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prise de la Bastille, Napoléon distribua, dans l'hôtel des Invalides, les grandes décorations de l'ordre aux principaux personnages de l'Empire. Le 16 août, il donna lui-même aux soldats du camp de Boulogne la croix qui devait remplacer les armes d'honneur que la république décernait auparavant aux plus braves. Ce fut une fête militaire grandiose, telle que le monde n'en a jamais vu. Cent mille hommes, héros de vingt batailles, se rangèrent au pied du trône impérial, qui s'élevait sur un tertre naturel descendant en pente douce jusqu'au rivage. De là on découvrait l'Océan, la flotte anglaise qui barrait le canal, et au loin, cachée dans la brume, cette Angleterre où tous brûlaient de descendre, où un bon vent et six heures de fortune pouvaient les conduire'. Une division de la flottille partie du Havre entrait en ce moment au port; les Anglais, pour troubler sa marche, engagèrent avec elle une vive canonnade, et ce fut au bruit aimé du canon ennemi, se mêlant aux fanfares guerrières, qu'officiers et soldats, nobles de vieille souche ou fils de paysans, vinrent recevoir cette croix achetée au prix de leur sang.

Napoléon, roi d'Italie. La république italienne, constituée à l'image de la république française, en suivit jusqu'au bout les vicissitudes. L'Italie, énervée par une servitude séculaire, par des divisions qui dataient de la chute de l'empire romain, ue pouvait, livrée à elle-même, ni se défendre, ni s'unir. Que la main de la France, qui depuis huit ans la protége, se retire un moment, et l'Autriche la ressaisit; que la main de Napoléon, qui la tient réunie, s'ouvre et s'éloigne, et elle retombe dans ses éternelles rivalités. « Vous n'avez que des lois locales, disait-il aux députés de la république cisalpine, il vous faut des lois générales. » Il voulait dire que l'Italie n'étant qu'un assemblage incohérent de municipalités envieuses, ennemies les unes des autres; que Gênes étant jalouse de Turin, Venise de Milan, Bologne de Florence, que chaque grande ville s'obstinant à avoir une vie propre, indépendante, il en résultait qu'il n'y avait pas de vie commune, nationale; point d'unité, point d'État. Cette unité, que l'Italie commence à connaître, elle pouvait la trouver sous la tutelle amie et éclairée de la France. Beaucoup d'Italiens le compre

1. Napoléon écrivait, le 10 novembre 1803 : « J'ai vu des hauteurs d'Ambleteuse les côtes d'Angleterre ; on distinguait les maisons, le mouvement. C'est un fossé qui sera franchi lorsqu'on aura l'audace de le tenter. »

naient, et quand l'empire eut été proclamé à Paris, la royauté le fut à Milan.

Les Italiens acceptaient bien d'être défendus par la France', mais ils désiraient qu'on leur sauvât l'apparence de la sujétion. Napoléon entra dans leurs vues et offrit la couronne du royaume d'Italie à son frère Joseph, qui la refusa. Il la prit alors lui-même; mais pour ne pas trop blesser les puissances qui s'alarmaient de cette réunion de l'Italie à la France, il déclara qu'à la paix générale il donnerait cette royauté à un prince français; Eugène Beauharnais, fils de l'Impératrice Joséphine, fut envoyé comme vice-roi à Milan.

Ainsi, Napoléon était empereur et roi d'Italie: comme médiateur de la Confédération helvétique, il avait déjà la Suisse sous son influence et des régiments suisses dans son armée. Austerlitz le fera protecteur de la Confédération du Rhin. Il sera bien près alors d'avoir reconstitué l'empire de Charlemagne, et ses généraux lui demanderont s'il ne veut pas être salué du titre d'Empereur d'Occident.

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Camp de Boulogne. Le continent se taisait en face de cette Révolution qui mettait déjà deux couronnes sur la tête d'un soldat. L'Angleterre seule bravait sa colère, derrière son infranchissable fossé de la Manche; mais Napoléon, n'ayant plus qu'elle pour ennemi, pouvait appliquer au projet de descente ses immenses ressources et son génie. Quelques jours ne s'étaient pas écoulés depuis la rupture de la paix d'Amiens, qu'il régnait dans tous nos ports une activité depuis longtemps inconnue. Il ne s'agissait pas de construire des vaisseaux de haut bord; des chaloupes canonnières, des bateaux plats, des péniches, allant tous à la voile et à la rame, suffisaient pour porter l'expédition. Aussi travailla-t-on non-seulement dans les ports, mais sur toutes les rivières d'où l'on pouvait descendre à la mer. A Paris, 80 chaloupes canonnières furent mises en chantier au bord de la Seine, lancées et conduites au Havre, où réunies à d'autres divisions, elles furent équipées, armées et dirigées, le long des côtes, vers le Pas-de-Calais. Des escadrons de cavalerie et de l'artillerie légère suivaient sur le rivage tous leurs mouvements, prêts à les protéger contre une attaque ennemie.

1. L'Italie ne payait à la France qu'un subside de 22 millions, et la France entretenait en Italie, pour la défendre, 60 000 soldats.

