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n'eus qu'à transformer le lieu et l'heure de la scène, le tout se passa assez bien. Il n'y eut que l'article de la maladie sur lequel je ne réussis pas. J'eus beau affirmer qu'elle n'existait pas, que je l'avais simulée pour venir en permission, mon éloquence échoua. C'était le seul point sur lequel j'avais dit la vérité, c'est le seul point sur lequel on ne me crut pas. Ce qu'il y a de plus plaisant, c'est que le vieux docteur C... fut mandé; que, malgré mes déclarations, il me soutint malade, m'indiqua un régime que je ne suivis point, m'envoya des drogues que je jetai par la fenêtre et déclara, au bout de quinze jours, que j'étais guéri, sur quoi il me bailla, sur papier timbré, et sa signature dûment légalisée, son certificat que je devais montrer au général, parce qu'il y recommandait, pendant quelque temps, la continuation de son régime.

Au bout de quelques jours, j'avais fait ma paix avec ma famille et je m'étais trouvé soulagé d'un grand poids en lisant, daus la lettre du général, la recommandation de ne me renvoyer à l'Ecole que quand je serais tout à fait guéri. Je n'étais donc pas chassé? En ce cas-là, rien ne m'empêchait plus de mettre mon temps à profit je me préparai à aller faire un tour et à visiter mes anciennes connaissances. Ou vas-tu, me dit ma mère ? Me promener. Attends, j'irai avec toi. Inutile, j'ai des affaires. seront longues.

Nous causerons.

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-

Je les ferai avec toi. -- Mais elles Cela ne fait rien. Tu t'ennuieras.

Le temps n'est pas sûr.

Tu prendras un parapluie. Tu seras fatiguée. Tu me donneras le bras. - Mais, ma mère... Pas de mais, ou tu resteras à la maison ou je te suivrai, et il en sera chaque jour ainsi. Arrange-toi en conséquence.

Ouais! Qu'est ceci? Autant vaudrait être resté à la caserne. Allons toujours, je saurai bien me délivrer de cette surveillance.

Je sors de la ville, j'arpente deux ou trois fois les promenades; ma pauvre mère, tout essouflée, n'en pouvant plus, me demande grâce et veut rentrer à la maison. Je la ramène sans rien dire et après diner, je lui propose une promenade de deux lieues. Elle refuse, bien entendu, veut m'engager à rester, mais j'ai besoin de prendre l'air; elle peut me suivre si elle le veut, je ne m'y oppose pas, mais il n'est pas juste que je m'emprisonne parce qu'elle ne peut plus marcher; le docteur m'a ordonné l'exercice. Je l'emporte, je sors et je sors seul !

Au bout de la rue, je tourne la tête par hasard, j'aperçois

mon père qui marche doucement à cinquante pas en arrière. Je change de direction, une fois, deux fois, trois fois...., il parait que les affaires l'appellent partout où je vais; toujours il est là, à cinquante pas derrière moi.

Le lendemain matin, le lendemain soir, le surlendemain matin, le surlendemain soir, mème répétition!.., je n'en saurais douter, je suis observé, suivi, éclairé... Quelle attention! Quelle douce confiance! et, par dessus le marché, les sermons, les réprimandes, les remontrances, les pleurs, les reproches, etc., etc.

Au diable! dis-je au bout de la quinzaine, je n'y saurais plus tenir, j'aime mieux retourner à l'Ecole.

On me prend au mot, on arrête ma place à la diligence, on me met sous la garde d'un jeune homme du pays qui retournait à Paris dans l'étude où il était clerc et dont la réputation était aussi bonne que la mienne était détestable. Mon père écrit au général et l'informe très exactement du jour où je pars, de celui où j'arriverai à Paris, de l'heure où je devrai être rendu à l'Ecole; il me fait lire sa lettre et, en ma présence, la met à la poste afin de m'ôter la fantaisie de séjourner à Paris. Je promis tout ce qu'on voulut ; j'embrassai tout le monde et je partis assez peu satisfait du succès de mon rêve et de la manière dont il s'était réalisé.

