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élection de trois candidats par les évêques de la province, le chapitre de la cathédrale et vingt-quatre notables du diocèse, l'ordre donné aux curés de faire viser chaque année les registres de l'état civil au greffe des juridictions,ordinaires, l'interdiction faite aux communautés d'acquérir des immeubles, si ce n'est attenant à leurs maisons ou enclos, et toujours après vérification au parlement, etc. Tels furent les principaux projets de réforme mis en avant par le tiers, et, pour la plupart, bien des fois proposés déjà dans les Assemblées précédentes. On ne leur donna nulle attention alors, parce qu'il ne suffit pas d'être la raison et la justice pour se faire aussitôt accepter de tous. C'est par le travail des siècles que descend dans la foule ce qui n'est longtemps que le rêve des hommes supérieurs. Mais, sans parler de l'Assemblée révolutionnaire de 1356, on peut suivre de 1484 à 1614, à travers les vicissitudes les plus diverses, le progrès continu de la tradition nationale. Richelieu, Colbert, Turgot ne la méconnaîtront pas et chercheront à satisfaire à quelques-unes de ces demandes répétées : le reste attendra le jour où la nation reprendra elle-même tous ces vœux de nos pères, pour y faire droit et à bien d'autres'.

Nouvelle révolte des seigneurs; traité de Loudun (1615-1616). - Les mécontents avaient réclamé la convocation des états généraux pour colorer leur prise d'armes; quand ils eurent épuisé l'argent arraché par leur première révolte, ils en commencèrent une seconde, sous prétexte qu'on ne faisait pas droit aux demandes des états. Condé entraîna cette fois les protestants. Le duc de Rohan souleva les populations des Cévennes, et tout le parti prit les armes pour soutenir une noblesse factieuse. La cour était alors occupée des préparatifs d'un voyage à Bordeaux, où le roi devait recevoir sa fiancée, l'infante Anne d'Autriche, et conduire sa sœur qui épousait en même temps le prince d'Espagne. On ne pouvait retarder le départ, car les Espagnols étaient déjà en marche (octobre 1615). Il fallut une armée pour escorter

1. A propos de l'opposition faite par la noblesse et le clergé à l'article du tiers, touchant l'indépendance absolue de la couronne vis-à-vis du saintsiége, on fit courir à Paris ce quatrain prophétique :

O noblesse, ô clergé, les aînés de la France,
Puisque l'honneur du roi si mal vous maintenez,
Puisque le tiers état en ce point vous devance,
Il faut que vos cadets deviennent vos aînés.

(Aug. Thierry, Essai sur l'histoire du tiers état, p. 147.)

le jeune roi et sa sœur jusqu'à la frontière et ramener l'infante à Paris. Durant tout ce voyage, qui ne ressemblait guère à celui d'un souverain', la cour avait été poursuivie et souvent harcelée par les soldats de Condé et de Rohan : elle acheta une nouvelle paix à Loudun (mai 1616). Louis XIII reconnut le prince et ses amis pour de bons et loyaux sujets, déclarant qu'ils n'avaient rien fait qui ne lui fût très-agréable, et il paya les troupes qu'on avait levées contre lui. Condé seul reçut 1 500 000 livres. Chaque révolte lui rapportait davantage. Celle-ci avait coûté à l'État plus de 20 millions.

Premier ministère de Richelieu. Arrestation de Condé (1616). Le prince revint à Paris, toute la cour s'empressa autour de lui: il sembla un instant le véritable roi de France. La reine, qui gouvernait toujours sous le nom de son fils, poussée à bout par une nouvelle prise d'armes du duc de Longueville, montra enfin plus de fermété. Elle venait de renouveler le ministère; l'évêque de Luçon, que les états de 1614 avaient mis en vue, était devenu grand aumônier de sa maison, puis membre du conseil, où il se faisait fort écouter. Concini trouva que le jeune prélat « en savait plus que tous les barbons. » Il lui fit donner un « des quatre offices des maison et couronne de France, »> avec la charge des affaires étrangères. Aussitôt les mesures de rigueur sont adoptées le 1er septembre 1616, le prince de Condé est arrêté en plein Louvre et jeté à la Bastille; ses partisans qui essayent de soulever Paris et les provinces voisines « s'entendent parler d'un ton qui sentait plus sa majesté royale que la conduite passée. » Richelieu aimait à s'adresser à l'opinion publique : « Des esprits remuants, dit-il, dans une sorte de manifeste, avoient troublé le repos établi par la prudence ́de la reine; en vain avoit-elle tâché de les retenir par des chaînes d'or, ils s'étoient joués de sa clémence et de sa libéralité. Et il montrait Condé extorquant en six années 3 mil

