Page images
PDF
EPUB

dixième sur les biens-fonds et de l'arriéré dû sur les tailles, le pays d'une foule d'immunités onéreuses'. Enfin, s'il fit des ruines douloureuses, comme celle de la veuve Racine, dont、 le patrimoine, gagné par des vers immortels, passa à quelques habiles de la rue Quincampoix, il améliora la fortune publique par une réduction de 20 millions sur l'impôt, et par une répartition plus favorable pour les classes inférieures. Mais en bouleversant les conditions et les fortunes, il accéléra aussi l'ébranlement déjà commencé des mœurs et des idées. Cette cour, d'aspect solennel et grave autour de Louis XIV, s'était dispersée. Elle ne pouvait renaître sous un roi mineur qui n'avait pas la distribution des grâces, avec un régent qui voulait bien prendre quelques instants sur ses plaisirs pour les donner aux affaires, mais qui n'entendait pas en sacrifier un seul à l'étiquette et à la représentation. A son exemple, chacun rejetait toute retenue, toute gêne, dans les grandes comme dans les petites choses. Cela se vit jusque dans la mode. Le sévère et le majestueux furent bannis pour le piquant et le joli. Le pinceau roidement noble de Lebrun ne déroula plus sur les vastes murailles des palais d'immenses scènes héroïques; mais Boucher égaya les trumeaux d'élégants boudoirs par de riantes et fades bergeries, baignées de rose et de bleu de ciel.

Si les arts déclinent, les mœurs s'en vont; et le cynisme de la conduite, comme celui de la pensée, s'affiche tout haut. Le régent lui-même en donne exemple. Il se permet tout; il n'interdit rien et brise lui-même les vieilles idoles : « Qu'importe à l'État, dit-il, que ce soit moi ou mon laquais qui soit en carrosse.» Jamais il ne s'était vu telle légèreté de mœurs ni telle licence d'esprit que dans ces réunions folles des roués du duc d'Orléans. Il n'y avait naguère qu'un salon en France, celui du roi; mille maintenant se sont ouverts à une société qui, n'ayant plus pour occuper sa vie les préoccupations religieuses, car Bossuet et Fénelon sont morts, ni la guerre puisqu'on parle de paix perpétuelle, ni les graves futilités de l'étiquette, puisque Versailles est désert, demande du mou

1. Law avait repris l'idée de Vauban, l'unité d'impôt; il fit supprimer un grand nombre de charges inutiles. L'arrêté des 15 et 19 septembre 1719, pour la suppression des offices crées sur les ports, halles, quais, etc., fit baisser de 3 à 4 pour 100 le prix des bois, charbons, grains, viandes, boissons, etc. On lui doit aussi l'établissement de l'instruction gratuite dans l'Université de Paris, arrêt du conseil du 15 mars 1720.

[graphic][subsumed][subsumed][merged small]

vement et du plaisir à ceux qui donnent tout cela, aux beaux esprits, aux gens de lettres, en laissant les coudées franches, même aux plus aventureux.

L'OEdipe de Voltaire et les Lettres persanes de Montesquieu qui commencent le feu contre l'ancien régime, sont l'un de 1718, les autres de 1721, et il y avait trente-six ans à peine que la Bruyère se, plaignait que, né chrétien et Français, les grands sujets lui fussent interdits.

Peste de Marseille (1720). Durant ces saturnales de la cour, un terrible fléau avait désolé la Provence, où la peste enleva 85 000 personnes. L'admirable dévouement, à Marseille, de l'évêque Belzunce, du chancelier Rose et de plusieurs échevins, qui prodiguèrent mille fois leur vie pour sauver celle de leurs concitoyens, consola la France épouvantée de cette calamité. Et comme le dévouement aussi est contagieux, les fermiers généraux donnèrent trois millions pour nourrir cette malheureuse province durant la disette qui succéda à l'épidémie. Le père de Vauvenargues était alors premier consul d'Aix; il resta à son poste, s'y conduisit bien et eut en récompense sa seigneurie érigée en marquisat. Voilà un marquis qui fait passer sur bien d'autres.

Mort de Dubois et du duc d'Orléans (1723). — Le 13 février 1723, Louis XV fut déclaré majeur; il avait treize ans accomplis. Cette déclaration mettait un terme à la régence du duc d'Orléans. Mais le roi devait rester longtemps encore en tutelle; le duc, pour conserver le pouvoir après la régence, avait auparavant donné à Dubois le titre de premier ministre, qu'il prit pour lui-même à la mort de ce triste personnage, et qu'il ne garda que quatre mois. Il mourut le 2 décembre 1723, d'une attaque d'apoplexie que tout le monde et lui-même voyaient venir, qu'il pouvait mais qu'il ne voulut pas retarder, en changeant les habitudes meurtrières d'une vie de débauches 1. La France avait été huit années entre ses mains; ce temps avait suffi pour que la révolution morale préparée dans les dernières années de Louis XIV éclatât. Il eût fallu, pour en conjurer les conséquences politiques et sociales, un grand règne, et le prince

1. Une institution importante appartient au régent, la création de l'administration des ponts et chaussées en 1722. Il voulait, pour relever l'agriculture, et le commerce ruinés dans les dernières années de Louis XIV, couvrir tout le royaume d'un réseau de routes d'une étendue de 1200 lieues.

qui va régner donnera l'exemple de tous les scandales, développera tous les abus et humiliera la France devant l'étranger.

