier M. de la Jourdonnière des bons soins qu'il a donnés à leurs enfants, et l'un d'eux même offre à celui-ci une montre en or (lettre du 5 juin 1767).

Il est aussi question dans ces lettres d'un Monsieur de Bugarel, subdélégué de l'Intendant, au sujet d'une pension annuelle de 400 livres servie par ce personnage à un abbé Jardrin qui habite Laval, probablement encore un chanoine du chapître de Saint-Tugal, après avoir été pendant onze ans attaché à sa maison, en qualité de précepteur sans doute; et d'une dame Guériol de Belseaux qui habite Châlons avec un de ses fils, receveur des tailles en cette ville, et dont le second enfant est contrôleur des actes à SainteSuzanne, près Laval; ce sont les seules personnes de Châlons dont nous ayons rencontré les noms dans cette correspondance.

seules dont nous ayons cru devoir copier quelques extraits qui nous ont paru mériter la peine d'être recueillis.

Chaalons, le 30 avril 1772.

Il a neigé ici le lundi de Pâques, et le froid n'a cessé qu'hier. Heureusement nous n'entendons point dire que les vignes de Champagne aient souffert, mais on dit celles de Bourgogne très maltraitées. J'ai un nouveau pensionnaire qui fait le dix-huitième. Il a été volé dimanche dans notre maison une somme de cent livres au maître des pensionnaires. Cette affaire me donne bien du soin. Je n'ai pu jusqu'ici avoir que des soupçons. Ce matin une personne connue est venue trouver ce maître de la part d'un prêtre qui n'a pas voulu être nommé et lui a annoncé qu'il était inutile de faire des perquisitions et que la somme lui serait rendue par parties attendu qu'elle était déjà dépensée. Ce qui fait aujourd'hui ma peine, c'est qu'en dépit du bon sens plusieurs régents veulent obliger ce maître à attaquer en justice le monsieur qui a fait la déclaration, à ce qu'il soit tenu de nommer le prêtre, et le prêtre lui-même pour déclarer si c'est par la confession qu'il a eu connaissance du vol. Ils paraissent si entêtés là-dessus que j'ai tout lieu de craindre de leur part un éclat aussi irrégulier qu'inutile pour leurs fins.

«Le curé en titre de l'Hôtel-Dieu de cette ville voulant obliger les sœurs qui sont séculières d'aller à confesse à lui et étant requis, suivant l'usage de ce diocèse, de leur donner par écrit la permission de s'adresser pour Pâques à leurs confesseurs ordinaires, avait mis sur leurs billets qu'il leur permettait d'aller à quatre confesseurs qui leur seraient désignés. M. l'évêque a essayé de le soutenir en engageant les sœurs à s'y prêter. Mais les administrateurs ont pris une délibération en conséquence de laquelle le curé a été averti de se conformer aux usages reçus, d'accorder une permission générale et de ne rien faire qui puisse troubler la paix qui a toujours existé dans la maison. Le curé a donné de nouveaux billets et sollicité inutilement pour que la délibération fut biffée. »

Chaalons, le 28 mai 1772.

..... On vient d'enterrer ici trois personnes de la même maison, dont deux encore sont à l'agonie. C'est l'effet de l'arsenic. On prétend qu'ils s'en étaient servis pour détruire des rats et qu'un de ces animaux avait bu dans un pot où ils

avaient ensuite pris de l'eau pour faire leur soupe. D'autres soupçonnent qu'ils ont été empoisonnés à dessein.

« On a enterré aussi ce matin un jeune officier à qui un de ses confrères enfonça avant-hier, en badinant avec lui, son épée avec le fourreau dans l'œil.

L'histoire du vol n'a point eu de suites parce qu'heureusement l'argent n'a point tardé à être rendu. Sans cela nos zélés auraient eu l'imprudence d'actionner celui auquel le prêtre s'était adressé.

« Le maître de mes pensionnaires pense à me quitter. Je souhaite seulement qu'il attende ces vacances, après quoi je ferai venir de Paris un jeune homme que j'ai élevé ici et que j'avais placé l'année dernière chez M. Savouré en qualité de maître, afin qu'il fit en même temps sa philosophie. Je n'ai pas eu lieu d'être trop content de M. Savouré qui, pour de très légers mécontentements, ou plutôt pour faire plaisir à un autre, l'a congédié à la fin de janvier. M. Moignon l'a recueilli chez lui et je lui donne un louis par mois pour se nourrir. Des amis à qui je l'ai adressé sont très contents de sa conduite. D'ailleurs il a du talent et j'espère que cela fera dans la suite un excellent maître et même professeur.

... Je suis bien charmé que M. du Mans' ait manifesté ses dispositions pacifiques. M. de Troyes en a fait autant dans la quinzaine de Pâqnes, mais plus militairement, ayant apostrophé par un B. un curé de la ville qui avait passé une fille à la Sainte Table et ayant envoyé un Cordelier pour donner pendant le reste de la quinzaine la Communion pascale. Cet évêque vient de condamner par un mandement de trois pages un livre d'un des avocats du Roy de Troyes dans lequel sont rassemblées toutes les hérésies et les systèmes des incrédules. M. de Chaalons nous a donné une instruction pastorale contre les derniers. Elle a 51 pages et est faite dans un très bon goût, à quelques endroits près, lesquels sont un peu louches. Cette réclamation en faveur de la religion ne peut que lui faire hon

neur. D

Chaalons, le 2 juillet 1772.

« Je suis si distrait depuis quinze jours que je ne sais si je pourrai venir à bout de finir cette lettre aujourd'hui. J'ai eu

1. Louis-André de Grimaldi, né en 1736, d'abord grand-vicaire de Rouen, puis de Pontoise, nommé évêque du Mans le 19 avril 1767, transféré à Noyon en 1779, mort à Londres en 1808.

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