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Auguste de Vaucelle reprit la parole:

Des générations ont passé sous ton ombre,
Dont rien n'a surnagé, pas même un souvenir;
Combien passeront, dont nul ne sait le nombe,
Qui sommeillent bien loin au fond de l'avenir?
Et tu verras encor passer bien des orages,
Convulsions d'en haut ou tempêtes d'en bas ;
Mais, si du ciel ton front provoque les outrages,
Jusqu'à ta cime au moins, nos bruits n'arrivent pas.
Et tu seras debout, o grand vieillard austère,
Quand déjà dans la mort nous serons abrités,
Nous, voyageurs d'un jour qui traversons la terre
Ainsi qu'un pont tremblant sur deux éternités.

Alexandre Delaine ajouta :

Tes feuilles sont celles d'un docte livre
Qu'ont enrichi trois cents éditions ;
Chaque printemps à nos regards y livre
L'enseignement des révolutions.

De nos Bourbons la longue dynastie
Parut, tomba, depuis qu'on t'a planté ;
Et peuple et roi fournirent leur hostie
Au sol français, autel ensanglanté.

Tu fus toi-même éclairé par la foudre;

Mais la tempête, en éprouvant ton front,

Des temps passés mit à tes pieds la poudre
Que l'esprit souffle, ils ressusciteront!

Auguste de Vaucelle termina cette espèce de tournoi littéraire par ces strophes :

Cependant viendra l'heure où la sève vitale

Dans tes membres noueux cessera de courir ;

Et pour toi sonnera la minute fatale

Où cèdres et brins d'herbe, il nous faut tous mourir!...

Les grandeurs, o géant, ne sont point éternelles :
Déjà deux peupliers, au niveau de ton front
Elevant fièrement leurs tiges fraternelles,

De leur rivalité le préparent l'affront.

De ta hauteur avant que le temps ne retranche,

Abdique dans ta force et dans ta majesté,

Pour mourir, n'attends pas, en tombant branche à branche,
Que de l'arbre géant il ne soit rien resté,

In autre lieu mémorable des alentours de Dienville, où Auguste de Vaucelle aimait à promener ses méditations poétiques, était le monticule où se trouve reléguée la chapelle de Notre-Dame du Tertre, fondée par une dame Barbarat Delestre, tante de l'abbé

Courtalon, le savant topographe du diocèse de Troyes; qu'y vois-je, s'écrie-t-il dans les strophes qu'il consacre à la description de ce monument d'architecture rustique :

Qu'y vois-je ? Des murs nus qu'à défaut de sculpture

Relève seulement une intacte blancheur;

Un autel que décore une antique peinture
Dont un peintre forain raviva la fraîcheur.
Un banc s'étend le long de la modeste enceinte ;
Puis une balustrade où viennent, en priant,
S'appuyer les élus qu'attend la table sainte,
Sépare l'humble autel tourné vers l'orient,

Rien de plus, et c'est tout; mais jamais cathédrales
Aux gothiques arceaux, aux piliers sourcilleux,
Jamais temples tout neufs, églises théâtrales,
Où le siècle s'épuise en travaux merveilleux.
Ne m'émurent autant que la simple chapelle
Qui se dresse au dessus d'un peuple insoucieux,
Comme un acte de foi qui, d'en haut, lui rappelle
Que la terre n'est rien que l'escalier des cieux.

La muse champêtre d'Auguste de Vaucelle ne se bornait pas à chanter les souvenirs historiques de la bourgade qui fut son berceau; elle peignait les mœurs de ses habitants; tantôt elle retraçait leur existence toute patriarcale, sous un ciel pur, calme, au milieu des champs, des bois, des pâturages; tantôt, sous une forme humoristique, elle les montrait devenus sceptiques, se riant des naïves croyances de leurs ancêtres; bien des populations rurales du canton de Brienne pourraient se reconnaître dans les stances suivantes intitulées: Heureux le laboureur.