De la Loire, de la Gironde, de la Charente, de l'Adour et de tous les ports de la côte sortirent de semblables flottilles. 1200 à 1300 bâtiments ainsi rassemblés devaient être concentrés à Boulogne et dans les ports du voisinage, à Étaples, à Wimereux, à Ambleteuse, que Napoléon fit approfondir. 150 000 hommes se rangèrent à proximité de ces ports, et, comme les légions romaines, quittant leurs armes pour la pioche, travaillèrent eux-mêmes à les creuser. Pour qu'ils ne fussent pas troublés dans leurs travaux, Napoléon imagina divers moyens de tenir l'ennemi à distance. Il établit plusieurs lignes de batteries sous-marines armées de gros canons que la marée haute recouvrait et que la mer basse découvrait; de sorte que les feux semblaient avancer et reculer avec la mer même. 500 bouches à feu du plus fort calibre furent mises en batteries sur les falaises que les Anglais appelèrent la côte de fer, et des forts construits en pleine mer achevèrent d'interdire à l'ennemi l'approche du port. Plusieurs de ces batteries lançaient des projectiles creux, dont un seul éclatant dans le corps d'un navire y faisait d'irréparables ravages. Dès l'hiver de 1803, les préparatifs étaient assez avancés, les matelots et les soldats assez exercés, pour que Napoléon pût fixer à cette époque la descente. La conspiration de Georges et de Moreau, la proclamation de l'empire détournèrent un instant son attention du camp de Boulogne; mais il l'y ramena avec une nouvelle énergie, dès que les questions soulevées par ce grand changement eurent été résolues.

Il y avait plusieurs chances pour franchir le détroit: par un calme qui tiendrait la flotte anglaise immobile, ou après une tempête qui l'aurait chassée du détroit; à la faveur de la nuit et des brumes épaisses de l'hiver, ou grâce à une combinaison qui amènerait dans le canal, ne fût-ce que pour quelques heures, une flotte française supérieure 1. Cette dernière chance eût été la meilleure. Napoléon la prépara avec un secret profond et une merveilleuse habileté. L'amiral Villeneuve, sorti de Toulon avec toutes les forces de ce port, devait rallier en passant l'escadre espagnole de l'amiral Gravina à Cadix, aller aux Antilles, faire beaucoup de bruit de ce côté, y attirer Nelson qui gardait la Méditerranée, et, avant

1. Il y avait un autre moyen de passer avec des bateaux à vapeur, que Fulton, après Papin et le marquis de Jouffroy, venait d'inventer; mais le projet parut alors inexécutable. Il ne le serait plus aujourd'hui.

d'en être atteint, remonter vers l'Europe quand on l'aurait cru parti peut-être pour frapper un grand coup sur l'Inde anglaise, débloquer l'escadre du Ferrol, celle de Brest, enfin, entrer dans la Manche avec 50 vaisseaux, qui fussent restés maîtres du détroit, jusqu'au moment où l'amirauté anglaise eût pu réunir ses flottes éparses sur toutes les mers. Mais, avant ce moment, la flottille passait, et, avec elle, 150 000 soldats et le sort du monde.

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D'abord tout réussit à souhait : Nelson qui surveillait Toulon fut trompé. Tandis qu'après avoir perdu du temps à chercher où la flotte française était passée, il courait après elle, au fond du golfe du Mexique, Villeneuve revenait en Europe; mais il se laissa arrêter à la hauteur du cap Finistère, en Galice, par une bataille avec l'amiral Calder. L'issue en fut

1. La première pierre de cette colonne fut posée trois mois après par le maréchal Soult. La colonne a 50 mètres de haut, 4 de diamètre et porte une statue de bronze de Napoléon, en manteau impérial. L'inauguration eut lieu

en 1811.

incertaine, et plutôt à l'avantage de l'amiral français, qui n'avait perdu que deux mauvais vaisseaux espagnols. Il pouvait continuer sa route et accomplir le plan de Napoléon. Il n'en eut pas le courage et revint réparer ses avaries à Cadix, où il fut bientôt bloqué.

Au moment où ce plan magnifique échouait, Napoléon apprit que l'or anglais avait formé une coalition nouvelle. Il quitta, en frémissant, la mer pour la terre et commença l'immortelle campagne de 1805.

Campagne de 1805 ; capitulation d'Ulm (19 octobre). Quatre attaques étaient préparées contre l'Empire : les Suédois et les Russes devaient s'avancer par le Hanovre; les Russes et les Autrichiens, par la vallée du Danube; les Autrichiens seuls, par la Lombardie; les Russes, les Anglais et les Napolitains, par le midi de l'Italie. De ces quatre armées, Napoléon en néglige deux, celles qui sont placées aux deux extrémités; il en contient une troisième en chargaant son plus habile lieutenant d'arrêter, avec 50 000 vieux soldats, les 80 000 Autrichiens que l'archiduc Charles pousse sur l'Adige, et réserve tous ses coups pour la quatrième, 80 000 hommes, que le général Mack, précédant la grande armée russe et les réserves autrichiennes, conduit, à travers la Bavière et la Souabe, vers les défilés de la Forêt-Noire et les bords du Rhin. Mack comptait voir les Français déboucher, suivant la coutume, par ces défilés fameux, Napoléon le trompe au lieu de franchir la Forêt-Noire, il la tourne, et, renouvelant la merveille de Marengo, il tombe, par la Franconie, sur les derrières de Mack, le coupe de Vienne, l'enveloppe, refoule ses détachements à Wertingen, à Gunzbourg, à Elchingen, où Ney se battit comme un grenadier, et l'investit dans Ulm. C'était le 25 septembre que la grande armée était entrée en Allemagne, le 6 octobre, qu'elle avait passé le Danube : le 19, l'armée autrichienne, enfermée dans un cercle de fer et de feu, capitulait. En trois semaines, une armée de 80 000 hommes avait disparu. Quelques milliers fuyaient vers le Tyrol et la Bohême; mais 50 000 avaient été pris ou tués; 200 canons, 80 drapeaux étaient entre nos mains. Et ce qui rendait plus glorieux encore ces magnifiques résultats, c'est qu'ils avaient été assurés par les combinaisons du génie, et presque sans perte. « L'Empereur, disaient les soldats, ne fait plus la guerre avec nos bras, mais avec nos jambes. >

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