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dévorée par ce besoin continuel de parler. Elle avait fait de son mari, magistrat distingué, un véritable patiras. A toute heure, elle venait l'ennuyer par des histoires qui n'en finissaient plus. Toujours, la note médisante y dominait; si bien que M. d'Auteroche, tant pis, je l'ai nommé ? I avait dû avoir recours à un moyen suprême; n'avait-il pas habitué son perroquet à pousser des cris affreux, en le pinçant d'une certaine façon, lorsque sa femme paraissait? Leurs deux voix se mêlant, je sais bien qui cédait la place à l'autre. Au moins le cabinet restait libre.

Mais c'est odieux.

ODETTE

SOPHIE

Pas tant que cela! Aux grands maux, les grands remédes. Mme d'Auteroche s'en allait, répétant partout qu'elle ne comprenait pas l'affection de son mari pour un aussi vilain oiseau. Son amour propre, du reste, a toujours été sauvegardé; elle est morte sans rien savoir, cette pauvre Mme d'Auteroche.

ODETTE

Si c'est là un exemple de l'amabilité des maris!... Après tout, nous valons autant qu'eux...

SOPHIE

Et le Code?... La femme doit obéissance à son mari... Tu as promis cela, ma pauvre Odette... Tout contrat oblige... Si les maris n'étaient pas nos maîtres, il faudrait que nous fussions les leurs. Cela reviendrait au même.

ODETTE

Tout cela est très beau, en paroles... mais tu n'arriveras jamais à me convaincre que je ne sois pas fondée à me plaindre de l'abandon dans lequel me laisse Agenor.

SOPHIE

L'abandon! es tu folle?... Voilà un bien gros mot pour une bien petite chose! Comment! parce que ton mari chasse, il t'abandonne?... Sois persuadée qu'il ne convient pas déjà tant d'être ainsi toujours ensemble... Le complet bonheur n'est pas de ce monde, et jamais mot plus profond ne fut dit que par Barthelemy, le poète, qui, laissant tous ses biens à des neveux qu'il adorait, écrivit dans son testament : « Que ne puis-je leur léguer le bonheur? »

ODETTE

Agenor est à la chasse depuis le déjeuner; il est quatre heures. Tu es enfermée, toi, dans ta chambre, depuis le même laps de temps... or c'est tous les jours à recommencer.

SOPHIE

Tous les jours!... Mais mon frère va rentrer, il nous racontera quelqu'histoire amusante.

ODETTE

Ah! oui, des histoires de chasse !

SOPHIE

Peut-être bien; mais qu'importe ?..., (devenant plus grave) il ne te vient donc jamais à l'idée que ton mari est heureux et cette seule pensée ne suffit pas à t'aider à supporter tes ennuis.

ODETTE

Je ne suis pas si généreuse que cela. Je serais disposée, au contraire, à me dire que c'est lui qui devrait s'apercevoir que je souffre.

SOPHIE

Tu appelles cela souffrir!..., oh! ma pauvre Odette, on voit bien que tu n'as jamais connu les vrais chagrins. Peut-être, un jour, viendront-ils? Garde-toi pour eux... Mais j'entends ton mari.

(La porte du fond s'ouvre et l'on voit paraitre Agenor, en costume de chasse, le fusil en bandouillère et brandissant un perdreau de chaque main.)

SCÈNE V

Les mêmes, Agenor Darblay.

AGENOR, gaiement et avec ostentation.

Il y en a deux!... Deux!... Un pour chacune de vous, belles dames!

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Au moins, cette fois, vous ne rentrez pas bredouille.

AGENOR, piqué.

Bredouille!... Vous avez des expressions... Il me semble que cela ne m'arrive pas déjà si souvent de rentrer bredouille?... Par exemple, si j'ai eu ces deux perdreaux-là (il les met dans son carnier), c'est que je m'y suis pris de bonne heure. (Il va déposer son fusil et son carnier.) Imaginez-vous la plus sotte aventure...

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Ne vendez donc pas la peau de l'ours avant qu'il ne soit tué.

AGENOR, ne comprenant pas d'abord.

Que parlez-vous d'ours? On n'en tue pas encore, que je sache, dans l'arrondissement.

