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dommageable; et ils estimaient le courage du cardinal, qui méprisait la propre sûreté de sa personne et la haine de tous les grands pour satisfaire à la fidélité qu'il devait au roi. »

Le duc de Lorraine paya les frais de la guerre. Louis XIII prit en personne Bar-le-Duc et occupa militairement le duché (1634), qui resta aux mains de la France jusqu'à la fin de ce siècle. Quant à Gaston, il fut épargné, parce qu'il était du sang de France qu'il faut respecter; mais il reçut l'ordre de se retirer à Blois; quatre années plus tard, un événement heureux et inattendu lui enleva le titre et le rang d'héritier présomptif de la couronne : Anne d'Autriche donna le jour à Louis XIV (15 septembre 1638).

Une humiliation infligée au duc d'Épernon, le dernier représentant des prétentions féodales, et la condamnation à mort du duc de la Valette pour une faute militaire, montraient à tous que des temps nouveaux étaient venus, ceux de l'obéissance absolue. Pourtant le comte de Soissons, chef d'une branche de Condé, tenta encore une fois de renverser le terrible cardinal. Réfugié à Sedan, auprès du duc de Bouillon, il appela à lui tous les mécontents pour réveiller la guerre civile en France. L'Espagne se hâta de lui donner 7000 hommes. Le maréchal de Châtillon surveillait Sedan avec une armée royale; attaqué à l'improviste dans les bois de la Marfée, à quelques lieues de la ville, il fut vaincu par la défection d'une partie de ses régiments, mais le comte périt, dans la poursuite, d'un coup de pistolet tiré au hasard (juillet 1641). La guerre finit avec lui; le duc de Bouillon s'empressa de faire porter au roi sa soumission.

La dernière conspiration fut celle de Cinq-Mars. Ce fils du marquis d'Effiat avait été placé par Richelieu auprès de Louis XIII pour l'amuser, le distraire et le surveiller. Devenu bientôt favori nécessaire, il fut élevé à la dignité de grand écuyer et rêva la fortune du connétable de Luynes, qui avait commencé comme lui. Il était déjà entré à demi dans le complot du comte de Soissons; ce prince mort, il travailla pour lui-même. Il se flatta de renverser Richelieu avec l'appui de la noblesse et peut-être avec la complicité du roi, qui paraissait fatigué de son ministre. Si le roi n'était pas complice, la reine du moins, ainsi que Monsieur, l'étaient, et le duc de Bouillon avait promis, la mort du roi survenant, de recevoir à Sedan la reine et ses deux fils pour les soustraire au cardinal.

Cinq-Mars se perdit en signant un traité d'alliance avec les Espagnols. Richelieu, alors malade, presque mourant, se procura, à prix d'argent, une copie du traité et l'envoya à Louis XIII. Livré, suivant l'usage, à une commission extraordinaire, Cinq-Mars fut condamné, puis décapité à Lyon (septembre 1642). Ce hardi conspirateur n'avait pas vingt-deux ans. Avec lui périt de Thou, fils de l'historien, qui paya de sa tête le désir de vivre au milieu des grands et de leurs intrigues. Il avait été l'intermédiaire de la reine et du duc de Bouillon. Quant à ce prince, il ne se tira d'affaire qu'en sacrifiant sa principauté : Sedan fut réuni pour toujours à la France.

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Soumission du parlement; assemblées de notables; affermissement de l'autorité royale. La magistrature ne conspirait pas, mais quelquefois elle gênait. En 1617, Richelieu, alors dans l'exil, écrivait : « Le parlement doit une entière obéissance aux volontés du roi, mais il la doit raisonnable. » En changeant de place il changea de point de vue. 11 punit de la destitution, de l'emprisonnement ou de l'exil toute velléité d'opposition. Lorsqu'en 1641, au milieu de la guerre de Trente ans, les magistrats voulurent refuser l'enregistrement de nouvelles taxes, Louis XIII vint tenir un lit de justice, et fit de nouveau entendre les plus hautaines paroles. En vain l'avocat général Omer Talon supplia le roi de se laisser toucher par les prières, « à l'exemple du Dieu vivant dont il était l'image sur la terre; » il fallut obéir, « sans plus de raisons, et cesser de mettre la main au sceptre du souverain. » Défense expresse fut intimée au parlement de faire des remontrances sur les édits concernant le gouvernement et l'administration de l'État. On n'en admit que pour les édits bursaux, à charge d'enregistrer ceux-ci« toute affaire cessante, si le roi jugeoit qu'ils devoient être vérifiés, » nonobstant les remontrances.

Richelieu n'avait pourtant pas de dédain pour l'opinion publique. Comme tous ceux qui sont forts, il en appelait souvent à elle et s'en trouvait bien; mais il aimait mieux dire ce qu'il avait fait que discuter ce qu'il avait à faire. Aussi beaucoup de manifestes, d'exposés de sa conduite, même de ce que nous appelons aujourd hui des articles, qu'il insérait dans le Mercure de France, le plus ancien de tous nos journaux, mais point d'états généraux; seulement quelques rares assemblées de notables, qui, choisis par le roi, avaient moins d'esprit

d'indépendance et pouvaient avoir autant de lumière. Il y en eut une en 1625 au sujet de la Valteline et de la rupture avec le pape; une autre à la fin de 1626. A celle-ci aucun prince ou duc ne fut appelé, mais des magistrats, des ecclésiastiques, des conseillers d'État et le prévôt des marchands de Paris. Le ministre leur développa ses projets pour créer une marine qui protégeât le trafic lointain, pour instituer une armée permanente où les grades seraient accessibles à tous, pour réorganiser les finances en dégrevant les classes laborieuses, pour encourager le commerce et l'industrie en y appelant la haute bourgeoisie et les nobles, enfin pour réformer l'administration intérieure '.

