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même où ils sont contractés, ni nulle part ailleurs qu'en France? Il veut rendre les mariages possibles; rien de plus moral, puisque si l'union légitime est impossible, il est à craindre que le concubinage ne prenne la place du mariage. Mais pour que la loi atteigne ce but, il faut que les mariages qu'elle autorise soient valables partout. Il n'y a qu'un seul moyen pour cela, ce sont des traités qui permettent à tous agents diplomatiques et consuls de célébrer les mariages entre leurs nationaux et des étrangers. Je vais mettre ce principe dans toute son évidence en exposant l'état de la législation anglo-américaine.

V

254. Dès l'année 1823, un acte fut passé par le parlement pour valider les mariages célébrés dans les hôtels des ambassadeurs, ainsi que ceux qui seraient célébrés dans les factoreries britanniques, là où il ne serait pas possible de contracter un mariage chrétien en se conformant à la loi du lieu (1). Plusieurs lois ont été portées depuis dans le même but. Celle du 28 juillet 1849 est ainsi conçue « Le mariage célébré, dans une contrée ou ville étrangère, par un consul britannique, dûment autorisé à cet effet sera considéré comme valable, ainsi qu'il le serait si le mariage avait été célébré dans les domaines de Sa Majesté, avec observation de toutes les formes requises par la loi. » Les termes de ces actes sont beaucoup plus larges que ceux de l'article 170 du code Napoléon. L'acte de 1823 ne limite pas la compétence des consuls aux Anglais : il est conçu en termes tout à fait généraux : le mariage; de sorte que le consul peut célébrer le mariage entre Anglais et étrangers, même, au besoin, entre étrangers; et cela se pratique ainsi (2). Ces mariages sont aussi valables que s'ils avaient été contractés en Angleterre. Cela semble dire que les mariages célébrés par les consuls anglais seront valables partout.

(1) Je transcris ce que dit Lawrence de la loi de 1823, Commentaire sur Wheaton, t. III, p. 360.

(2) Lawrence, Commentaire sur Wheaton, t. III, p. 364 et 365.

Sur quel principe est fondée la validité des mariages ainsi célébrés? Il ne faut jamais demander un principe aux légistes anglais ni au législateur; les uns s'appuient sur des précédents, et l'autre agit par un motif d'utilité. Il importe que les mariages puissent être célébrés légalement dans les pays où l'on ne peut pas recourir à un officier local, puisqu'il n'y en a pas, le mariage étant un acte religieux. Voilà le motif d'utilité qui légitime la compétence des consuls. Rien de mieux. Mais il importe aussi aux parties intéressées que les mariages célébrés à l'étranger devant un consul britannique soient valables; cela importe aussi à l'Etat, puisque le mariage est la base de l'ordre civil et de la moralité. Il nous faut donc voir quelle est la valeur des mariages célébrés par les consuls anglais.

Il y a un cas dans lequel il est d'évidence que le mariage célébré par un consul britannique est nul, c'est quand aucune des parties n'est Anglaise. De quel droit un consul anglais célèbre-t-il le mariage de deux étrangers? Ce n'est pas en vertu de la fiction de l'exterritorialité, car cette fiction, quand même on l'admettrait en matière d'état civil, n'a jamais été appliquée aux consuls; elle a été imaginée pour justifier les immunités dont jouissent les souverains, en pays étranger, et, par suite, leurs représentants. Or, les consuls n'ont point le caractère représentatif qui n'appartient qu'aux agents diplomatiques. Si l'on écarte cette fiction, il ne reste que le pouvoir que le législateur anglais a en pays étranger; or, en principe, il n'a aucun pouvoir sur des étrangers; donc il n'en peut confier aucun à ses agents. Vainement déclarerait-il valables les mariages célébrés par un consul britannique, ces mariages seraient sans valeur aucune là même où ils auraient été contractés; de sorte que ceux qui se marient aujourd'hui devant un consul ne seraient point légalement unis, et pourraient, par conséquent, dès le lendemain, contracter un second mariage dans les formes prescrites par les lois locales. Quel trouble dans l'état des personnes et dans l'ordre moral! Les prétendus époux unis par le consul seront des concubins, leurs enfants des

bâtards; contractent-ils un nouveau mariage, l'époux remarié sera considéré comme bigame en Angleterre et comme époux légitime ailleurs. Voilà à quoi aboutit l'utilité quand on ne tient aucun compte du droit!

Si le consul britannique célèbre le mariage d'un Anglais avec une étrangère, les conséquences seront les mêmes : car le consul n'a aucune autorité sur l'étranger, il ne peut donc le déclarer uni légalement par le mariage : la loi, au nom de laquelle il prononcerait l'union serait la loi anglaise, or, cette loi n'oblige pas les étrangers. Il y aura donc de nouveau un mariage valable en Angleterre, et nul ailleurs. Je viens de le démontrer en m'appuyant de l'autorité de Merlin et de la jurisprudence française. Les principes sont partout les mêmes, comme le dit la cour de cassation, car ils résultent de l'essence de la souveraineté. A mon avis, il en serait de même des mariages célébrés par un consul britannique entre Anglais. En supposant que la loi anglaise ait empire sur les sujets britanniques en pays étranger, tout ce qui en résulterait, c'est que les mariages célébrés par un consul d'Angleterre seront valables en Angleterre, mais la loi anglaise n'a aucun pouvoir sur le territoire étranger, donc les mariages ainsi célébrés n'auront aucun effet sur ce territoire, partant, ils seront plus que nuls, ils seront inexistants.

