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décisive. Les alliés avaient 80 000 hommes; la France, que l'Europe croyait épuisée, en fournit 100 000. Louis XIV les donna à son petit-fils le duc de Bourgogne, à qui Vendôme servait de lieutenant. Il eût fallu le placer seul à la tête des troupes. La division du commandement amena un nouveau désastre; l'armée fut mise en déroute à Oudenarde, au passage de l'Escaut (11 juillet 1708). Ce ne fut pas une grande bataille, mais une grosse affaire d'avant-poste, qui nous coûta à peine 1500 hommes. Beaucoup de corps ne furent point engagés, et le soir rien n'était perdu. Aussi Vendôme proposait de recommencer le lendemain; le duc de Bourgogne et ses conseillers s'y refusèrent. « Il faut donc se retirer, s'écria Vendôme avec rage, puisque vous le voulez tous. Aussi bien, ajouta-t-il en regardant le petit-fils de Louis XIV, il y a longtemps, Monseigneur, que vous en avez envie. » La retraite fut désastreuse comme celle de Turin. Les régiments allaient à l'aventure, sans ordre, sans chef; l'ennemi suryint, qui tua ou prit plus de 10 000 hommes, Gand, Bruges se rendirent; Lille même capitula, malgré une défense héroïque de Boufflers (octobre 1708), et la France fut ouverte aux alliés. Un parti de Hollandais courut jusqu'auprès de Versailles et enleva sur le pont de Sèvres le premier écuyer du roi, qu'ils prirent pour le dauphin.

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La France et l'Espagne commencent à se relever; batailles de Malplaquet (1709) et de Villaviciosa (1710). L'hiver de 1709 accrut nos malheurs : les oliviers gelèrent dans le midi de la France, les arbres fruitiers et les blés dans le nord2. La famine vint à la suite. On vit les laquais du roi mendier aux portes de Versailles, et Mme de Maintenon manger du pain d'avoine. Louis XIV s'humilia et demanda la paix. Mais les triumvirs ne le trouvaient pas assez abaissé. Ils exigèrent qu'il rendit Strasbourg, qu'il renonçât à la souveraineté de l'Alsace; qu'il chassât lui-même son petit-fils de l'Espagne. « Puisqu'il faut faire la guerre, répondit-il, j'aime mieux la faire à mes ennemis qu'à mes en

1. Il tint 72 jours dans la ville, et quand il l'eut rendue, il se défendit encore 47 jours dans la citadelle. Le prince Eugène, plein d'admiration, lui laissa rédiger les articles de la capitulation tels qu'il les voulut et accepta à souper le soir même dans la citadelle. « On nous servit, dit-il, un rôti de chair de cheval. » Pendant tout le siége, on joua tous les soirs la comédie, malgré les boulets et les bombes. Le directeur du théâtre fit une recette de cent mille francs.

2. Il y eut à Paris, du 5 au 21 janvier, jusqu'à 23°; à Montpellier, 160; le 13 mars, il y avait encore 5o8 à Paris.

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fants; et il écrivit aux gouverneurs, aux évêques, aux communes, une lettre où il les faisait juges entre ses ennemis et lui.

Ce noble appel au patriotisme remua toute la France; ceux qui manquaient de pain se firent soldats, et on eut encore une armée aussi forte que celle des coalisés. Villars en reçut le commandement. Desmarets trouva de l'argent « en faisant de fortes saignées aux gens de finances. Saint-Malo, que la

guerre enrichissait, prêta 30 millions. On vit bien que cette lutte était devenue nationale à la bataille de Malplaquet, près de Mons (11 septembre 1709). Les alliés avaient environ 120 000 hommes et 160 pièces de canon, le maréchal 90 000 combattants et une artillerie de 80 pièces. Quand l'action commença, les soldats qui avaient manqué de pain un jour entier venaient de le recevoir : ils le jetèrent pour courir plus légèrement au combat. La gauche des ennemis fut presque toute détruite; mais Marlborough, à la droite, faisait plier notre ligne. Villars y porta quelques réserves du centre, chargea à leur tête et fut blessé d'une balle qui lui fracassa le genou. Le centre dégarni fut alors attaqué avec vigueur, les retranchements qui le recouvraient emportés. Il fallut se retirer. Mais nous n'avions que 8000 hommes hors de combat, et les alliés 21 000. L'armée recula entre le Quesnoy et Valenciennes, emportant plusieurs drapeaux et étendards ennemis. Ces dépouilles consolèrent Louis XIV, et on compta pour une victoire l'honneur de n'avoir perdu que le champ de bataille.

Cette glorieuse défaite annonçait le terme de nos revers. L'année suivante, les alliés essuyèrent un véritable désastre. Louis XIV envoya en Espagne le duc de Vendôme disgracié depuis la malheureuse campagne d'Oudenarde. Son nom seul valait une armée. Une foule de volontaires vinrent se ranger sous ses ordres, et Philippe V, qui n'avait encore paru sur aucun champ de bataille, se mit à la tête de ses troupes. La nation espagnole se réveilla comme la France à la voix de Louis XIV. Les habitants des campagnes commencèrent cette guerre de guérillas qui, sur le sol découpé de l'Espagne, a toujours été fatale aux étrangers; enfin le général de l'archiduc, le comte Stahremberg, fut complétement vaincu à Villaviciosa (9 décembre 1710). On raconte qu'après la bataille, le duc de Vendôme dit à Philippe V, accablé de fatigue: Je vais vous faire donner le plus beau lit sur lequel jamais roi

ait couché, » et il fit réunir en un monceau les étendards et les drapeaux ennemis. Cette victoire sauvait la couronne de Philippe V, et par contre-coup le Canada, alors menacé par une expédition formidable qui attendait pour agir l'armée et la flotte anglaises, que le succès de Vendôme retint sur les côtes d'Espagne.

