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est détruite dans cette ville le 18, une autre à Méry-surSeine le 22. Les Autrichiens perdent en 8 jours 50 lieues de terrain. L'armée française rentre dans Troyes en triomphe.

Mais cette poursuite des Autrichiens sur la haute Seine laisse libres les approches de Paris; Blücher, qui a raffermi son armée, y marche une seconde fois par la Marne, Napoléon court à lui et le jette en désordre sur Soissons. Blücher était perdu Soissons ouvre ses portes et le sauve. La ville venait d'être prise par l'armée du Nord: les Prussiens y trouvent un refuge et y doublent leurs forces. Ils n'en sont pas moins battus à Craonne; mais ils se concentrent près de Laon au nombre de 100 000 hommes, et se maintiennent dans cette forte position, malgré les efforts de l'Empereur pour les en déloger (10 mars). Napoléon se retourne alors contre les Russes et les chasse de Reims (13 mars). Schwartzenberg, qui pendant l'absence de la petite armée française s'était avancé jusqu'à Provins, à deux journées de marche de Paris, s'effraye de la voir revenir sur son flanc; il s'arrête, recule; les abords de Paris sont encore une fois dégagés.

Ainsi, en un mois, Napoléon avait livré quatorze batailles, remporté douze victoires et défendu les approches de sa capitale contre les trois grandes armées ennemies. Les alliés, un moment inquiets, avaient accepté l'ouverture d'un congrès à Châtillon, mais sans désir sérieux d'y terminer la grande querelle. Pour Napoléon, il avait déjà dit : « J'ai juré de maintenir l'intégrité du territoire de la république; si les alliés persistent à vouloir démembrer la France, je ne vois que trois partis: vaincre, mourir ou abdiquer. » Le congrès fut rompu (10 mars). 、

La lutte devenait de plus en plus inégale. La défection de Murat, qui crut ainsi sauver sa couronne, livra l'Italie aux Autrichiens. Augereau, après un simulacre de bataille, leur ouvrit les portes de Lyon, la seconde ville de France; le général Maison évacuait la Belgique; enfin, les Anglais de Wellington, que Soult n'avait pu arrêter, entraient à Bordeaux, où Louis XVIII fut proclamé roi (12 mars); et dans l'intérieur les royalistes s'agitaient. « Vous pouvez tout et vous n'osez rien, écrivait Talleyrand aux souverains alliés; osez donc encore une fois. »

Le czar veut en finir avec cette lutte qui étonne le monde et qui est un dernier affront pour les coalisés. Il ordonne à Blücher et à Schwartzenberg de réunir leurs forces pour mar

cher ensemble sur Paris. Napoléon essaye vainement d'empêcher cette jonction : la sanglante bataille d'Arcis-sur-Aube reste indécise (20 et 21 mars). Alors il prend la résolution hardie de laisser libre la route de Paris, mais de se porter avec 50 000 hommes à Saint-Dizier, sur les derrières des alliés. Là il coupera leurs communications, excitera encore le courage de ces patriotiques provinces, qui n'ont point attendu le tardif décret du 5 mars pour se lever en masse, grossira son armée d'une partie des garnisons des places de la Moselle et des forces de l'insurrection, pour revenir sur l'ennemi épouvanté frapper quelque coup terrible. Que Paris seulement se défende, et pas un étranger ne repassera le Rhin. Je suis plus près de Munich, disait Napoléon, qu'ils ne sont près de Paris. »

Mais Paris ne se défendit pas. En utilisant toutes les ressources qu'il offrait, on pouvait réunir et armer 70 000 combattants. On avait 8000 hommes des dépôts de la garde et de la ligne, plus de 20 000 conscrits ou soldats de dépôts casernés dans les environs, 2000 officiers sans emploi, 12000 gardes nationaux; enfin Marmont et Mortier étaient sous les murs avec 13 000 hommes de l'armée active. 20 000 ouvriers, la plupart anciens soldats, se pressaient aux portes des mairies demandant des armes; on les repoussa. Il y avait dans les arsenaux 400 canons, 20 000 fusils neufs, 5 millions de cartouches; à Grenelle seulement, 300 milliers de poudre, et la manutention militaire fabriquait chaque jour 60 000 rations. On les laissa prendre à l'ennemi, et les Français manquèrent de munitions, manquèrent de pain. On mit quatre canons sur les buttes Chaumont, six sur Montmartre, et 22 000 hommes seulement prirent part à la bataille de Paris, aux villages de Pantin, la Villette, Belleville et Romainville, à la barrière Clichy, contre les 80 000 Autrichiens de Schwartzenberg, contre les 100 000 Prussiens de Blücher (30 mars)! La résistance fut aussi héroïque qu'inutile. « Ils sont trop! » disaient nos soldats en tombant. Les alliés perdirent 18 000 hommes, presque autant que nous en avions en ligne; le maréchal Marmont signa une suspension d'armes et une capitulation pour épargner à la ville les horreurs d'une prise d'assaut (31 mars).

