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sens; elle est allée plus loin, elle a forgé des textes, ou elle les a falsifiés. On s'étonne que les corporations religieuses vivent aujourd'hui de fraude, et que les plus saints personnages ne se font aucun scrupule de ces pieux mensonges. Ceux qui s'en étonnent ne connaissent pas l'histoire de l'Eglise, elle vit de fraude et de faux depuis qu'elle existe. Il ne sera pas inutile de le rappeler à ceux qui paraissent l'avoir oublié.

171. La doctrine catholique suppose que l'Eglise a été instituée par Jésus-Christ et que le Christ est Dieu. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le débat théologique de la divinité du Christ: il me suffit de constater que le protestantisme libéral a déserté cette croyance, et à sa suite l'idée de l'Eglise catholique, et que la raison repousse ce dogme, parce qu'il lui est impossible de comprendre que l'infini et le fini, le Créateur et la créature s'unissent dans une seule et même personne. La science historique nie que Jésus-Christ se soit proclamé Fils de Dieu, dans le sens de la doctrine de Nicée; elle nie que les apôtres aient prêché la divinité de leur maître, elle prouve que ce dogme s'est formé successivement sous l'influence de conceptions philosophiques et de superstitions populaires. Il ne saurait donc être question d'une Eglise fondée par Dieu. C'est une prétention qui a contre elle les témoignages mêmes que l'on invoque pour l'appuyer. Les Evangiles attestent que Jésus-Christ était imbu de la croyance que la fin du monde approchait et qu'après la consommation des choses, le royaume des cieux s'ouvrirait. Celui qui est convaincu que la terre et tous les établissements humains seront anéantis peut-il songer à fonder une Eglise? Pour guider dans la voie du salut une humanité qui n'a plus qu'un jour à vivre?

L'idée de l'Eglise catholique suppose encore que les apôtres saint Pierre et saint Paul ont fondé la papauté. Ici l'altération de l'histoire touche à la falsification. Les premiers disciples du Christ restèrent Juifs comme leur maître; ils ne connaissaient d'autre Eglise que le Temple. Les apôtres étaient convaincus, plus peut-être que leur maître, que la fin des choses était instante. Dire qu'ils

ont fondé une Eglise qui, de droit divin, domine sur les fidèles et sur l'autorité temporelle, c'est de la folie. La science historique a donné le coup de grâce à ces inventions de la domination romaine en prouvant que saint Pierre n'a jamais été à Rome (1). Ainsi s'écroulent tous les fondements de l'idée catholique de l'Eglise; il ne reste qu'une vaine imagination, appuyée sur des faits altérés et sur des documents fabriqués.

L'Eglise rapporte son origine et ses droits à Dieu, et il se trouve que ses prétentions reposent sur des titres faux et falsifiés. C'est la punition de l'ambition romaine. Le droit divin lui-même est une imposture; il ne peut donc s'appuyer que sur le mensonge. Pour avoir voulu une puissance plus qu'humaine, l'Eglise a été poussée fatalement au crime: ne pouvant avoir de vrais titres pour prouver une prétention imaginaire, elle a dû s'en forger; voilà comment il est arrivé qu'elle est devenue comme un atelier de faux. Ses miracles sont des faux, ses légendes sont des faux. Elle a falsifié les écrits des saints Pères; puis elle a fabriqué ces faux gigantesques que l'on appelle la donation de Constantin et les fausses décrétales, l'une pour y appuyer la puissance temporelle de l'Eglise, les autres pour y fonder la puissance spirituelle (2). L'histoire altérée et des actes fabriqués, voilà les titres de Rome au droit divin qu'elle réclame!

172. Je reviens à la mainmorte, dont je ne me suis écarté qu'en apparence. Comment se fait-il que l'Eglise, après la philosophie du dix-huitième siècle, après la révolution française, s'est relevée et a osé entamer contre une société rationaliste une lutte où elle a contre elle l'histoire, la raison et les tendances irrésistibles de l'humanité moderne? C'est qu'elle a altéré l'histoire, et elle aveugle la raison en inoculant ses superstitions aux générations naissantes, à un âge où l'intelligence commence à peine à se développer et où la conscience est encore muette. C'est ainsi qu'elle parvient, en dépit des lois, à

(1) Voyez mon Etude sur l'Eglise et l'Etat, t. Ier, p. 42-45.

(2) Voyez, sur les fausses décrétales, et sur la donation de Constantin, mon Etude sur l'Eglise et l'Etat, t. Ier, p. 162 et 166.

ressusciter ses corporations, qui, de leur côté, l'aident à consolider son empire sur la bêtise humaine. Je viens de citer les faux gigantesques qu'elle a fabriqués dans des siècles de ténèbres; il y a quelque chose de plus gigantesque encore, c'est l'empire que l'Eglise exerce sur l'ignorance. Puisque, au nom de la liberté, on veut lui permettre de s'incorporer, et que l'on invoque la religion pour donner aux moines une existence assurée qui leur laisse le loisir de prier Dieu à leur guise, il est bon de constater les faits ou de les rappeler aux hommes du dixneuvième siècle qui paraissent les ignorer. J'ai cité quelques faux religieux; je vais citer quelques traits qu'on peut hardiment qualifier d'escroquerie religieuse.