Destruction des forteresses féodales; abolition des grandes charges militaires; les Grands Jours. Dès l'année 1626, Richelieu avait ordonné la démolition des forteresses féodales qui ne pouvaient servir à la défense des frontieres, et qui étaient pour la royauté une menace permanente, pour les villes et les campagnes un objet de terreur, pour les nobles un souvenir de leur ancienne puissance et un encouragement à la révolte. La même année il abolit les charges de grand amiral et de connétable, qui donnaient à ceux qui en étaient revêtus une autorité presque royale sur la flotte et sur l'armée. Ils étaient trop maîtres, et Richelieu voulait l'être partout.

Les acquisitions de la France en Lorraine étaient bien loin de la main du roi; pour que ces pays sentissent l'action du gouvernement, le cardinal créa le parlement de Metz; et,

1. Le chancelier Marillac rédigea sur le cahier de cette assemblée un édit en 461 articles, qui fut présenté au parlement, mais non enregistré, et qui par conséquent n'obtint pas force de loi. On y tenait compte de beaucoup de demandes faites par les états de 1614. Cet essai de réformation générale qu'on appela par dérision le code Michau, blessait beaucoup d'intérêts et tomba par le mauvais vouloir des parlements. La disgrâce de son auteur acheva de le discréditer. Richelieu, occupé de graves questions politiques, n'eut pas le loisir de tenir la main aux réformes civiles. L'article 229 déclarait tous les grades de l'armée accessibles aux roturiers; l'article 452 promettait la noblesse personnelle au négociant qui avait en mer depuis cinq ans un navire de 200 tonneaux, pour tout le temps qu'il continuait son trafic. Le même privilége était accordé au négociant en gros; et il était dit que le gentilhomme qui s'adonnait au trafic par mer ne dérogeait pas.

2. Le château de Pierrefonds, à quelques lieues de Compiègne, fut longtemps la terreur des environs. Un aventurier, Rieux, y soutint un siége contre Henri IV. Richelieu le fit assiéger et démanteler. La résistance de ses murs découragea les démolisseurs et il servit encore, pendant la Fronde, de place forte contre le roi. L'empereur Napoléon III l'a fait restaurer pour qu'il demeurat, comme il en est digne, un magnifique spécimen de l'architecture féodale.

pour avoir une justice plus expéditive, il renouvela l'institution des Grands Jours; ceux de Poitiers, en 1634, condamnèrent, pour exactions et violences, plus de deux cents nobles.

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Création des intendants. Enfin il fit une véritable révolution dans l'administration provinciale par l'institution des intendants. Sous les derniers Valois, les gouverneurs, qui étaient tous de haute noblesse, s'étaient rendus à peu près indépendants dans leurs provinces; et ils regardaient ces charges comme un patrimoine qui devait passer à leurs enfants'. Henri IV avait été obligé d'acheter leur obéissance. Richelieu, qui reprit en toute chose et continua l'œuvre du premier Bourbon en la poussant plus loin, créa des officiers supérieurs de justice, de police et de finances, appelés du nom modeste d'intendants', qui, choisis par le roi dans la roture, sans crédit personnel, furent à la discrétion du ministre (1635). Ces officiers, agents dociles du pouvoir central, exercèrent un contrôle jaloux sur les grands, les parlements, les villes, les États provinciaux; ils concentrèrent peu à peu, entre leurs mains, tous les pouvoirs civils, et finirent par ne laisser aux gouverneurs que l'autorité militaire, nulle dans les provinces intérieures, et la représentation. La royauté gagna à cette institution, origine de nos préfectures, et l'unité nationale en fut fortifiée. Depuis la création d'une armée permanente, sous Charles VII, aucune mesure n'avait frappé plus fortement la nouvelle féodalité.

Commencement d'une organisation de la marine (1631). Une des suites du siége de la Rochelle fut un premier essai d'organisation pour notre marine. Après chaque expédition, les vaisseaux de l'État rentraient en un port où ils restaient sous la garde de leurs capitaines qui ne les gardaient point. Les bâtiments se détérioraient et on perdait un temps infini à les réparer, puis à les rassembler pour les faire agir ensemble. En 1629, Richelieu chargea d'Infreville de vi

1. Le caractère de la maison des Montmorency, qui depuis un long temps étaient gouverneurs du Languedoc, était si avant imprimé dans ces peuples, qu'ils ne croyaient le nom de roi qu'imaginaire. » (Mémoires de Richelieu, ibid., p. 219.)

2. L'institution des intendants de finance remonte à Henri II, mais fut régularisée et étendue par Richelieu. Il n'y eut pas un intendant par province ou circonscription militaire, mais par généralité ou circonscription financière. Supprimés durant la Fronde, ces officiers furent rétablis par Mazarin. Louis XIV les investit de toute l'autorité administrative dans les provinces, et même du pouvoir judiciaire; mais des mutations très-fréquentes ou des destitutions leur faisaient sentir la dépendance dans laquelle le maître voulait les tenir.

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