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Trafalgar (21 octobre). La nouvelle d'un grand revers maritime vint attrister l'Empereur. Le jour même où Mack sortait d'Ulm, l'amiral Villeneuve perdait contre Nelson la sanglante bataille de Trafalgar, qui coûta à l'escadre combinée de France et d'Espagne 18 vaisseaux et 7000 hommes. Les Anglais eurent 3000 morts, dont Nelson, à lui seul, aussi regrettable pour eux qu'une armée. Cette défaite fut l'irrévocable condamnation de la marine impériale. Napoléon ne compta plus sur elle et désespérant de pouvoir se prendre corps à corps avec l'Angleterre, il fut poussé plus avant dans la pensée, qui était déjà dans son esprit, de ruiner son insaisissable ennemie, en lui fermant le continent.

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Bataille d'Austerlitz (2 décembre 1805). Cependant Napoléon précipitait sa marche sur Vienne, maintenant découverte. Il y entra le 13 novembre, et s'y trouva encore entre deux armées : à droite, celle du Tyrol et d'Italie, que Ney et Masséna poussaient devant eux et qui venait de s'arrêter, sous l'archiduc Charles, derrière la ligne du Raab; à gauche, la grande armée austro-russe, avec les deux empereurs, qui occupait la Moravie. Il courut à celle-ci, franchit le Danube, et arriva à Brünn, le 20 novembre, avec 65 000 hommes. En trois mois, ses soldats avaient fait cinq cents lieues.

90 000 Austro-Russes étaient rangés sur les hauteurs d'Austerlitz. Leurs chefs avaient conçu un plan magnifique tourner l'aile droite des Français, les couper de la route de Vienne et de leurs réserves, les accabler ensuite, tout au moins les jeter en Bohême, où il serait facile de les achever, aidé qu'on serait par la Prusse, qui armait et n'attendait qu'un succès pour accourir avec 60 000 hommes à la curée du lion. Mais Napoléon avait deviné leurs desseins, comme s'il eût assisté à leurs conseils, et il parut s'y prêter. Il ne mit que des forces insuffisantes, une seule division du corps de Davout, à son aile droite, vers les villages de Telnitz et de Sokolnitz, pour attirer l'ennemi de ce côté en lui offrant la tentation de s'emparer de la route de Vienne qui passe derrière ces hameaux. Mais il établit fortement sa gauche, à cheval sur la route d'Olmutz, l'appuyant au mont Bosenitz et au mamelon du Santon qu'il couvrit d'artillerie et que garda un régiment auquel il avait fait jurer de défendre cette position jusqu'à la mort. Lannes y commandait. Au centre, derrière le Goldbach, en face du plateau de Pratzen, il mit Soult avec trois divisions, et en arrière, mais dans la même direction, une réserve

formidable de 25 000 hommes. Les Russes étaient massés sur le plateau de Pratzen, développant à droite dans la plaine le corps de Bagration et une immense cavalerie qui se promettait de fouler Lannes et nos régiments sous les pieds de ses chevaux. Le château d'Austerlitz, quartier des deux empereurs, n'était couvert que par une réserve de 10 000 hom

mes.

L'ennemi donna tête baissée dans le piége. Trois divisions russes descendirent des hauteurs et vinrent livrer un combat inégal, mais furieux, vers Telnitz et Sokolnitz, que défendaient un seul régiment et un bataillon, la division Friant étant encore à ce moment fort loin en arrière, vers Gross-Raigern, quoiqu'elle eût fait 36 lieues en deux jours. Quand ils se furent engagés à fond de ce côté et que, maîtres des villages, ils croyaient avoir décidé du sort de la journée, Napoléon, qui jusqu'alors avait contenu à grand' peine l'impatience de ses soldats, lança 25 000 hommes sur le plateau de Pratzen, clef de toute la position, culbuta la garde impériale russe qui la défendait, coupa en deux l'armée ennemie, et, se rabattant sur les trois divisions envoyées pour tourner notre droite, tandis que les soldats de Davout les poussaient de front, les accabla de mitraille, les jeta sur les étangs glacés qui bordaient la plaine et rompit la glace à coups de boulets, sous les pas de milliers de Russes qui y périrent engloutis. Lannes, dans le même temps, avait livré à droite une vraie bataille et bravé tous les efforts de la cavalerie ennemie qui, décimée par son feu, ne put supporter le choc des escadrons de Murat, et fut rejetée en désordre, avec les débris de Bagration, sur Austerlitz (2 décembre 1805). « Soldats, dit Napoléon dans une de ses proclamations qui étaient toujours l'annonce ou la récompense d'une victoire, soldats, je suis content de vous, vous avez décoré vos aigles d'une gloire immortelle.... Rentrés dans vos foyers, il vous suffira de dire : j'étais à Austerlitz pour qu'on vous réponde : voilà un brave. »

