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rentin Concini, qui la gouvernait par sa femme, Léonora Galligaï. Cette femme, fille d'un menuisier, était sœur de lait de la reine. Élevée avec Marie de Médicis, elle avait acquis sur son esprit un empire extraordinaire et l'avait accompagnée à la cour de France : « Pauvre papillon, dit Richelieu, qui ne savoit pas que le feu qui la consumeroit étoit inséparablement uni à l'éclat de cette vive lumière qu'elle suivoit, transportée d'aise et de contentement. >>

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L'autorité de la régente se trouva désarmée, quand un étranger, odieux déjà à ce titre, et d'ailleurs peu capable, eut pris, comme conseiller, la place de l'homme supérieur qui, depuis vingt ans, avait été associé à la bonne et à la mauvaise fortune des Bourbons. Le prince de Condé, le comte de Soissons, son oncle, le duc de Bouillon, le duc de Guise, une foule d'autres encore accoururent pour arracher des pensions qui eurent bien vite épuisé l'épargne amassée par Henri IV à la Bastille. Comment la reine aurait-elle pu résister à leurs exigences, quand son favori donnait le premier l'exemple d'une scandaleuse avidité? Concini puisait à pleines mains dans le trésor; il acheta, en quelques mois, pour 330 000 livres le marquisat d'Ancre (près d'Amiens), pour 200 000 la charge de premier gentilhomme de la chambre; il eut encore, à prix d'or, les lieutenances générales de Péronne, d'Amiens, de Dieppe, de Pont-de-l'Arche, de Quillebœuf, de Bourg en Bresse, etc.; il mit le comble à cette fortune insolente, en prenant le titre de maréchal, sans avoir jamais paru sur un champ de bataille. Léonora travaillait, de son côté, à la prospérité commune, en vendant des grâces, des absolutions. La cour des aides poursuivait des officiers de finance prévaricateurs, elle s'engagea par contrat public à les faire déclarer innocents, moyennant 300000 livres. Première révolte des seigneurs (1634). · Les prétentions des seigneurs s'accrurent avec la faiblesse du gouvernement Les présents de la reine, dit Richelieu, étourdirent la grosse faim de leur avarice et de leur ambition; mais elle ne fut pas pour cela éteinte; l'épargne et les coffres de la Bastille étoient épuisés : alors ils aspirèrent à choses si

1. Le prince de Condé obtint d'abord une pension de 200 000 livres, avec un hôtel à Paris et le comté de Clermont; le comte de Soissons 200 000 écus comptants et une pension de 50 000 livres; le duc de Bouillon 200 000 livres; le duc de Guise 100 000 écus, etc.; mais ces sommes furent bien dépassées dans la suite. Concini ne fut jamais ministre.

grandes, que l'autorité royale ne pouvoit souffrir qu'on leur donnât le surcroît de puissance qu'ils demandoient. Ce qu'ils voulaient, en effet, c'étaient des gouvernements pour eux et leurs familles, des places de sûreté, c'est-à-dire le démembrement de la France. D'Épernon était gouverneur de Metz, mais Henri, se défiant de cet orgueilleux seigneur, lui avait imposé un lieutenant qui occupait la citadelle et correspondait directement avec les ministres; le jour même de la mort du roi, d'Épernon dépêcha l'ordre de mettre la main sur le lieutenant et sur la citadelle. Il eut alors, sur la frontière, à deux pas des Espagnols, une forte place et qu'on appela «son royaume d'Austrasie. » Beaucoup de seigneurs, a la nouvelle de l'assassinat, s'étaient ainsi jetés dans les villes à leur convenance, et quelques-uns n'en avaient plus voulu sortir ou voulaient y rentrer. « Le temps des rois est passé, disaient-ils, celui des grands est venu. » Le premier refus de la régente amena une guerre civile. Condé prit les armes et publia un manifeste, où il accusait la cour d'avoir abaissé la noblesse, dilapidé les finances, et grevé le pauvre peuple: reproches singuliers dans la bouche d'un prince qui avait reçu avec ses amis la plus belle part de cet argent du pauvre peuple. Il terminait, suivant l'usage, en demandant la convocation des états généraux, pour travailler à la réforme des abus.

