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n'allait ni à son caractère, ni à sa force, ni à sa gloire'. Il voulait le faire oublier par les grands services qu'il comptait rendre à l'Espagne en la régénérant. Mais un peuple fier ne se résigne point à recevoir même des bienfaits de la main de l'étranger, quand c'est la force qui les impose. Pendant que l'Espagne officielle courait au-devant du nouveau roi, le peuple se leva. L'insurrection éclata partout à la fois avec une patriotique fureur. Les passions religieuses s'unirent aux passions politiques pour attiser l'incendie. Les moines prèchèrent la guerre comme une croisade.

Le mouvement devint en peu de temps formidable; toutes les provinces se soulevèrent: nos malades, nos blessés, nos courriers furent égorgés. Bessières eut beau gagner, à RioSeco (14 juillet) une victoire qui ouvrit à Joseph les portes de Madrid à Saragosse, à Valence, nos troupes furent repoussées; et, dans l'Andalousie, un des plus brillants généraux de la grande armée, Dupont, cerné à Baylen, signa une capitulation qui fut indignement violée (20 juillet). 18 000 Français, qui devaient rentrer en France, furent jetés sur le rocher aride de Cabréra, une des Baléares, où on les laissa périr de misère et de faim.

C'était le premier revers que Napoléon essuyait. Sa douleur fut aussi amère que la joie des ennemis fut grande. Aussitôt les Anglais accoururent, et le général Wellesley gagna sur Junot la bataille de Vimeiro, qui nous fit perdre le Portugal (capitulation de Cintra, 30 août). Au mois de septembre 1808, nous ne possédions plus, dans toute la péninsule, que les provinces au nord de l'Ebre.

L'Empereur se proposait bien de réparer les revers de ses lieutenants; mais la grande armée était en Allemagne, où l'Autriche dissimulait mal sa haine et ses armements. Pour la braver, il fallait être sûr de la Russie; Napoléon eut à Erfurt,

1. Napoléon à Sainte-Hélène a condamné lui-même cette entreprise. « Cette malheureuse guerre m'a perdu, dit-il: elle a divisé mes forces, ouvert une aile aux soldats anglais, attaqué ma moralité en Europe. J'embarquai fort mal l'affaire. L'immoralité dut se montrer par trop patente, l'injustice par trop cynique, et l'attentat ne se présente plus que dans sa hideuse nudité, privé de tout le grandiose et des nombreux bienfaits qui remplissaient mon intention. Le plan le plus sûr, le plus digne, eût été une médiation à la manière de la Suisse, et j'aurais dû m'arranger avec Ferdinand. » Ce fut un intérêt, non de nation, mais de famille. Le duc d'Istrie dit le mot de la situation en sortant un jour du cabinet de l'Empereur: « Les Bourbons ne peuvent subsister en Europe avec un Bonaparte. » Études sur Napoléon, par le lieutenant-colonel Baudus, ancien aide de camp de Bessières et de Soult.

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avec Alexandre, une entrevue qui parut consolider l'alliance nouée à Tilsitt. Il avait déjà cédé sur la Finlande, il céda encore sur la Moldavie et la Valachie, et la Russie reconnut Joseph pour roi d'Espagne (12 octobre 1808). Nos fautes dans l'Ouest valaient un agrandissement à la Russie dans l'Est.

Napoléon était libre alors de courir en Espagne. Il y avait déjà 100 000 hommes, il enleva encore à la grande armée 150 000 de ses valeureux soldats et arriva avec eux au delà des monts. Rien ne put tenir devant lui : à Burgos (10 nov.), à Espinosa (12), à Tudela (23), le centre de l'ennemi fut enfoncé; plus loin les chevau-légers polonais enlevèrent au galop le défilé fameux de Somo Sierra (13), et l'armée entra dans Madrid, où Napoléon décréta l'abolition de l'Inquisition, des deux tiers des couvents, des droits féodaux, des douanes intérieures (4 décembre). A l'aile gauche, Saint-Cyr faisait à lui tout seul une fort belie campagne. Après avoir pris Roses, il traversa sans un canon la Catalogne, pour débloquer Barcelone, et battit deux fois l'armée ennemie à Cardeleu et à Molins del Rey. A l'aile droite, Soult poussa 30 000 Anglais, l'épée dans les reins, jusqu'à la Corogne, et les força de chercher un asile sur leurs vaisseaux. Une tempête, qui surprit nos troupes dans la chaîne du Guadarrama, avait retardé leur marché de quarante-huit heures et sauvé l'armée anglaise.

Batailles d'Abensberg et d’Eekmuhl (21 et 22 avril 1809). Mais déjà Napoléon était appelé ailleurs, et le danger de cette nouvelle entreprise éclatait. L'Autriche, en le voyant s'enfoncer dans la péninsule ibérique et se mettre sur les bras, au sud-ouest de son empire, une guerre terrible, crut le moment venu de venger ses longs désastres. L'Angleterre lui offrit 100 millions; l'enthousiasme d'Alexandre pour Napoléon semblait se refroidir; l'Allemagne, surchar gée de contributions et travaillée par les sociétés secrètes, se montrait hostile; enfin, la grande armée, affaiblie de 150000 hommes, était disséminée de Hambourg à Naples. Une offensive hardie promettait des succès, et des succès promettaient un soulèvement général. « Secouez le joug, disait l'archiduc Jean aux Italiens, afin que l'Italie reprenne parmi les grandes puissances le rang qu'elle a eu autrefois et qu'elle aura certainement un jour. » 175 000 Autrichiens, sous l'archiduc Charles, se dirigèrent sur la Bavière. Ils auraient pu y entrer dès le mois de mars: l'Inn ne fut franchi que le 10 avril, et ils mirent six jours à faire vingt lieues;