15 000 morts, 10000 prisonniers, 280 bouches à feu, telles étaient les pertes de l'ennemi. Les deux empereurs fuyaient; celui d'Autriche fit demander une entrevue à Napoléon aux avant-postes on convint d'une armistice. La Prusse, effrayée, se hâta de démentir les intentions qu'elle avait eues, et traita avec Napoléon. Pour lui rendre un retour vers l'Angleterre impossible, il lui offrit le Hanovre en échange du duché de

Clèves, de la forte place de Wesel sur le Rhin et de la principauté de Neuchâtel en Suisse.

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Traité de Presbourg (28 décembre); Confédération du Rhin. L'Autriche ne signa la paix que le 26 décembre à Presbourg. Elle abandonnait les États vénitiens avec l'Istrie et la Dalmatie, que Napoléon réunit au royaume d'Italie, le Tyrol et la Souabe autrichienne dont il se servit pour agrandir les domaines des ducs de Bavière et de Wurtemberg, qui prirent le titre de roi, et ceux du duc de Bade

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qui prit celui de grand-duc. L'Autriche perdit 4 millions de sujets sur 24, un revenu de 15 millions de florins sur 103 et, par la cession de Venise, toute action sur l'Italie, par celle du Tyrol, toute influence sur la Suisse. Les arsenaux de Vienne avaient livré à l'armée française 100 000 fusils et 2000 pièces de canon. Du bronze pris à l'ennemi dans cette campagne, on fit la colonne de la Grande armée, élevée, à Paris, sur la place Vendôme.

Le traité de Presbourg, après Austerlitz, consacrait l'Empire comme la paix de Lunéville, après Marengo, avait con

sacré le Consulat. Il donnait à la France la plus magnifique position. La Prusse était éloignée du Rhin; l'Autriche était rejetée hors de l'Italie. Les princes allemands qui nous séparaient de l'Autriche, recevaient de nos mains de riches domaines et des titres qu'ils n'avaient même jamais rêvés; enfin Napoléon, achevant dans la paix l'œuvre de la guerre, constituait, quelques mois après Austerlitz, la Confédération du Rhin. Le vieil empire germanique, créé par Charlemagne, fut dissous après dix siècles d'existence. François II abdiqua le titre d'Empereur d'Allemagne (6 août); il avait déjà pris, pour ne pas déchoir, celui d'Empereur d'Autriche. Alors un très-grand nombre des 370 États qui se partageaient le sol allemand et y entretenaient une anarchie permanente, furent supprimés au profit des princes les plus puissants de l'Allemagne occidentale et centrale. Ceux-ci se réunirent sous la protection de la France, et un nouvel État fédératif, qui fut nommé la Confédération du Rhin. La Prusse et l'Autriche, puissances à moitié slaves, en furent exclues. C'était un bienfait pour l'Allemagne et c'était une pensée heureuse pour l'Europe, que de placer entre trois grands États militaires cette Confédération qui empêchait leurs frontières de se toucher. Nous devons éternellement regretter que l'Empire n'ait pu se tenir à ce traité de Presbourg, si bien conçu pour le repos de l'Italie et de l'Allemagne, et pour la grandeur de la France. Royautés vassales; grands fiefs militaires; nouvelle noblesse. Mais déjà Napoléon était à d'autres pensées, et ce sceptre de Charlemagne qu'il venait d'arracher des mains de la nation germanique, il voulait le garder pour luimême, quand l'intérêt de l'Europe et celui de la France eussent demandé qu'il fût à jamais brisé. A peine avait-il fait suspendre aux voûtes de Notre-Dame, de l'hôtel de ville et du palais du Sénat, les 120 drapeaux conquis dans cette guerre de trois mois, qu'il chassait les Bourbons de Naples, et complétait le système de l'empire en l'entourant de monarchies vassales et de principautés feudataires. Joseph Bonaparte fut créé roi de Naples et de Sicile; Louis, roi de Hollande; Élisa, sœur de Napoléon, devint duchesse de Lucques; la belle Pauline Borghèse, son autre sœur, fut duchesse de Guastalla; Murat, époux de Caroline Bonaparte, eut le grand-duché de Berg; Berthier, la principauté souveraine de Neufchâtel; Talleyrand, celle de Bénévent; Bernadotte, beau-frère de Joseph, celle de Ponte-Corvo.