Élevé dans la religion catholique, mais issu d'une famille protestante, Condé espérait rallier à sa cause l'un et l'autre parti. Un grand nombre de seigneurs vinrent se ranger sous ses drapeaux, et à leur tête les ducs de Vendôme, de Longueville, de Luxembourg, de Mayence, de Nevers, de Retz, etc. Les calvinistes refusèrent de s'associer à cette levée de boucliers: « Nous avons pour notre conscience, disaient-ils, toute la liberté que nous pouvons désirer, et nous ne voulons pas, à l'appétit de quelques factieux, abandonner nos femmes et nos maisons. » Les catholiques ne prenaient pas feu davan-. tage. Depuis les états de la Ligue, il s'était fait un grand apaisement dans les passions populaires. Le parti des politiques né avec l'Hôpital, arrivé au pouvoir avec Henri IV, comptait presque tous les gens de robe et la bourgeoisie. L'expérience, si cruellement achetée par la guerre civile, n'était point perdue. La nation comparait à ces trente-huit années de massacres et de pillages, les douze ans de prospérité qu'elle avait eus, en se serrant autour du trône, et elle

laissait les grands seigneurs agiter dans le vide leur stérile ambition. « Les peuples, écrivait en ce moment Malherbe, demeurent partout en obéissance et de rien faire sans eux, il n'y a pas moyen. » Qu'une main ferme prenne le gouvernail, et même les plus turbulents rentreront dans le repos où Henri IV les avait tenus. Quelques-uns des vieux ministres de Henri IV, Villeroy, Jeannin, conseillaient à la reine d'agir avec vigueur : elle aima mieux traiter à Sainte-Menehould (15 mai 1614). Le prince de Condé reçut 450 000 livres, en argent comptant; le duc de Mayenne, 300 000 pour se marier; M. de Longueville, 100 000 livres de pension, etc. Mais la cour, voulant regagner d'un côté ce qu'elle perdait de l'autre, ne paya pas cette année les rentiers de l'hôtel de ville. Voilà ce qui fut fait pour le pauvre peuple. États généraux de 1614, Les princes firent alors dire secrètement à la régente que si elle désirait ajourner la convocation des états, ils y consentiraient volontiers. Marie de Médicis craignit un piége dans cette proposition, qui aurait ménagé aux princes, pour l'avenir, un nouveau prétexte de révolte; et l'Assemblée s'ouvrit à Paris le 14 octobre 1614. Ce fut la dernière réunion des états généraux avant 1789. Au nombre des députés était un jeune homme de vingt-neuf ans, qui avait déjà gagné assez d'estime dans son ordre pour que le clergé le nommât son orateur, le jour de la présentation des cahiers, l'évêque de Luçon, Armand Duplessis de Richelieu.

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Les trois ordres ne s'entendirent pas; il y eut des paroles et des scènes déplorables. Un membre du tiers fut bâtonné par un député de la noblesse, et ne put obtenir justice. L'orateur de la bourgeoisie ayant osé dire que les Français ne formaient qu'une seule famille, dont les seigneurs étaient les aînés et les gens du tiers les cadets, la noblesse se plaignit au roi de ces mots comme d'un affront : « C'est grande insolence, disait son président, le baron de Sénecé, de vouloir établir quelque sorte d'égalité entre le tiers et la noblesse; car, ajoutaient derrière lui les députés nobles, il y a entre eux et nous autant de différence, comme entre le maître et le valet'. » Le clergé de son côté refusait de prendre aucune part des charges publiques : « Ce serait, disait-il, diminuer l'honneur dû à Dieu. »

1. Les nobles demandèrent dans leurs cahiers qu'il fût interdit à tout roturier de porter arquebuses ni pistolets, d'avoir chiens qui n'eussent les

L'accord ne se trouve pas mieux dans les vœux de l'Assemblée. Le clergé réclamait l'introduction en France de tous les décrets du concile de Trente, que le parlement avait jusqu'àlors repoussés. La noblesse, pour faire pièce au tiers insistait

suppression de la paulette, qui, en établissant l'hérédité des offices, avait commencé la noblesse de robe'. Le tiers, de son côté, voulait qu'on réduisît les pensions payées aux grands, qui, doublées depuis Henri IV, dépassaient cinq millions et demi, et que l'on condamnât les maximes ultramontaines, enseignées encore par quelques évêques, à savoir que le pape peut priver de la royauté les personnes sacrées des rois et dispenser leurs sujets du serment de fidélité. ».

Il ne fut pas difficile aux ministres de profiter de ces divisions on ferma le lieu de réunion des états, sous prétexte qu'on avait besoin de la salle des séances pour donner un ballet (mars 1615). Singulier rapport avec les états de 1789, dont on ferma aussi la salle, mais dont les députés surent en trouver une autre, celle du Jeu de paume, Les députés du tiers, en 1614, devançaient la nation, et, n'étant point compris d'elle, furent sans force; ceux de 1789 eurent derrière eux 25 millions d'hommes qui les écoutaient et les soutenaient.

