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CHAPITRE LI.

HISTOIRE EXTÉRIEURE ET CONQUÊTES DE 1661 A 1679.

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État de l'Europe en 1661. Louis XIV avait des ministres habiles, le royaume le plus uni et le mieux situé de l'Europe, une autorité qui, depuis la Fronde, ne trouvait pas devant elle le plus mince obstacle, des finances que Colbert mettait en bon ordre, une armée que Louvois organisait, sous les généraux les plus redoutables, et, derrière cette armée, une nation valeureuse de vingt millions d'âmes'. Sa force était grande; ce qui l'augmentait encore c'était la faiblesse de ses voisins. L'Espagne arrivait à cette profonde décadence vers laquelle la gigantesque ambition de Philippe II l'avait précipitée, et son souverain actuel, Philippe IV (1621-1665), avait perdu pendant quelques années la Catalogne et le royaume de Naples, pour toujours l'Artois, la Cerdagne, le Roussillon et le Portugal. L'Allemagne, divisée en cinq ou six cents États, à peu près indépendants depuis les traités de Westphalie, était le chaos mème, et, par la ligue du Rhin, Louis XIV pouvait l'empêcher d'en sortir. L'Autriche, gouvernée par un prince médiocre, Léopold Ier (1657-1705), était sans crédit dans l'Empire, et elle avait assez à faire que de se défendre contre les Turcs. L'Italie ne comptait plus depuis deux siècles. La Suède, fatiguée de ses efforts héroïques sous le grand Gustave, avait achevé de s'épuiser, dans les guerres aventureuses de Charles X contre les Danois, les Russes et les Polonais. Les Anglais reprenaient à cette heure une dy

1. Saint-Simon dit de Louis XIV: « Sa première entrée dans le monde fut heureuse en esprits distingués de toute espèce. Ses ministres au dedans et au dehors étaient alors les plus forts de l'Europe; ses généraux les plus grands, leurs seconds, les meilleurs. Les mouvements dont l'Etat avait été si furieusement agité au dedans et au dehors depuis la mort de Louis XII avaient formé une quantité d'hommes qui composaient une cour d'habiles et illustres personnages et de courtisans raffinés. » Mémoires t. XIII, p. 2, 3.

nastie, celle des Stuarts (1660), qui, en opposition avec le sentiment national, devait, pendant un quart de siècle, neutraliser leur influence et arrêter leur fortune. Enfin, si la Hollande était riche, puissante par sa marine, elle était sans territoire et, par conséquent, sans force durable. Louis XIV, en regardant l'Europe, quand il se mit à gouverner lui-même, n'y vit donc rien, roi ou peuple, qui pût marcher son égal ou celui de la France; et les premiers actes de sa politique étrangère révélèrent un désir de grandeur, un sentiment de sa dignité, pour tout dire, une hauteur qui étonnèrent, mais que le succès justifia.

Premiers actes de la politique étrangère de Louis XIV. Son ambassadeur à Londres, le comte d'Estrades. fut insulté par les gens de l'ambassadeur espagnol, le baron de Vatteville, dans une cérémonie publique, pour une question de préséance. A cette nouvelle, le roi rappelle l'envoyé qu'il avait à Madrid, renvoie celui d'Espagne, et menace son beaupère de la guerre, si on ne lui accorde une réparation éclatante. Philippe IV cède (1662), et le comte de Fuentès déclare en son nom, à Fontainebleau, en présence de la cour et des ambassadeurs étrangers, que les ministres espagnols ne concourront plus désormais avec ceux de la France. ▾

A Rome, l'ambassadeur français, le duc de Créqui, avait offensé le peuple par ses dédains : les sbires pontificaux tirèrent un jour sur le carrosse de l'ambassadrice et sur les fenêtres de son palais. Louis XIV exigea satisfaction. Comme le pape temporisait, il fit saisir Avignon, et parlait d'envoyer une armée en Italie. Alexandre VII s'humilia: il éleva, au milieu de Rome, une pyramide qui devait rappeler l'injure et la réparation; et son neveu, le cardinal Chigi, vint présenter des excuses à un jeune prince qui n'avait pas encore tiré l'épée (1664).

Le Portugal défendait péniblement son indépendance contre les Espagnols; 4000 vieux soldats et le maréchal de Schomberg affermirent par la victoire de Villaviciosa la maison de Bragance sur le trône (1665).

Les Barbaresques infestaient la Méditerranée : le roi se fait le protecteur de toutes les nations assises au bord de cette mer ou qui y naviguent. Son amiral, le duc de Beaufort, l'ancien roi des halles, donne la chasse aux pirates avec quinze vaisseaux, porte l'incendie dans leurs repaires d'Alger et de Tunis, et force ces barbares à respecter le nom de la France

et le commerce des chrétiens (1665). Un beau dévouement honora cette guerre. Le dey d'Alger avait parmi ses captifs un officier malouin nommé Porcon de la Barbinais; il l'envoya porter au roi des propositions de paix, en lui faisant jurer de revenir, s'il échouait; les têtes de 600 chrétiens répondaient de sa parole. Les propositions étaient inacceptables. Porcon le savait; il va à Saint-Malo, met ordre à ses affaires, puis revient à Alger, certain du sort qui l'attendait : le dey lui fit trancher la tête. Cet homme vaut Régulus et personne ne le connaît.