CHAPITRE LVI.

RÈGNE DE LOUIS XV DE 1723 A 1774.

Le

Ministère du duc de Bourbon (1723-1726). duc de Bourbon, devenu premier ministre à la mort de l'ancien régent, avait des mœurs à peine meilleures que son prédécesseur. Cependant il montra une grande rigueur contre les protestants et contre les jansénistes. Il renouvela, il aggrava même les sévérités de Louis XIV. Non-seulement les réformés furent obligés de se convertir, mais ceux qui simulaient une conversion étaient condamnés à mort comme relaps; le mourant, qui se déclarait protestant et revenait à la santé, était banni, avec confiscation de ses biens. Enfin on renouvela la déclaration du 8 mars 1715 portant, contre tous ceux qui mouraient après refus des sacrements, que leur cadavre serait jeté à la voirie et leurs biens confisqués. L'émigration recommença, comme après la révocation de l'édit de Nantes; le sénat de Stockholm offrit la Suède pour asile aux fugitifs; et le gouvernement fut contraint, par le cri public, d'adoucir lui-même ses rigueurs.

Le ministère anglais avait continué à Mme de Prie, toutepuissante sur le duc de Bourbon, la pension qu'il faisait à Dubois; le duc retenait donc la France dans l'alliance de l'Angleterre. Il scella cette amitié par une nouvelle et insultante rupture avec l'Espagne. Le régent, vers la fin de sa vie, s'était rapproché du cabinet de Madrid et avait demandé pour Louis XV la main d'une infante. La jeune princesse, âgée de quatre ans, fut amenée à Paris afin d'être élevée au milieu de la cour où elle devait régner. Ce mariage était de la bonne politique pour tout le monde, mais surtout pour la maison d'Orléans, puisque ne pouvant s'accomplir que bien

tard, il laissait le trône longtemps sans héritier et par conséquent ouvert au premier prince du sang. De telles combinaisons ne convenaient nullement au duc de Bourbon, devenu ministre. Qu'un accident livre la couronne au nouveau duc d'Orléans, ce serait la ruine de la maison de Bourbon. Aussi le duc se montra-t-il très-alarmé d'une maladie que fit le jeune roi. Le prince à peine rétabli, sans tenir compte ni du mécontentement de l'Espagne, ni des propositions de la czarine, qui offrait sa fille avec l'utile alliance de la Russie, il voulut donner au roi une épouse qui, privée d'appui au dehors, dût tout au ministre et s'en montra reconnaissante. La marquise de Prie songea d'abord à une sœur même du duc de Bourbon; mais la hauteur avec laquelle cette princesse la reçut, lui fit craindre pour son pouvoir. Alors vivait à Wissembourg, de quelque argent que lui faisait la France, un noble Polonais, Stanislas Leczinski, dépouillé de la couronne que Charles XII lui avait jadis donnée. Un jour il entre tout ému dans la chambre où étaient réunies sa femme sa fille « Mettons-nous à genoux, s'écrie-t-il, et remercions Dieu !

[ocr errors]

Seriez-vous rappelé au trône de Pologne ? dit sa

fille. C'est bien mieux, vous êtes reine de France. » C'est en effet sur la pieuse et douce Marie Leczinska que le premier ministre avait jeté les yeux, quoiqu'elle fût de sept ans plus âgée que le roi, bien pauvre, sans beauté et déjà sans jeunesse. Le jour de son mariage elle distribua toute sa corbeille aux dames du Palais : « Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j'ai pu faire des présents'. » L'infante d'Espagne fut renvoyée à son père; c'était, depuis dix ans, la seconde répudiation de la politique de Louis XIV.

Philippe V, indigné de cette insulte, s'empressa de conclure avec l'Autriche le traité de Vienne (1725). Charles VI avait fondé à Ostende, pour le commerce des Indes, une compagnie rivale des compagnies anglaise et hollandaise. Le roi d'Espagne accorda aux négociants autrichiens des priviléges étendus dans tous les ports de ses domaines. L'Empereur avait promulgué une pragmatique sanction par laquelle il assurait la succession à ses filles, contrairement aux coutumes des pays autrichiens; Philippe V garantit cet acte. En retour, l'Empereur s'engageait à aider l'Espagne à reprendre Gibraltar et Port-Mahon, il renouvelait les promesses faites

1. Lettre de Voltaire, 17 sept. 1725.

« PreviousContinue »