Heureux le laboureur ! Sous le ciel il travaille ;
Son immense atelier pour lampe a le soleil ;
C'est pour lui que de fleurs la nature s'émaille :
Pour lui que le printemps met son manteau vermeil

Après un tableau des intempéries des saisons et des rudes labeurs auxquels l'homme des champs se trouve sans cesse exposé, Auguste de Vaucelle l'exhorte à songer aux sublimes destinées qui lui sont réservées :

Sur des chemins semés d'épincuses morsures
Laboureurs, mes amis, je vous ai vus marcher;
Et mon cœur a saigné par toutes vos blessures,
Et j'ai laissé mes pleurs sur vos maux s'épancher.
En avant, en avant, amis, et que chaque homme
Allège du voisin le fardeau trop pesant;
L'humanité n'est pas une bête de somme;

Si l'homme est un roseau, c'est un roseau pensant.
Mais vos yeux trop souvent sont penchés vers la terre ;

La terre que tourmente un labeur infécond,

N'est que le premier mot de l'immense mystère ;
Regardez vers le ciel, c'est là qu'est le second.

Quand Auguste de Vaucelle était importuné par les bruits tumultueux de la capitale, il brûlait du désir d'aller respirer l'air vivifiant de la campagne; alors, rêvant les tranquilles loisirs de sa terre natale, il se retirait vers les bords de l'Aube et les ombrages de la forêt d'Orient pour y boire l'oubli d'une vie agitée, comme autrefois Virgile, fatigué, aspirait à se reposer dans les fraîches vallées arrosées par des fleuves aux eaux paisibles. Quoi! s'écrie-t-il dans des strophes intitulées : Le Retour, faisant allusion à sa maison rustique :

Quoi! j'aurais quitté cet antique asile
Dont le souvenir de loin m'enivrait,
Où, lorsque l'ennui des cités m'exile,
Je retrouve encore un bonheur si vrai !

J'y marche, entouré d'images chéries;
L'espace a des bruits dont je me souviens;
Et j'entends passer des voix attendries
Qui disent tout bas enfin, tu nous reviens.

Oui, je vous reviens, ombres que je pleurs ;
Que ne puis-je, hélas ! dire pour toujours.
Mais, qnand du départ pour moi viendra l'heure

J'aurai pu de blanc marquer tous les jours.

Auguste de Vaucelle revoyait cependant avec une douce satisfaction ses pénates urbaines, et la capitale avait pour lui des attraits irrésistibles. Je te revois, dit-il dans une de ses Inspirations champêtres :

Je te revois, Paris, après un an d'absence,

Entre tes grands palais, tout joyeux d'étouffer;
Aprés un rude hiver, du lieu de ma naissauce,
A ton puissant soleil je viens me réchauffer.
Et me voilà devant les cent mille merveilles,
Spectateur ébloui, comme un hôte d'un jour,
Moi qui, de tes rêveurs, ai partagé les veilles,
Et, dans ta vie ardente ai fait un long séjour.

Il n'avait pas seulement, au sein de la ville qu'il appelle cœur et cerveau d'un monde, la noble jouissance d'être entouré de puissantes sympathies, et, secondé par elles, de travailler au relèvevement de la France ; il trouvait aussi des charmes, sans retours amers, dans ses relations avec plusieurs illustrations étrangères contemporaines; parmi ces dernières, il faut citer Petit-Senn de Genève et ses amis de la Suisse qui professaient pour Auguste de Vaucelle une estime toute particulière; cette prédilection avait d'autant plus de valeur que ce charmant écrivain genevois joignait à la finesse de l'observation une aimable bonhomie et qu'on le considérait comme le rival de Rodolphe Topfa, l'élégant et judicieux professeur de belles-lettres à l'Académie de Genève; aussi

notre poète lui consacra-t-il une de ses plus belles pièces où il exprime d'une manière ingénieuse ses sentiments de vive et profonde gratitude; ô vous, dit-il :

O vous qui, d'un regard voilé par l'indulgence,
De mes vers orphelins encouragez les pas,

Et qui, dans des trésors de noble intelligence,
Leur trouvez des beautés qu'ils ne se savaient pas ;
Vous tous, qui leur tendez une main fraternelle
A ces humbles oiseaux envolés demi-nus
Et qui pleurent si loin de l'aile maternelle,
Merci, merci deux fois, ô frères inconnus !
Lorsque leur troupe, hélas ! follement envolée,
N'en pouvant plus, transie et mourant à demi,
Frappait à votre seuil d'une aile désolée,
Et déjà sous le bec de l'autour ennemi,
Vous avez eu pitié de ces oiseaux timides
Et recueilli chez vous passereaux et pinsons;
Et, secouant le froid de leurs ailes humides,

Ils ont à votre feu réchauffé leurs chansons.