A entendre les défenseurs de l'Eglise, les biens dont on l'a dépouillée étaient les dons de la charité, destinés à la charité. Mais il y a des donations qui sont viciées par la captation, et telles sont les libéralités que les moines arrachent aux mourants. Assistons à un de ces actes: ce sont les clercs qui les rédigeaient; ils ne renieront pas les sentiments qui y sont exprimés. Les religieux commençaient par jeter la terreur dans l'âme des pécheurs en les menaçant des feux éternels de l'enfer; ils ne leur laissaient qu'une espérance, c'était de racheter leurs fautes avant de mourir. Torturés par la crainte, les malheureux demandaient avec anxiété quel était le meilleur moyen d'apaiser la colère de Dieu. Les moines ne manquaient pas de répondre que l'aumône lavait les péchés, et que les libéralités les plus méritoires étaient celles qui se faisaient au profit de leur monastère. Ils faisaient les promesses les plus extravagantes aux pénitents pour leur arracher une donation. Un homme riche s'était rendu coupable d'un grand forfait; il l'expia en faisant des libéralités à l'église; les clercs lui promirent qu'avec leurs prières, leurs jeûnes et leurs aumônes, ils laveraient entièrement ses crimes, quand même il vivrait encore trois cents ans (1). Voilà le charlatanisme religieux acté par

(1) Voyez les témoignages dans mon Etude sur l'Eglise et l'Etat, t. Ier, p. 208 et suiv,

les coupables. Qu'étaient-ce que les dons de la charité? Un marché, par lequel le donateur se lavait de ses péchés, quelque énormes qu'ils fussent, en donnant ses biens à l'Eglise, laquelle lui promettait le salut éternel pour les biens périssables dont il se privait, pour mieux dire, dont il dépouillait ses héritiers. La donation était une vente, les moines vendaient une chose imaginaire, le Ciel, dont ils n'avaient certes pas la disposition, l'acheteur était dupe. Les vendeurs étaient-ils de bonne foi? Demandez la réponse aux bateleurs de nos foires.

Les jésuites auraient droit de se plaindre si on ne leur accordait un souvenir dans l'histoire du charlatanisme religieux. La chrétienté s'était insurgée au seizième siècle contre une Eglise qui faisait argent de tout, témoin le scandale des indulgences qui souleva la colère de Luther. Les jésuites se firent donner par le pape un brevet d'ordre mendiant; les révérends pères affectaient une telle horreur pour la propriété qu'ils ne voulaient pas même d'une propriété commune. C'était le spiritualisme chrétien dans sa perfection. Mais il est avec l'Evangile des accommodements. Les maisons professes ne possèdent pas; mais les colléges donnant l'enseignement gratuit devaient naturellement posséder; or, sur cent colléges, il y avait tout au plus sept maisons professes. On voit que les possédants étaient assez nombreux pour venir en aide aux mendiants. Les colléges enseignaient gratuitement, cependant on voyait les révérends pères s'enrichir à vue d'œil. « Les jésuites, dit un légiste, se réservent de prendre en gros d'assez peu de personnes cent fois plus que ne vaut le menu détail dont ils soulagent le simple populaire, pour attirer la multitude. » Ecoutons le père Jouvency; il nous dira de combien de grâces spirituelles sa Compagnie comble les fondateurs de colléges : « Trente mille messes; vingt mille rosaires sont priés pour eux, de leur vivant; on en fait autant après leur mort. » Le père Jouvency ajoute que si une personne fonde deux colléges, la Compagnie quadruple ses faveurs : elle dit cent vingt mille messes et prie quatre-vingt mille rosaires. Ce n'est pas tout les donateurs ont encore une part dans les quatre

cent quatre-vingt mille messes que l'ordre célèbre chaque année pour saint Loyola. On voit que la quantité avait de quoi séduire ceux qui, ayant beaucoup d'argent, avaient aussi beaucoup de péchés à se faire pardonner. Et la qualité donc! Ribadeneira explique fort bien que les prières d'un jésuite sont plus efficaces que celles du vulgaire des fidèles; il n'osait pas dire des moines (1).

173. L'Eglise, disent ses défenseurs, ne saurait être trop riche, car son patrimoine est celui des pauvres, et Jésus-Christ a dit qu'il y aurait toujours des pauvres à soulager. Est-il vrai que les richesses acquises par la ruse, la fraude et le faux servaient à la charité? Les richesses de l'Eglise étaient fabuleuses. En 1787, les biens du clergé s'élevaient, dans une seule de nos provinces, le Brabant, à trois cents millions. Pour toute la Belgique, le patrimoine, dit des pauvres, montait au chiffre énorme de quatre milliards deux cent soixante-sept millions (2). Il en était de même dans toute la chrétienté. Lord Hardwicke dit que, sous le régime catholique, l'Eglise possédait à peu près la moitié du territoire de l'Angleterre, et il s'étonne qu'elle ne fût pas propriétaire de tout le sol (3). Il y avait de quoi tarir la misère! Je vais citer quelques témoignages; on pourrait en remplir un volume qui serait très intéressant ce serait la charité de l'Eglise photographiée.

Saint Bernard dit à toute occasion que les dignités ecclésiastiques n'étaient recherchées qu'en vue des richesses qu'elles procuraient; qu'on se disputait les évêchés pour en dépenser les revenus en vanités et en superfluités. L'abbé de Clairvaux s'élève avec une juste indignation contre les ministres de l'Eglise qui retenaient pour eux des biens qu'ils auraient dû distribuer aux pauvres : "Dites-moi, pontifes, que fait l'or dans le frein de vos chevaux? En vain me tairais-je, la voix des pauvres crie

(1) Voyez les témoignages dans mon Etude sur l'Eglise et l'Etat, t. Ier, p. 505 et suiv.

(2) Orts, De l'Incapacité civile des congrégations religieuses, p. 41 et suiv.

(3) Kent, Commentaries on american law, t. IV, p. 553.

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