1. L'administration militaire était alors si défectueuse, l'imprévoyance si grande, que, dans le retour de Bordeaux à Tours, qui ne fut guère hâté puisqu'il dura cinq semaines, un grand nombre d'hommes périrent de froid et de maladie, que les vivres et le fourrage manquèrent constamment, et que ce voyage du roi par les provinces les plus riches et les plus peuplées, à travers les villes soumises et rapprochées l'une de l'autre, présenta toutes les misères d'une déroute. (Bazin, ibid., t. I, p. 235.)

2. La commission, datée du 1er novembre, est postérieure de deux mois à l'arrestation du prince de Condé; mais Richelieu fut mêlé à cette affaire et sa nomination fut la récompense du zèle qu'il y montra.

lions et demi, Mayenne 2 millions, Nevers 1 600 000 livres, Longueville 1 200 000, Vendôme 600 000, Bouillon près d'un million, et chacun « cherchant à établir une tyrannie particulière dans chaque province. » Les princes et leurs adhérents furent déclarés criminels de lèse-majesté, déchus de leurs dignités; et trois armées se dirigèrent vers la Picardie, la Champagne et le Berry pour étouffer la révolte. La cause royale aurait triomphé cette fois, si le roi lui-même ne s'était uni aux mécontents pour renverser ses ministres et sortir de tutelle.

Mort de Concini (1617). Concini n'avait qu'une ambition vulgaire. Il aimait la richesse, et le pouvoir l'effrayait, parce qu'il ne se sentait pas de force à le porter. Sans dévouement ni reconnaissance pour la reine, il eût quitté la France, si sa femme eût consenti « à cette lâcheté et ingratitude. Il comptait qu'avec ses huit millions, il pourrait acheter le duché de Ferrare au pape, et que parti de Florence n'ayant pas un sou vaillant, il y rentrerait en prince, sans plus craindre les clameurs de tout un penple contre l'étranger. Il se savait haï, menacé; la populace avait déjà une fois pillé son hôtel à Paris; mais c'était du côté où il ne soupçonnait rien que vint le péril. Louis XIII avait alors seize ans. Ce prince, d'un caractère triste et morose, vivait dans l'isolement, éloigné des affaires par sa mère et par Concini, entouré seulement de quelques pages auxquels il s'attachait parce qu'il avait besoin d'affection. Il s'était épris d'amitié pour un cadet de province, qui lui apprenait à dresser des émérillons et des pies-grièches. C'était Albert de Luynes, fils d'un officier de fortune et déjà âgé de trente-huit ans. Le favori du roi conçut l'espoir de remplacer le favori de la reine. Une conspiration secrète fut tramée entre Louis XIII, son fauconnier et son jardinier; le capitaine des gardes, Vitry, reçut l'ordre d'arrêter Concini et de le tuer s'il résistait. « Le 24 avril, le sieur de Vitry, accompagné de quelque vingt gentilshommes qui le suivaient négligemment en apparence, aborda le maréchal d'Ancre, comme celui-ci entrait dans le Louvre et était encore sur le pont. Il lui dit qu'il le faisait prisonnier de la part du roi. Et, tout en même temps, l'autre n'ayant eu le loisir que de dire: Moi, prisonnier! ils lui tirèrent trois coups de pistolet, dont il tomba roide mort. Un des siens voulut mettre l'épée à la main on cria que c'était la volonté du roi : il se retint. En même temps, le

roi parut à la fenêtre, et tout le Louvre retentit du cri de : Vive le roi! »