c'était une première faute. Napoléon, averti en quarantehuit heures par le télégraphe, quitta Paris le 13 et arriva le 17 sur le théâtre des opérations; il était temps, car son armée surprise n'avait pas encore opéré sa concentration. Masséna était à Augsbourg avec 60 000 hommes, et Davout, à vingt-cinq lieues de là, à Ratisbonne, avec 50 000. Déjà l'archiduc manœuvrait pour se jeter dans le large espace laissé vide entre les deux maréchaux, et ensuite accabler l'un d'eux. Napoléon eut bien vite découvert le remède à une situation si périlleuse il se porta, avec 40000 hommes, sur l'Abensberg, excellente position défensive, entre Ratisbonne et Augsbourg, et de là il appela à lui ses deux lieutenants.

Davout eut fort à faire pour s'ouvrir un passage à travers les masses autrichiennes qui commençaient à l'envelopper. Le brillant combat de Tengen lui permit cependant d'exécuter son mouvement; alors la position des deux armées se trouva inverse de ce qu'elle était quelques jours plus tôt. Les Français s'étaient concentrés et les Autrichiens, par le mouvement offensif de l'archiduc contre Davout, s'étaient étendus sur une ligne de 30 lieues, de Munich à Ratisbonne. Napoléon saisit ce moment il se jette sur le centre ennemi, le coupe par la bataille d'Abensberg, le 20; par la prise de Landshut, le 21; se rabat le jour suivant sur la droite des Autrichiens, les écrase à Eckmühl, les accule au Danube, et les eût pris si Ratisbonne, défendue par un seul régiment, n'avait été enlevée quelques jours auparavant. De grands résultats n'en étaient pas moins acquis. Par cinq jours de combats, Napoléon avait pris 60 000 hommes, enlevé 100 pièces de canon, un immense matériel, coupé en deux l'armée autrichienne, rejeté l'aile droite en Bohême, l'aile gauche sur l'Inn, et conquis la route de Vienne. Le 10 mai, un mois après l'ouverture des hostilités, il était devant cette capitale, qui, après un bombardement de quelques heures, lui ouvrit ses portes.

Essling (21 et 22 mai 1809). Il restait deux armées à l'Autriche : celle d'Italie sous l'archiduc Jean, qui, après avoir battu Eugène à Sacile et menacé la ligne de l'Adige, avait, à la nouvelle des succès de Napoléon, reculé en toute hâte sur la Piave, puis sur la Hongrie; et celle de l'archiduc Charles, qui se trouvait encore à la tête de 100 000 hommes en face de Vienne, mais de l'autre côté du Danube.

Napoléon se tourna contre ce dernier. Le passage d'un grand· fleuve en présence d'une puissante armée ennemie est une opération difficile '. Napoléon la tenta et réussit d'abord. Déjà 30 000 hommes avaient débouché de l'ile Lobau sur la rive gauche, en face des villages d'Essling et d'Aspern, quand une crue subite du fleuve, qui monta de sept pieds, emporta les ponts. On parvint à les rétablir, et 30000 hommes passèrent encore; mais les eaux montaient toujours; les ponts furent une seconde fois brisés, avant que les corps engagés eussent reçu toute leur artillerie et leurs munitions. Pendant 30 heures l'archiduc fit de vains efforts pour jeter les Français dans le Danube; les jardins, les maisons, les clôtures d'Aspern furent pris et repris quatorze fois. L'archiduc s'ar. rêta le premier, et nos soldats rentrèrent, quand ils voulurent et comme ils voulurent dans l'île Lobau, Masséna restant le dernier sur la rive.

Des deux côtés l'opération était manquée, et il n'y avait ni vainqueurs ni vaincus. Mais plus de 40 000 hommes, dont 27000 Autrichiens, avaient été tués ou blessés. C'était encore la population d'une grande ville immolée en quelques heures et sans résultats. Eylau et Friedland avaient commencé ces affreux massacres, que nous verrons s'accroître jusqu'aux derniers jours de l'empire; car des deux côtés, on opérait chaque année avec des armées plus considérables, et, à force de battre nos ennemis, nous leur apprenions à nous résister.

A Ratisbonne, Napoléon avait été blessé d'une balle morte au cou-de-pied2; à Essling, deux de ses plus braves lieutenants, le général Saint-Hilaire et le maréchal Lannes, avaient été tués.

Wagram (6 juillet 1809). Rentré dans l'île Lobau, Napoléon y exécuta des travaux formidables pour en faire

1. Au point où le passage s'effectua, le Danube est séparé par trois îles en quatre bras. Le 1er a 240 toises de largeur; le 2e, où se trouve le grand courant, en a 170; le 3e, seulement 15; le 4, de 50 à 70. Les trois îles ont: la re, 120 toises; la 2e, 300; la 3e, ou ile Lohau, en a 2400 de l'E. à l'O.; 2000 du S. O. au N. E., et 8000 de tour. (Campagne de 1809, t. III, p. 260, par le général Pelet.)

2. On a souvent dit que c'était la seule blessure qu'il eût reçue. A SainteHélène, il racontait à Las Cases que, devant Toulon, un coup de baïonnette avait failli lui couper la cuisse et avait laissé une cicatrice profonde; qu'à Essling ou à Wagram une balle lui avait déchiré la botte, le bas et la peau de la jambe, et que maintes fois il avait eu des chevaux tués sous lui, mais que ces accidents étaient toujours cachés avec le plus grand soin. (Mémorial, 25 décembre 1815.)

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