ODETTE

Vous dites que votre histoire sera drôle? En la vantant ainsi d'avance, vous vous exposez à ce que nous ne la trouvions pas telle.

AGENOR, avec un geste.

C'est juste. (A part.) Sur quelle herbe a-t-elle encore marché, ma femme.

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ODETTE, voyant Falstaff flairer le carnier.

Ici, Falstaff! Ne touchez pas à cela, monsieur, (le caressant) mon seul ami, va! (Elle sonne.)

AGENOR

Comment, votre seul ami...

ODETTE, à Nanine qui paraît.

Emportez ce gibier à l'office et menez jouer Falstaff. (Nanine sort en emportant le carnier et le chien.)

SOPHIE

Pauvre Agenor! tu vas le priver de la vue de son trophée.

ODETTTE

Cela empeste!... et maintenant, j'écoute.

AGENOR

Eh! bien, voici mon histoire. Ce matin j'avais pris du côté de la vieille montagne...

ODETTE

Comment! et vous n'aviez pas emmené Sophie ?... Mais elle raffole de cette contrée-là ?...

AGENOR

Si vous m'interrompez toujours ?...

SOPHIE

C'est vrai, laisse-le donc parler, Odette.

AGENOR

J'avais, au bout de deux heures, ramassé mes deux perdreaux.

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Il arrive souvent, ma chère amie, qu'on n'en trouve pas même deux dans toute sa journée.

ODETTE

Je le sais. Mettons que je n'ai rien dit. (Elle brode.)

AGENOR, après un nouveau geste.

Enfin, j'avais mes deux perdreaux. Je me sentais fatigué, j'avise une meule qui projetait une ombre bienfaisante autour d'elle. Bon, me dis-je, une meule est un abri offert par la nature au chasseur fatigué. Asseyons-nous là et reposons-nous.

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J'étais assis là, depuis une demi-heure peut-être... je crois. même que je m'étais assoupi... lorsqu'en me réveillant, je me vois entouré... devinez de quoi? je vous le donne en mille... d'un troupeau de moutons! ..

Comment cela?

SOPHIE

ODETTE

A la campagne, cela n'a rien d'étonnant.

AGENOR

Il y en avait bien deux cents!... Or, je vous laisse à penser si

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11re flatté....... Voyez-vous d'ici la position d'un malseur qui cherche inutilement des perdreaux... quand ement, je me trompe puisque...

esavons.

ODETTE, interrompant.

AGENOR

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qui se voit entouré de deux cents moutons bèlants!... C'est m'avait réveillé... Ces malheureuses bêtes avaient l'air de greusement s'ennuyer: Berger, m'écriai-je, rappelez donc ves moutons... » Silence sur toute la ligne. Il était absent, le berger; il était parti, le berger. Je passais à l'état de Guillot, berger de ce troupeau...

SOPHIE

Mon pauvre Agenor, la chose est très drôle, en effet.

AGENOR

La suite l'est plus encore. Un gamin ramassait des grenouilles non loin de là. Je lui demande où est le berger. « Le berger est à Banville, me dit-il. » A Banville? Mais c'est à une lieue d'ici. « Il ne reviendra que dans une heure, ajoute l'enfant. Parbleu, ça m'est bien égal, m'écriai-je. Je ne suis pas obligé de l'attendre, moi, co berger. Garde son troupeau, si tu veux, petit; quant à moi je me remets en chasse.

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ODETTE

C'est ce que vous aviez de mieux à faire.

AGENOR

C'est très joli; mais vous ne connaissez pas les mœurs de la gent moutonnière! Je n'avais pas fait un pas, que les moutons en avaient fait deux. Je les sentais dans mes jambes, ces affreuses bêtes. J'avançais, elles avançaient; je reculais, elles reculaient. Il fallait décidément aviser à me débarrasser de ces deux cents compagnons... avec cela que mon chien leur mordait les mollets.

ODETTE

Oh! des mollets de moutons...

AGENOR

Mettons leurs jambes et n'en parlons plus. (Il s'asseoit.) Bref, ma position n'était pas tenable. Je sentais que je devenais parfaitement ridicule. En vain je menaçais les malheureuses bêtes de la crosse de mon fusil, elles faisaient mine de se sauver et puis revenaient.

ODETTE, sur l'air du Sapeur.

Rien n'est tenace comme un mouton!

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