255. Le gouvernement anglais a reconnu lui-même que rien ne garantissait la validité des mariages célébrés par les consuls britanniques. On lit dans une circulaire du Foreign Office du 28 février 1867: Mon attention, dit le secrétaire d'Etat, a été appelée dernièrement sur la validité des mariages célébrés dans les hôtels des représentants diplomatiques de Sa Majesté la reine en pays étranger entre sujets anglais et étrangers. Après avoir consulté les officiers légaux de la couronne, j'ai à vous donner pour instruction de faire connaître aux sujets de Sa Majesté, afin qu'ils comprennent bien la situation dans laquelle ils se trouveraient en pareilles circonstances, qu'un mariage ainsi contracté n'est pas nécessairement valide en dehors des possessions de Sa Majesté. » Le secrétaire d'Etat ne dit pas que les mariages seront nuls,

il parle avec la réserve qui convient à un diplomate; ce n'est pas au gouvernement de déclarer nuls des mariages qu'un acte du parlement autorise; la question de nullité sera débattue devant les tribunaux, et les tribunaux décideront. L'arrêt Sommaripa nous apprend comment les tribunaux français jugeraient, et on jugerait de même partout ailleurs, car le principe de souveraineté, en vertu duquel la cour a déclaré nul un mariage célébré par un agent diplomatique entre un Français et une étrangère, est un principe universel dont les tribunaux sont les gardiens. Le lord chancelier d'Angleterre s'est exprimé en ce sens : « Nous ne pouvons faire plus que reconnaître la validité de ces mariages dans notre propre pays. Il va sans dire que nous ne pouvons avoir aucune influence sur des pouvoirs étrangers relativement à la validité des mariages dans leur pays. »

Je ne sais si des mariages célébrés par un consul anglais ont été attaqués et annulés. Voici les faits que je trouve rapportés dans l'enquête que le gouvernement fit à l'occasion de la dernière loi qui fut portée sur le mariage (1) et qui paraît limitée aux sujets britanniques (2). Le sous-secrétaire Hammond s'exprime comme suit : « Il est arrivé des cas où l'on a attaqué des mariages dans lesquels l'une des parties était française, belge ou espagnole, et l'autre anglaise. La validité du mariage a été mise en question, les lois du pays où il a été contracté ne reconnaissant pas de tels mariages. Les embarras qu'un tel état de choses est propre à produire décidèrent le secrétaire d'Etat à envoyer une circulaire à tous nos ministres, circulaire qui sera maintenant étendue à nos consuls. Cette circulaire leur recommande expressément d'avertir les parties, dans tous les cas de mariages mixtes célébrés dans une ambassade ou un consulat britannique, que le mariage n'est réellement et nécessairement valide qu'en Angleterre. » Hammond rappelle un fait récemment sur

(1) The consular marriage act (1868)31 et 32 Vict., c. 61. Je n'ai pas sous les yeux le Report of the royal marriage commission. Mes citations sont empruntées à Lawrence, Commentaire sur Wheaton, t. III, p. 362-364. (2) Phillimore, Private international law, p. 282, no 4008.

venu en Espagne, où l'on arrêta une femme espagnole pour avoir osé se marier et vivre maritalement avec un Anglais, le mariage ayant été célébré au consulat britannique à Barcelone. Le gouvernement anglais n'eut aucun pouvoir pour s'y opposer.

Dans l'enquête faite par la commission royale, on demanda à M. Hammond: «Est-il arrivé à votre connaissance que cette législation ait donné lieu à des suites fâcheuses? Le sous-secrétaire répondit : « Nous avons eu le cas d'une Anglaise qui se maria avec un Français dans ce pays; les autorités françaises ne veulent pas reconnaître ce mariage. J'ai fait allusion à ce qui est arrivé en Espagne en 1850. L'avocat de la reine, à cette époque, ne voulut pas prendre sur lui d'affirmer que le mariage d'un sujet espagnol dans un consulat d'Angleterre devrait être regardé comme valable s'il était contraire à la loi espagnole. » La commission fut d'avis qu'un mariage solennisé par le consul ne devrait être déclaré valable par la loi anglaise que dans le cas où les deux parties seraient sujets anglais.

Ce que la commission dit du mariage entre Anglais et étrangers est vrai aussi du mariage entre Anglais célébré par un consul dans un pays étranger, sans que le souverain de ce pays ait autorisé les agents britanniques à solenniser ces unions. Sans cette autorisation, les agents britanniques sont radicalement incompétents pour célébrer des mariages sur un territoire où le souverain territorial a seul le droit de commander. Si la question de la validité d'un mariage pareil se présentait, je le suppose, devant un tribunal chinois, les juges décideraient certainement qu'un mariage célébré dans l'Empire Céleste par des Barbares de l'Occident, en vertu de leur loi, est, en Chine, sans valeur aucune, pas plus entre Anglais qu'entre Anglais et Chinois.

256. Un acte du Congrès des Etats-Unis du 22 juin 1860 autorise les mariages contractés devant le consul; il porte (§ 31) : << Tout mariage célébré par-devant un officier consulaire en pays étranger, entre des personnes qui seraient autorisées à se marier, si elles résidaient

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