Léonora Galigaï eut un plus triste sort. Elle fut accusée de malversation, de complot contre l'État, et surtout de sorcellerie. On lui demanda, dit-on, par quels sortiléges elle avait acquis tant d'empire sur la reine mère : Par l'ascendant, aurait-elle répondu, d'un esprit supérieur sur une âme faible. Elle fut décapitée en place de Grève, et ses restes furent jetés dans les flammes. Marie de Médicis reçut l'ordre de quitter la cour et se retira à Blois; Richelieu fut exilé dans son évêché (1617).

Gouvernement d'Albert de Luynes (1617-1621). Nouvelles prises d'armes. - Les grands avaient applaudi à la chute de Concini, dont ils espéraient profiter. Mais quand ils virent de Luynes s'approprier les dépouilles du maréchal, devenir, en moins de quinze mois, duc et pair et gouverneur de Picardie, épouser une Rohan, qui fut plus tard la trop célèbre duchesse de Chevreuse, et faire d'un de ses frères un duc de Chaulnes, du troisième un duc de PineyLuxembourg, ils se révoltèrent encore, en changeant de dra-` peau : ils s'armèrent en faveur de la reine mère, tout à l'heure leur ennemie; le duc d'Épernon, à la tête de 300 gentilshommes, vint l'arracher de sa prison de Blois, et tenta de soulever avec elle le midi. De Luynes ne fut pas plus habile à leur résister que le maréchal d'Ancre; la paix d'Angoulême, ménagée par Richelieu, accorda à Marie de Médicis le gouvernement de l'Anjou et trois places de sûreté (1619). Bientôt Angers devint le foyer de nouvelles intrigues et le refuge de tous les mécontents. La reine mère voulait ressaisir le pouvoir. Mais le roi s'amusait aux armes. Quand les troupes étaient aux champs, il retrouvait, au milieu de ses soldats, l'ardeur batailleuse de son père; il marcha sur Angers, décidé à poursuivre sa mère jusqu'en Poitou, jusqu'en Guyenne, si elle s'y réfugiait, en jetant le fourreau de son épée deçà la rivière de Loire. » Il n'alla pas si loin; les partisans de la reine mère furent défaits dans une escarmouche sanglante auprès des ponts de Cé; et la route du midi lui étant coupée, elle se trouva heureuse de faire demander par Richelieu la confirmation du premier traité (1620).

A

Organisation républicaine des protestants. cette époque un soulèvement plus redoutable éclata dans le midi: c'était une guerre religieuse. Marie de Médicis

Louis XIII, à sa majorité, avaient suivi la politique de Henri IV à l'égard des protestants, « se déclarant persuadés par l'expérience du passé que la violence n'avoit servi qu'à accroître le nombre de ceux qui étoient sortis de l'Église, au lieu de leur enseigner le moyen d'y rentrer. » Mais les réformés avaient eux-mêmes dépassé l'édit de Nantes. En voyant la reine mère se lier à l'Espagne, ils étaient entrés en défiance, et, à l'assemblée de Saumur en 1611, ils s'étaient donné une véritable organisation républicaine. Ils avaient

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formé de leurs 806 églises 16 provinces partagées en districts. Un consistoire réuni chaque semaine gouvernait l'Église; un colloque, assemblé tous les trois mois, gouvernait le district; un synode annuel traitait des affaires de la province; des synodes nationaux devaient s'assembler tous les trois ans sous un président élu. Pour la politique et la guerre, les provinces se groupaient en cercles, comme en Allemagne. Chaque cercle, ainsi que chaque province, avait son conseil dirigeant qui, au besoin, convoquait une assemblée générale. Enfin deux

1. Les ponts de Cé, qui ont été longtemps le seul passage sur la Loire entre Blois et Nantes, se composaient de 4 ponts ayant 109 arches, et, les îles qu'ils traversent comprises, une longueur de 3 kilomètres.

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