Le roi venait d'essayer sa marine naissante dans les eaux de la Méditerranée : il acheta pour elle un port important sur la mer du Nord. Le nouveau roi d'Angleterre, Charles II, toujours à court d'argent, lui vendit Dunkerque pour 5 millions, (1662) aussitôt on y creusa des bassins; on entoura la ville de fortifications redoutables, et Dunkerque devint un objet de regret, d'envie et de terreur pour les Anglais. A la même époque il conclut une alliance avec les États généraux pour les lier d'avance à sa politique contre l'Espagne. La guerre ayant éclaté, en 1665, entre ceux-ci et les Anglais, Louis se joignit aux premiers, mais se garda bien d'engager à fond sa flotte; il ne voulait que lui montrer de près l'habileté des meilleurs marins du monde et lui fournir un champ de manœuvre sérieux quoique sans péril. Au traité de Bréda, il rendit Saint-Christophe, Antigoa et Monserrat aux Anglais qui lui restituèrent l'Acadie, région couverte d'immenses forêts et bordée d'excellents ports que les glaces ne ferment jamais, tandis qu'elles interceptent six mois chaque année ceux du Canada (31 juillet 1667).

En 1664, les Turcs menaçaient Vienne; 6000 hommes que Louis envoya à l'Empereur eurent leur bonne part à la victoire de Saint-Gothard qui sauva l'Autriche. Il aida de même les Vénitiens à défendre Candie. De 1665 à 1669, plus de 50 000 Français, en différentes fois, y passèrent. Leur dernier chef, le duc de Beaufort, y périt. Cette assistance prêtée aux ennemis des Ottomans semblait glorieuse, mais était une déviation de la politique séculaire de la France. Louis, qui s'expose ainsi à une rupture avec le vieil allié de François Ier et de Henri IV, renoncera bientôt à l'autre partie de leur politique, à l'alliance des protestants. Il reprendra le rôle de CharlesQuint et de Philippe II, celui de chef armé du catholicisme et de monarque absolu; il prétendra, comme eux, à la pré

pondérance en Europe, et cette ambition fera le malheur de la France, comme elle avait fait celui de l'Espagne.

Guerre de Flandre (1667); droit de dévolution. La mort du roi d'Espagne, en 1665, fut l'occasion de la première guerre de Louis XIV. Philippe IV ne laissait qu'un fils âgé de quatre ans, Charles II, qu'il avait eu d'une seconde femme. L'infante Marie-Thérèse, depuis six années reine de France, était née d'un premier mariage. Or, c'était l'usage dans les Pays-Bas que l'héritage paternel fût donné ou dévolu aux enfants du premier lit, à l'exclusion de ceux du second. Louis XIV réclama ces provinces au nom de sa femme. La cour d'Espagne consulta des jurisconsultes et des théologiens, quand il aurait fallu lever une armée; elle soutint que ce droit de dévolution était une coutume civile, qui ne pouvait être appliquée, dans l'ordre politique, à la transmission des États; et que d'ailleurs l'infante, en se mariant, avait renoncé à toute prétention sur la monarchie de son père. Le ministère français répondit que les renonciations étaient nulles, par ces motifs que Marie-Thérèse était mineure lorsque son père avait exigé d'elle cette renonciation, et que la dot, condition essentielle du contrat, n'avait pas été payée; qu'enfin les Pays-Bas étant le patrimoine héréditaire des rois d'Espagne, plutôt qu'une possession de la couronne, devaient être régis, comme les domaines privés, par le droit de dévolution. La première raison avait quelque apparence de fondement; la seconde n'était pas même spécieuse: mais le roi de France comptait bien plus sur ses armes que sur ses raisons.

Les Pays-Bas n'avaient point alors de nationalité parce que, depuis le quatorzième siècle, ils n'avaient eu que des maîtres étrangers. Ces provinces, continuation naturelle de notre territoire et de notre idiome, ne répugnaient pas alors à une union avec la France, cette guerre était donc utile et légitime autant que peut l'ètre une guerre d'invasion.

« L'Espagne manquait de marine, d'armée, d'argent. Le pays qui avait envoyé plus de cent vaisseaux à Lépante contre les Turcs, et qui en avait réuni plus de cent soixante-quinze en 1588 contre l'Angleterre, se vit réduit à en emprunter quelques-uns à des navigateurs génois pour son service du Nouveau Monde. Après avoir eu des armées formidables sur tout le continent, il ne pouvait plus entretenir un effectif de 20 000 hommes. Avec les mines du Nouveau Monde, il était obligé de recourir à des souscriptions pour se défendre ou pour

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