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11 se réserva dans les États vénitiens douze duchés, quatre dans le royaume de Naples, deux dans les duchés de Parme et de Plaisance, un dans celui de Lucques, et il les distribua successivement à ses compagnons d'armes ou à ses plus dévoués serviteurs. Les deux anciens consuls Lebrun et Cambacérès devinrent ainsi ducs de Plaisance et de Parme; les ministres Gaudin, Fouché, Champagny, Maret, devinrent ducs de Gaëte, d'Otrante, de Cadore et de Bassano; le grand juge Regnier, duc de Massa; le grand maréchal Duroe, duc de Frioul; les maréchaux Soult, Bessières, Victor, Moncey, Mortier, Macdonald, Oudinot, ducs de Dalmatie, d'Istrie, de Bellune, de Conegliano, de Trévise, de Tarente et de Reggio; les généraux Caulaincourt, Clarke, Savary, Arrighi, ducs de Vicence, de Feltre, de Rovigo et de Padoue, etc. Dans ces duchés, tous constitués hors de France pour ne pas blesser l'esprit d'égalité de la nation, une part des revenus publics était assurée au titulaire, mais sans aucun pouvoir politique; ce n'était donc pas un retour complet à la féodalité.

Afin d'avoir des récompenses pour tous les grades, il retint 34 millions de biens nationaux, et 2400 000 francs de rente dans les divers États d'Italie; après les campagnes de Prusse et de Pologne, 20 millions de domaines en Pologne; 30 en Hanovre, 5 à 6 millions de revenus en Westphalie. Il avait donc de quoi distribuer de riches dotations à ses généraux, à ses ministres, à ses soldats. Tout général de division eut en perspective, comme récompense de ses services, une dotation et un titre de comte; tout général de brigade, une dotation et un titre de baron. Les colonels espérèrent l'une ou l'autre, et une nouvelle noblesse d'origine toute plébéienne, mais qui avait trouvé ses parchemins sur les champs de bataille, se forma auprès du soldat couronné qui cherchait à reconstituer un corps aristocratique, pour le placer autour du trône, où il était assis. C'était là une déviation au principe de l'égalité du moins Napoléon n'attribua à cette nou

1. Davout reçut 416 000 francs de revenu et 300 000 francs en argent; Lannes, 328 000 francs de revenu et un million en argent; les autres à proportion. Après Tilsitt, il donna aux officiers de la grande armée 6 millions, aux soldats 12. Un blessé avait triple part; un amputé avait une donation dé 500 à 10 000 francs.

2. Les ministres, les sénateurs, les conseillers d'Etat, les archevêques furent de droit comtes. Les premiers présidents, les procureurs généraux, les évêques et les maires des trente-sept bonnes villes de l'empire furent barons. Les membres de la Légion d'honneur furent chevaliers.

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