L'Assemblée de 1614 ne mérite pas le discrédit où elle est tombée; elle n'a rien fait; mais elle montra jusqu'où était arrivée déjà l'éducation politique de la haute bourgeoisie. Les discours de ses orateurs et surtout de son président, Robert Miron, prévôt des marchands de Paris, révèlent une intelligence pratique des affaires et un désir de sages innovations qui étonnent. A leurs yeux, la monarchie absolue est légitime, parce qu'elle est encore nécessaire: le roi, souverain législateur, doit être obéi de tous; mais à la condition qu'il accomplira les réformes intérieures que la nation réclame : « Si Votre Majesté n'y pourvoit, disait Miron, il est à craindre que le désespoir ne fasse connaître au peuple que le soldat n'est

jarrets coupés, de se vêtir, eux ou leurs femmes, comme les nobles, porter velours ou satin, etc., sous peine de 1000 écus d'amende.

de

1. Cependant, les nobles ne dédaignaient plus les places de magistrature et voulaient que le tiers des offices leur fût exclusivement affecté. Quant à la vénalité des charges, la question fut très-sérieusement agitée. Un financier proposa de racheter en douze années tous les offices de judicature et de finance et de remettre ainsi la couronne en possession d'une de ses plus importantes prérogatives, qu'elle avait perdue depuis un siècle, celle de nommer aux fonctions publiques. (Mercure françois, ann. 1614 et 1615.) Le plan ne fut pas adopté. Mais la vénalité des charges resta jusqu'à Louis XIV sous la menace d'une suppression; et cette menace ne fut pas sans quelque effet sur la conduite du parlement dans la Fronde.

autre chose qu'un paysan portant les armes, et que quand le vigneron aura pris l'arquebuse, d'enclume qu'il est, il ne devienne marteau. » Et ils demandent la convocation périodique d'une assemblée générale du royaume au moins tous les dix ans, la liberté des élections urbaines, la garantie, l'extension des priviléges municipaux. Pour les finances', le tiers voulait une plus juste répartition des charges publiques entre les citoyens, l'obligation imposée aux clercs ou gentilshommes ayant maison dans les villes, de contribuer aux charges municipales, et la suppression des offices inutiles; pour la justice: l'égalité de tous devant la loi, l'affranchissement des serfs, l'abolition des tribunaux exceptionnels, une procédure plus rapide et moins coûteuse; pour le commerce et l'industrie : la suppression des douanes intérieures, des jurandes et des maîtrises, la liberté du trafic dans tout le royaume, et l'établissement de droits protecteurs à l'entrée des marchandises étrangères; pour la noblesse : la réduction du nombre de grandes charges militaires, l'abolition des récents anoblissements, la suppression des forteresses dans l'intérieur du royaume, celle des pensions inutiles ou excessives, et la répression sévère des duels, la punition, comme crime de lèse-majesté, de toutes assemblées et levées d'hommes, sans congé du roi, enfin de bons règlements qui soustrairaient le pauvre peuple aux vexations des gouverneurs et gens de guerre; pour l'Église : une meilleure distribution de ses richesses, aux dépens des bénéfices trop opulents, au profit des cures trop pauvres, l'obligation à la résidence imposée aux évêques 2, leur nomination par le roi, mais après

1. Le budget de 1614. - Suivant un état communiqué sous le sceau du secret aux députés, le peuple payait alors 35 millions d'impôts dont il arrivait seulement à l'épargne 16 200 000 livres, et le ministre est mait que le roi avait besoin, pour la conservation de son État et l'entretien de sa maison, de 19 millions, dont 100 000 livres pour son service personnel, 500 000 pour sa garde; autant pour ses bâtiments, 700 000 pour la maison de la reine mère, du frère et de la sœur ainée du roi, 1 370 000 pour voyages, le reste, moins 15 millions, pour la solde des garnisons, des gens de guerre, de l'artillerie, des fortifications, de la marine du levant et du ponant, les ponts et chaussées, les gouverneurs de province, les ambassadeurs, les pensions tant en France qu'à l'étranger, es dettes, etc. (Bazin, Histoire de Louis XIII, t. I, p. 176.) Ainsi les recettes se partageaient alors de cette sorte: un quart pour le prince et sa cour, trois quarts pour l'Etat. Mais si nous tenons compte des 5 660 000 livres de pensions payées à la noblesse, ce sera moitié des recettes que nous trouverons dépensées pour la cour et moitié seulement pour l'État. M. Bailly, ibid., t. I, donne des chiffres, quelque peu différents.

2. On eut à faire en 1640 une communication aux évêques il s'en trouva dix-neuf qui suivaient la cour au lieu d'être dans leur diocèse.

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