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traille. Napoléon alors appelle à lui les troupes qui occupent Goumont, les joint à celles de Ney, les enflamme par quelques paroles, et ordonne une attaque générale. Il était huit heures du soir. Nos soldats abordent l'ennemi avec un élan admirable: plusieurs carrés anglais sont entamés, anéantis, Wellington était au plus épais du feu. « Qu'ordonnez-vous? lui demande-t-on. Mais vous pouvez être tué, et il est important que celui qui vous remplacera connaisse votre pensée. Ma pensée! je n'en ai pas d'autre que de tenir ici tant que je pourrai. » Si Wellington ne fut pas ce jour-là un grand tacticien, il mérita du moins son surnom de l'Iron duke, le duc de Fer.

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Rien.

Tout à coup une vive canonnade éclate à l'extrême droite de notre armée. « C'est Grouchy ! » s'écrient encore les soldats; ce ne peut être que Grouchy, pensa Napoléon. C'était un troisième ennemi, c'était Blücher qui, à la tête de 36 000 Prussiens, débouchait après Bulow dans notre flanc droit. Alors nos soldats se croient trahis. Quelques-uns poussent le cri de : Sauve qui peut! et la dernière armée de la France, pressée de front par ce qui restait des 90 000 hommes de Wellington, à droite par les 66000 Prussiens de Blücher et de Bulow, tourbillonne sur elle-même, les rangs se mêlent, il n'y a bientôt plus qu'une horrible confusion.

Napoléon, désespéré, tire son épée et veut s'élancer au milieu des ennemis; il veut périr avec sa fortune; ses généraux l'entourent et l'entraînent sur la route de Genappe. Ney, les habits troués de balles, criait aux fuyards : « Arrêtez: suivez-moi, que je vous montre comment meurt un maréchal de France! Mais, excepté dans cet héroïque soldat, qui devait mourir autrement, les forces humaines étaient épuisées.

Il est plus de neuf heures; la nuit est descendue sur ce terrible champ de bataille, et on lutte encore. La vieille garde forme six carrés, cinq sont successivement détruits par un ennemi trente fois plus nombreux; un seul reste quelque temps encore debout, c'est celui de Cambronne à la hauteur de la maison d'Écosse. Ces braves refusent de mettre bas les armes; leur chef répond à une sommation par une énergique parole qui est devenue le mot fameux : « La garde meurt et ne se rend pas, » et, seuls contre toute l'armée ennemie, ils la chargent à la baïonnette, pour donner à leur chef aimé le temps d'échapper. Leur sacrifice réussit, et leur a valu une gloire immortelle.

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D'autres bataillons de la garde, avec Lobau, arrêtèrent devant Planchenoit la moitié de l'armée prussienne durant une heure et demie, jusqu'à ce que l'immense cohorte abritée par leur sacrifice se fût écoulée sur la route de Charleroi. Lobau fut pris et subit d'indignes outrages; Duhesme fut peut-être assassiné; d'autres furent égorgés en rendant leurs armes. Odieuses et lâches vengeances des Prussiens que n'excusent pas le ressentiment de longs revers et l'orgie d'une victoire inespérée.

La bataille de Waterloo avait duré dix heures : « une jour

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Palais de l'Élysée.

née de géants, qui nous coûta 30 000 hommes tués, blessés ou pris et 22000 aux vainqueurs. 72 000 Français y avaient lutté contre 115 000 ennemis, et virent deux fois la victoire s'échapper de leurs mains.

Telle fut cette campagne de quatre jours.

Sans les retards du 15 et les désertions qui donnèrent l'éveil à Blücher, les alliés surpris éprouvaient un irrémédiable désastre.

Si, le 16, le corps de d'Erlon avait pu agir, les Prussiens étaient écrasés à Ligny, ou les Anglais aux Quatre-Bras.

Si Grouchy avait empêché les Prussiens de se réunir, le 18, à Wellington, les Anglais étaient écrasés à Waterloo.