CHAPITRE XXI

RETOUR A LA CASERNE

Je ne parlerai pas des airs que je me donnai pendant la route, grondant les postillons de n'aller pas assez vite, embrassant toutes les servantes d'auberge, me faisant servir le meilleur vin, prenant sous ma protection une jolie demoiselle à laquelle j'avais cédé ma place d'intérieur, faisant enrager une vieille dame, chantant à tue-tête dans le cabriolet, fumant une pipe à chaque poste et lâchant des quolibets contre les passants.

-

Ah ça! tu vas partir pour Saint-Cyr, me dit mon Mentor en descendant dans la rue Notre-Dame-des-Victoires. Vraiment non, je n'ai garde. Que veux-tu donc faire? Rester à Paris. Mais le général qui est informé que tu dois arriver aujourd'hui. Il m'attendra. Et ton père ?

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Il ne

Et moi qui ai promis de te mettre en voiture?

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Qu'à cela ne tienne; tu n'as pas promis que je n'en descendrais pas aussitôt. Et ma surveillance? - Oh! je veux être sage. Mais quand partiras-tu? Je n'en sais rien. Je ne le quitte pas. Tant mieux, j'aime la compagnie, allons déjeuner.

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Nous prenons un fiacre qui nous mène avec le bagage de mon compagnon chez le patron de celui-ci et de là chez un restaurant du Palais-Royal.

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Promenons-nous, dis-je après le café, il faut prendre l'air. - Crois-tu que je vais te suivre dans tout Paris? - Non, je ne sors pas de cette enceinte ; c'est ici mon quartier général. -- Mais où veux-tu loger? Ici. Où coucheras-tu donc ? Ici. Je m'y oppose, et je dois te représenter... Oh, laisse-là tes représentations et viens faire une partie de billard à l'estaminet Hollandais.

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A cinq heures, nous retournons chez notre restaurateur, et de la nous allons passer la soirée au théâtre des Variétés.

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--

Maintenant nous allons nous retirer. Pas encore, allons chez Borel. Qu'y faire? Boire du punch et entendre le ventriloque. Et après ? Nous irons aux Aveugles. Et après? Nous verrons. Et mon surveillant ne me quitte pas, tant il a à cœur de s'acquitter de sa mission.

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J'espérais retrouver aux Aveugles l'honnête mouchard qui m'avait si bien échappé trois semaines auparavant. Mais il exerçait sans doute ailleurs, et je ne le vis point. Désappointé, je cédai aux instances de mon surveillant, et nous allâmes nous coucher. Le lendemain matin, après déjeuner, il me conduisit au quai des Tuileries, je montai en pot de chambre et arrivai à Versailles.

Quel superbe palais ! le beau jardin ! Que ces bosquets sont attrayants! Quel bonheur d'errer sous ces ombrages solitaires Ah! s'il me restait un seul jour de liberté, ce n'est pas le bruyant, l'enivrant Paris qui m'attirerait, et j'emploierais jusqu'à la dernière heure de cet heureux jour à parcourir ces délicieuses promenades. Mon imagination s'égara sur ce texte jusqu'à mon arivée à la caserne qui ne m'en paraît que plus horrible. Il est cinq heures du soir.

Le général, dis-je au portier. Monsieur, il a quitté son pavillon, vous ne pourrez plus le voir que demain. - Une excellente idée me vient tout à coup. Voilà qui est fâcheux, m'écriai-je ! Il faut absolument que je lui parle avant de reutrer à l'Ecole; je reviendrai demain.

Et vite, je tourne les talons et ne fais qu'une course jusqu'à Versailles. Je possède ces heures de liberté tant enviées un moment auparavant; il ne tient qu'à moi de passer la soirée la plus romantique.... Au diable le romantique! Est-il bon à quelque chose quand on a Paris devant soi et l'Ecole militaire derrière. Je passe comme un trait, j'enfile la grande rue, je traverse la place d'Armes, saute dans un pot de chambre; je bois à Sèvres l'indispensable verre de liqueur, j'arrive au Pointdu-Jour quant il est tout à fait nuit, j'aperçois la longue file. des réverbères du quai des Tuileries; me voilà sur le Carrousel, dans la rue Saint-Nicaise, dans la rue Saint-Honoré, au Palais-Royal et... il ne me plaît pas d'en dire davantage.

Le lendemain matin, arrivent en foule les réflexions sérieuses. Que va dire le général? Hâtons-nous de retourner dans ma prison.