Ces strophes ne révèlent-elles pas qu'Auguste de Vaucelle eut ses heures de mélancolie? On en trouve la preuve dans ses vers intitulés Le vieux poète; en vain, s'écrit-il :

En vain, ô mes amis, la gaieté m'environne ;

Lorsque votre jeunesse à tous les beaux fruits mord,

Je sens de mon été s'effeuiller la couronne

Et suis au fond du cœur triste jusqu'à la mort.

Je suis l'arbre penché que la hache réclame;

Un ver intérieur me ronge sourdement ;

La sève en moi s'éteint; mon front n'a plus de flamme
Et fléchit sous le poids du désenchantement.

Ensuite, il déclare qu'un flot de lie amère envahit son âme, et que, veuf d'illusions, il a le dégoût pour hôte, et il se sent pleurer sur les beaux jours qu'il a perdus à poursuivre des chimères; puis, il exhorte ses amis à ne pas prêter l'oreille aux chants de la sirène, mais à méditer les graves enseignements de l'histoire, s'ils veulent éprouver, en mourant, la joie intérieure d'avoir accompli leur tâche en ce monde, et moi, conclut-il :

Et moi, barde sans force, à ce moment austère
Où point l'éternité, courbé sous le remords
De n'avoir pas creusé mcn sillon sur la terre,
Je me traîne au tombeau plus triste que la mor!.

On eût dit le chant du cygne; épuisé par un excès de travail, Auguste de Vaucelle succomba, le 27 novembre 1876, à une attaque d'apoplexie. Adrienne, sa fille désolée, trouva dans le culte des muses une consolation à sa douleur; elle semble s'être peinte

elle-même avec ses occupations studieuses et solitaires dans ces stances intitulées : Ma fenêtre.

Sous les brises de mai, quand tout semble renaître,
Quand s'éveillent les nids, quand rayonnent les cieux,
De festons verdoyants se pare ma fenêtre,

Et le printemps fleurit son cadre gracieux.
L'une à l'autre grimpant, les flexibles lianes
Unissent leurs senteurs, confondent leurs bouquets,
Et les volubilis, aux teintes diaphanes,

Ouvrent à l'aube en pleurs leurs calices coquets.

Deux caisses de bois peint, au bord de ma croisée,
Voilà tout mon domaine; et pourtant, le matin,
Ainsi que dans les bois y brille la rosée,
Et l'abeille y recueille un odorant butin.
Sous le terreau fécond, enlaçant leurs racines,
Pâquerettes, muguets, aux pétales soyeux,
Résédas parfumés et rouges capucines

Rivalisent d'éclat pour enchanter mes yeux.

Sans doute, en sa modeste demeure, elle ne pouvait saisir les harmonies de cette musique universelle qui embrasse tous les sons, tous les bruits, et leurs combinaisons innombrables, depuis la goutte d'eau qui gémit en se brisant sur un brin d'herbe, jusqu'à l'Océan qui ébranle avec des mugissements formidables les bases souterraines du globe; depuis le jonc des bords du fleuve jusqu'à l'oiseau qui soupire au fond des hautes futaies; depuis l'insecte imperceptible qui murmure des tristesses ou des joies inconnues dans le calice d'une fleur, jusqu'à l'homme dont la voix s'élève de. monde en monde vers leur éternel architecte : mais les petits oiseaux venaient voltiger auprès de sa fenêtre et becqueter les mielles de sa table; elle prenait plaisir à contempler les ébats de ces innocentes petites créatures, et, parfois comme pour se reposer de cette contemplation ravissante, elle suivait avec l'aiguille les contours d'un dessin élégamment tracé sur une toile légère. De mes heures, disait-elle :

De mes heures ainsi les plus douces s'écoulent
Auprès de la fenêtre où j'ai rimé ces vers;
Et de là, sous mes yeux tour à tour se déroulent
Et les joyeux printemps et les mornes hivers.

Il serait injuste de méconnaitre ce que l'Académie des poetes, dont cette respectable fille d'Auguste de Vaucelle était membre, apporta de juste et de vivifiant, même après Alphonse de Lamarline et Victor Hugo, à la poésie sous ses formes multiples; pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les volumes des Olympiades : les patriotiques, les esthétiques, les philosophiques, les intimes, les descriptives, les sentimentales, les champêtres, les fantaisisles, les

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