Seconde abdication de l'Empereur (23 juin 1815). La retraite fut désastreuse comme celle de Leipzig et de Moscou; rien n'avait été préparé pour un revers: tout le ma tériel fut perdu. De Laon, où l'armée commença à se rallier, Napoléon partit pour Paris. Il entra dans la capitale à minuit, et s'établit à l'Élysée. Il comptait sur le patriotisme des Chambres. « Qu'on me seconde, disait-il, et rien n'est perdu. >> Mais Fouché, ministre de la police, fit courir le bruit que

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l'Empereur méditait un 18 brumaire, et la Chambre des représentants, sur la motion de la Fayette, proclama la patrie en danger, appela la garde nationale à sa défense, et déclara coupable de trahison quiconque tenterait de la dissoudre.

Napoléon, stupéfait de cette attaque, essaya de rassurer les députés et fit appel à la concorde. « Je ne vois qu'un homme entre la paix et nous, dit la Fayette, nous avons assez fait pour lui: notre devoir est de sauver la patrie. » Un message fut envoyé à l'Empereur pour lui demander son abdication. Napoléon s'y résigna. « Français dit-il, je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France; ma vie po

litique est terminée je proclame mon fils, Napoléon II, Empereur des Français. »

L'assemblée accepta cette déclaration. Les libéraux espéraient sauver la patrie sans l'aide de l'Empereur. On nomma un gouvernement provisoire, et une commission spéciale fut chargée de négocier avec les alliés. Mais ceux-ci refusèrent toute offre de paix. Wellington et Blücher marchaient précipitamment sur Paris. Cette pointe était fort imprudente les débris de Waterloo, le corps intact de Grouchy s'étaient concentrés près de la capitale, où, rejoints par de nombreux renforts, ils formaient une armée de 100 000 hommes. Plus de 60 000 gardes nationaux et ouvriers défendaient la ville, qu'on avait fortifiée du côté du nord. L'armée ennemie se trouvait moins nombreuse que la nôtre; mais le président du gouvernement provisoire, Fouché, voulait porter au trône la branche cadette des Bourbons, ou, s'il n'y pouvait réussir, revenir à la branche aînée.

Quand Napoléon offrit de se mettre à la tête des troupes en montrant combien il était facile d'écraser au moins ce premier ennemi, non-seulement Fouché répondit par un refus, mais il força l'Empereur à quitter la Malmaison, où il s'était retiré'.

Sainte-Hélène. Menacé d'être livré à l'ennemi, Napoléon partit pour Rochefort, pensant chercher un asile aux États-Unis. Mais tous les passages étaient gardés; après de longues incertitudes, il se rendit à bord du vaisseau anglais le Bellerophon, et écrivit au régent d'Angleterre cette lettre admirable : « Altesse Royale, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. » Le gouvernement anglais traita en prisonnier de guerre l'homme qui venait si noblement réclamer son hospitalité. L'Empereur fut conduit dans l'île Sainte-Hélène, au milieu de l'Atlantique, sous un ciel brûlant, à 500 lieues de toute terre. En voyant disparaître la côte de France du pont du Bellerophon, il s'écria : « Adieu, terre

1. Joséphine avait acheté la Malmaison en 1792. Elle appartient aujourd'hui à la reine Marie-Christine.

des braves! adieu, chère France! Quelques traitres de moins, et tu serais encore la grande nation, la maîtresse du monde ! »

Comme si ce n'était pas assez d'un climat meurtrier et des douleurs de la solitude et de l'inaction, pour le génie ardent qui, durant quinze années, avait étonné le monde, le ministère anglais sembla prendre à tâche de tuer lentement, à force d'outrages, l'immortel captif. Napoléon endura ces tortures avec calme et dignité. Il ne songea qu'à la postérité, et il occupa les mornes loisirs de sa prison à dicter l'histoire

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de ses campagnes. Après six années, qui furent six années de souffrances morales et de privations matérielles, il mourut à Longwood, le 5 mai 1821, à quatre heures du matin, enveloppé dans son manteau de bataille, et tandis qu'un ouragan des tropiques déchaînait sa fureur sur l'île et y déracinait quelques-uns des plus grands arbres, « comme si l'esprit des orages, porté sur les ailes du vent, courait apprendre au monde qu'un être puissant venait de descendre dans les sombres abîmes de la nature 1. >>

1. Récits de la captivité de l'Empereur Napoléon, par le général de Montholon; Histoire de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène, d'après les documents officiels et les manuscrits de sir Hudson Lowe, 4 vol.

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