Les idées romantiques me reprennent en passant près des jardins de Versailles. Je les contemple le cœur gros de soupirs et rempli d'inquiétude. Je le sens battre fortement quand je sonne à la porte de l'Ecole.

Ah! vous revoici, me dit le portier. Passez au bureau du quartier-maître, vous y trouverez une lettre pour vous. Cette lettre avait été apportée quelques jours après mon départ pour mon pays, par un compatriote qui était venu voir son fils. Elle était de mon père qui ne s'attendait pas à me voir arriver, et contenait simplement des nouvelles de la famille et les admonitions accoutumées avec les meilleurs conseils. Je n'y vois, moi, qu'un prétexte pour m'enfuir encore; je feins qu'elle rend indispensable mon retour à Paris, et j'y retourne entraîné par mon mauvais génie.

Le lendemain, à midi, j'étais aux portes de Saint-Cyr. Plus de prétextes, plus de retards possibles, il faut rentrer, il faut se présenter au général, à ce redoutable général qui est prévenu par mon père que le jeudi matin j'ai dû arriver à Paris, et le soir à St-Cyr. Heureux s'il ne m'envoie qu'en prison.

J'entre en tremblant; quelle agréable surprise. Ce bon général ne se souvient plus des adieux qu'il m'a faits il y a trois semaines; il a oublié la lettre de mon père; pas une réprimande, pas un reproche; il me renvoie à ma compagnie que je trouve au Champ-de-Mars faisant l'exercice à feu. Bon, me dis-je, si j'étais resté hier, j'aurais aujourd'hui mon fusil à nettoyer; c'est autant de gagné. Je salue mon capitaine, mon

sergent, mon caporal, j'embrasse tristement mes amis. C'en est fait, je suis coffré.

Coffré! c'est ce que nous allons voir.

Eh bien,

Nous apportes-tu de la contrebande? me disent mes camarades. Pas un morceau. Comment ? rien? - Que veuxtu, je suis ruiné, il me reste à peine vingt francs, et ce n'est pas de sitôt que mon père m'enverra de l'argent. s'écrie l'un d'eux, nous allons t'en donner tu as encore ta culotte blauche, on sait à peine que tu es revenu. C'est aujourd'hui jour de parloir: rien ne t'empêche de sortir pour une heure ou deux ; il faut absolument que tu nous rendes ce service. Qu'à cela ne tienne, mes amis, je vous promets de revenir chargé comme un mulet.

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Aussitôt dit, aussitôt fait. J'entre dans la cour de l'hospice, et le sergent du parloir, trompé par ma bienheureuse culotte blanche, me laisse passer croyant que je vais en permission. Je n'ai garde d'aller dans les deux autres cours où je serais infailliblement arrêté par les officiers qui y veillent. Je me rappelle que le parloir de l'hospice a un escalier dérobé qui prend son issue sur l'avenue, j'y entre; par le plus heureux des hasards la porte de cet escalier est ouverte; et je suis une troisième fois en liberté,

Je cours à perdre haleine jusqu'au premier cabaret où je m'approvisionne d'eau-de-vie, de liqueurs et de saucissons, et je fais entourer le tout proprement d'une serviette, en manière de paquet à porter sous le bras. Mais au lieu de rentrer à l'Ecole, ce maudit Paris me revient à la pensée; j'oublie tout, et me voilà trottant sur la route de Versailles, en bas blancs, (j'avais ôté mes guètres à la caserne) et la tète nue, ayant oublié, dans ma précipitation de prendre mon schako ou mon bonnet de police. Heureusement, un monsieur et une dame passent dans un fiacre, où avec leur permission, le cocher me donne une place. A quelque distance, la dame s'écrie tout à coup Monsieur Sauvage, Monsieur Sauvage, venez donc, montez avec nous, il reste encore une place! Un monsieur à pied se retourne, monte dans la voiture, et je pâlis en reconnaissant le secrétaire du quartier-maitre, celui-là même qui, la veille, m'a remis la lettre de mon père. Eh! où allez-vous donc, me demanda-t-il, est-ce que le général n'a pas voulu vous recevoir ? Si fait, vraiment, mais comme, entre nous, j'avais quelque sujet de le craindre, j'avais laissé à Versailles mon paquet que je vais chercher. Mon petit mensonge n'avait

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