Abdication de l'Empereur (6 avril 1814). - Étonnés d'une telle victoire, les étrangers n'entrèrent dans la grande cité qu'avec une sorte de crainte respectueuse. Ils

montrèrent la plus grande modération. Le czar protesta que la nation n'avait qu'à manifester son vou, qu'il était prêt à le soutenir. Le peuple témoignait une sombre résignation; mais le Sénat, convoqué et dirigé par Talleyrand, nomma, le 1er avril, un gouvernement provisoire; le 3, il prononça la déchéance de Napoléon; le 6, il adopta une constitution nouvelle et appela au trône un prince que la nation ne connaissait plus, et auquel les souverains alliés n'avaient songé que dans les derniers jours, un frère de Louis XVI, Louis XVIII.

Napoléon avait encore à Fontainebleau des forces imposantes avec les armées d'Eugène, de Suchet et celle de Soult, qui venait de livrer à Wellington l'héroïque bataille de Toulouse, il pouvait réunir 140 000 soldats éprouvés derrière la Loire. Il eut un instant la pensée de combattre; mais ses généraux étaient las de la guerre : Marmont le trahit par la capitulation d'Essonne; Ney, Berthier même le quittèrent. Alors il abdiqua! Neuf jours après il fit à sa vieille garde, dans la cour dite du Cheval-Blanc, des adieux devenus célè– bres, et partit pour l'île d'Elbe (20 avril). Un ilot de quelques kilomètres carrés était maintenant tout l'empire de l'homme qui, pendant quinze ans, avait régné sur la moitié de l'Europe. Quelques serviteurs le suivirent dans son exil: Bertrand, Drouot, Cambronne, et environ 400 hommes de la vieille garde.

CHAPITRE LXVII.

LA PREMIÈRE RESTAURATION ET LES CENT-JOURS (1814-1815)'.

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La première Restauration (6 avril 1814-26 mars 1815). - Pendant que le grand exilé traversait la France, exposé à une tentative d'assassinat, et, dans le Midi, à des

1. Histoire des deux Restaurations, par M. de Vaulabelle; Histoire de la campagne de Waterloo, par le colonel Charras (1857); id., par Edg. Quinet (1862); Histoire de la Restauration, par M. de Viel-Castel. M. de Lamartine et M. A. Nettement ont aussi écrit l'histoire de cette époque; Histoire du gouvernement parlementaire en France, par M. Duvergier de Hauranne.

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Cour des Adieux ou du Cheval-Blanc au château de Fontainebleau.

insultes, Talleyrand, le vrai chef du gouvernement provisoire, signait, le 23 avril, une convention désastreuse qui réduisait la France à ses frontières du 1er janvier 1792, et livrait aux alliés 53 places fortes, 13 000 bouches à feu, 30 vaisseaux et 12 frégates.

Le jour même où Napoléon quittait Fontainebleau, Louis XVIII quittait sa résidence de Hartwell, près de Londres, et le 24 avril débarquait à Calais. Le mot prêté au comte d'Artois : « Messieurs, il n'y a en France qu'un Français de plus, » aurait dû être celui de tous les Bourbons; car il fallait à tout prix attirer quelque popularité sur ces princes depuis vingt-quatre ans étrangers au pays, qui devaient leur fortune à nos désastres et tenaient leur pouvoir de nos ennemis. Mais le nouveau monarque qui s'intitulait « roi par la grâce de Dieu » sans faire mention de la volonté nationale, qui déchirait le drapeau tricolore pour le remplacer par le drapeau blanc que nos soldats ne connaissaient plus; qui enfin datait son avénement de la mort de son neveu Louis XVII, et appelait 1814 la dix-neuvième année de son règne, était peu disposé à faire des concessions. L'empereur Alexandre n'aimait pas les Bourbons, et comprenait alors que les révolutions de la France ne seraient finies, la paix de l'Europe assurée, que par des institutions libérales et fortes qui rendissent le retour de l'ancien régime impossible. Il soutint les propositions constitutionnelles rédigées par M. de Talleyrand et une commission de sénateurs et de députés. Le roi fut obligé de faire, le 2 mai, avant d'entrer dans Paris, la déclaration de SaintOuën, qui promettait un gouvernement représentatif et le maintien des premières conquêtes de la Révolution. Cette déclaration fut remplacée par la Charte constitutionnelle, arrêtée le 27 mai et octroyée le 4 juin. En voici les principes: Une royauté héréditaire;

Deux Chambres : l'une élue, l'autre, celle des pairs, composée par le roi; toutes deux ayant le vote de l'impôt et la discussion des lois;

La liberté publique et individuelle, la liberté de la presse et des cultes;

L'inviolabilité des propriétés, même celle des biens nationaux vendus;

La responsabilité des ministres;

L'inamovibilité des juges;

La garantie de la dette publique; le maintien des pensions,

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