Défection de l'Angleterre (1711); bataille de Denain (1712). Cette vigueur inattendue de deux peuples qu'on croyait près de succomber étonna les alliés : la lassitude aussi les gagnait, surtout l'Angleterre, dont les subsides alimentaient la coalition et qui avait grevé sa dette publique de 60 millions de livres sterling. Une intrigue de cour précipita le dénoûment que l'opinion publique, souveraine en un -pays libre, préparait déjà, et que la reine elle-même souhaitait. La duchesse de Marlborough fatiguait la reine Anne de ses hauteurs; tombée en disgrâce, elle y entraina les amis, les parents de son époux, et quelque temps après le duc lui-même. Le vicomte de Bolingbroke et le comte d'Oxford formèrent un nouveau ministère, et la majorité qu'ils obtinrent dans la chambre des communes récemment renouvelée, prouva que la nation elle-même acceptait le changement qui allait s'opérer dans la politique extérieure de l'Angleterre.

Marlborough et les whigs ses amis devaient leur influence à la guerre; les tories, nouveaux conseillers de la couronne, cherchèrent à fonder leur crédit sur la paix. Au mois de janvier 1711, un prêtre inconnu, l'abbé Gauthier, lié avec lord Bolingbroke, se rendit chez le marquis de Torcy, et lui dit sans préambule : «Voulez-vous la paix, monsieur? Je viens vous apporter les moyens de la faire !» « C'était, dit Torcy, demander à un mourant s'il voulait guérir. » Des négociations secrètes commencèrent: un événement imprévu permit de les rendre publiques. L'empereur Joseph Ier, qui avait succédé à Léopold en 1705, mourut le 17 avril 1711, sans laisser d'autre héritier que son frère l'archiduc Charles. L'Angleterre, qui avait combattu pour séparer l'Espagne de la France, n'entendait pas continuer la guerre pour unir l'Espagne à l'Autriche et reconstituer de ses mains la puissance de Charles-Quint Une suspension d'armes fut aussitôt convenue, et les prélimi naires de la paix furent signés à Londres, le 8 octobre 1711. Cet exemple entraîna les alliés; un congrès s'ouvrit à Utrecht, le 29 janvier 1712. L'Empereur et l'Empire refusèrent d'y

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prendre part: mais les forces étaient devenues inégales, et une seule campagne suffit à prouver que l'Allemagne ne pouvait se passer de l'Europe pour abattre la France:

Le prince Eugène se tenait entre l'Escaut et la Sambre avec 100 000 hommes; il avait pris le Quesnoy dans l'intervalle qui sépare les deux fleuves, il occupait, sur le haut Escaut, Bouchain, d'où il contenait les garnisons de Valenciennes et de Condé : il assiégeait Landrecies sur la haute Sambre, qui lui servirait de barrière contre Maubeuge et Charleroi, et il appelait très-justement ses lignes le chemin de Paris, car Landrecies tombé, il ne voyait plus de place forte entre Paris et son armée; et s'il lui arrivait malheur sur cette route, il lui restait toujours, pour rentrer aux Pays-Bas, la porte qu'il venait de s'ouvrir. Déjà des détachements ennemis ravageaient la Champagne; Reims avait été insulté. L'alarme se répandait dans tout le royaume; le roi dit à Villars La confiance que j'ai en vous est bien marquée, puisque je vous remets les forces et le salut de l'État. Je connais votre zèle et la force de mes troupes; mais enfin la fortune peut leur être contraire. Si ce malheur arrivait, je compte aller à Péronne ou à Saint-Quentin y ramasser tout ce que j'aurai de troupes, faire un dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l'État. Quels qu'aient été les fautes et l'orgueil de Louis XIV, il sera beaucoup pardonné au prince qui eut cette noble confiance dans son peuple, et ce culte de l'honneur national. Une imprudence d'Eugène et l'heureuse audace de Villars délivrèrent le roi et la France d'inquiétude. Les lignes des Impériaux, longues de douze à quinze lieues, étaient trop étendues et leurs corps trop éloignés les uns des autres, pour être à portée de se soutenir. Villars profite de cette faute; il donne le change au prince Eugène par une fausse attaque du côté de Landrecies, et marche en toute hâte sur Denain, où était le comte d'Albemarle. On lui demandait des fascines pour passer le fossé du camp: « Les corps de nos gens seront nos fascines, dit-il. Le camp est emporté et 17 bataillons détruits (24 juillet 1712). Eugène accourt; il est repoussé; tous les postes, le long de la Scarpe, sont successivement enlevés (30 juillet); Landrecies est délivré; Douai, Marchiennes, Bouchain et le Quesnoy sont repris; les frontières de la France, comme la gloire du roi, sont en sûreté (septembre et octobre.)

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