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Mais la France devait-elle se faire le champion de toutes les insurrections européennes, au risque de soulever une guerre universelle et de verser des flots de sang? Le nouveau roi ne le pensa point. La Belgique s'était séparée de la Hollande et s'offrait à la France; on la repoussa pour ne point exciter la jalousie de l'Angleterre. Les réfugiés espagnols voulaient tenter une révolution dans leur pays; on les arrêta sur la frontière pour ne point violer le droit international, même en face d'un prince peu ami.

La Pologne, quelques instants délivrée par un héroïque effort, nous appelait. Il était possible de la sauver par les armes, mais comme elle le dit elle-même au moment des grandes douleurs : << Dieu est trop haut et la France est trop loin. » Quelques secours isolés, seulement, lui parvinrent. Varsovie succomba. Sa chute retentit douloureusement au cœur de la France.

L'Italie, enchaînée par l'Autriche, s'agitait pour briser ses fers. M. Laffitte voulait l'y aider. Le roi refusa de le suivre si loin, et appela Casimir Périer à la présidence du conseil.

1831-1832. Ministère de Casimir Périer. — Casimir Périer jeta sur cette politique de juste milieu quelque grandeur, par l'énergie, par l'audace qu'il mit au service de cette modération. Il déclara nettement deux choses qu'il voulait l'ordre légal, et par conséquent qu'il combattrait à outrance les républicains et les légitimistes; qu'il ne jetterait point la France dans une guerre universelle, et par conséquent qu'il ferait à la paix du monde tous les sacrifices com-patibles avec l'honneur du pays. Ce langage semblait fier; des actes le soutinrent.

Occupation d'Ancône. Don Miguel, en Portugal, avait outrageusement traité deux Français. Une flotte força les passes du Tage, réputées infranchissables, et mouilla à trois cents toises des quais de Lisbonne. Les ministres portugais s'humilièrent; une légitime réparation fut accordée. Les Hollandais avaient envahi la Belgique; cinquante mille Français y pénétrèrent aussitôt, et le pavillon néerlandais recula. Les Autrichiens, une première fois sortis des États pontificaux, y étaient rentrés; Casimir Périer, résolu de faire respecter le principe de non-intervention, envoya une flottille dans l'Adriatique, et les troupes de débarquement s'emparèrent d'Ancône. Cette apparition du drapeau tricolore au centre de l'Italie était presque une déclaration de guerre à l'Autriche. Elle ne la releva point et retira ses troupes.

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Insurrection à Lyon, complot à Paris. · - A l'intérieur, le président du conseil suivait avec la même énergie la ligne qu'il s'était tracée. Les légitimistes agitaient les départements de l'ouest; des colonnes mobiles y étouffèrent la révolte. Les ouvriers de Lyon, excités par de trop cruelles misères, mais aussi par des meneurs légitimistes et républicains, s'étaient soulevés, en inscrivant sur leur bannière cette devise douloureuse et sinistre : « Vivre en travaillant, ou mourir en combattant. » Après une affreuse mêlée dans la ville

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Vue de Lyon prise en face du Palais de justice.

même, ils furent désarmés, et l'ordre parut rétabli, à la surface. Grenoble à son tour fut ensanglantée. A Paris éclatèrent les complots dits des tours de Notre-Dame et de la rue des Prouvaires.

Tel fut le ministère de Casimir Périer: une lutte énergique, dans laquelle sa forte volonté ne recula, pour la cause de l'ordre, devant aucun obstacle. Collègues, Chambres, le roi même, il maîtrisait tout. Une telle vie avait épuisé ses forces, quand le choiéra vint l'enlever le 16 mai 1832.

Le choléra (1832). — Ce terrible mal, sorti du Delta du Gange, après avoir parcouru tout l'ancien continent, de la Chine à l'Angleterre, entra dans Paris le 26 mars; il en sortit le 30 septembre, laissant derrière lui de vingt à vingt-cinq mille victimes. Dans quelques journées il y avait eu douze cents morts. Douze mille sept cents personnes avaient péri dans le seul mois d'avril.

La

Ministère du 11 octobre 183* (MM. de Broglie, Guizot et Thiers). Insurrection des 5 et 6 juin à Paris. société était travaillée, dans ses profondeurs, par les partisans de Saint-Simon et de Fourier qui demandaient un autre ordre social. Ceux-ci ne jouaient encore que le rôle d'apôtres pacifiques, mais l'insurrection lyonnaise avait montré dans les prolétaires une armée toute prête pour appliquer les doctrines. La garde nationale defendit énergiquement la royauté, lorsque, à la suite des funérailles du général Lamarque, le parti républicain livra la bataille des 5 et 6 juin, derrière les barricades de Saint-Méry. Cet échec abattit pour quelque temps les républicains. Un mois après (22 juillet 1832), la mort du fils de Napoléon, le duc de Reichstadt, débarrassa d'un concurrent redoutable la dynastie d'Orléans, qui, à la même époque, semblait gagner un appui par le mariage de la princesse Louise avec le roi des Belges.

- Un autre préten

Arrestation de la duchesse de Berri. dant perdait aussi sa cause. La duchesse de Berri, débarquée secrètement sur les côtes de Provence avec le titre de régente, était venue allumer dans l'ouest la guerre civile au nom de son fils Henri V. Mais il n'y avait plus ni Vendéens ni chouans. Les idées nouvelles avaient pénétré là comme ailleurs, plus qu'ailleurs même. « Ces gens-là sont patriotes et républicains, » disait un officier chargé de les combattre. Quelques gentilshommes, des réfractaires, peu de paysans, répondirent à l'appel. Le pays, sillonné de troupes, fut promptement pacifié, et la duchesse, après avoir longtemps erré de métairie en métairie, entra dans Nantes, déguisée en paysanne. Cette aventureuse équipée montra la faiblesse du parti légitimiste. Pour achever de le ruiner, M. Thiers, alors ministre, fit rechercher activement la duchesse. Découverte et enfermée à Blaye, elle fut contrainte d'y avouer un mariage secret, et cet aveu rendait, pour l'avenir, toute tentative du même genre impossible.

Succès au dehors,

La prise par nos soldats de la citadelle d'Anvers, que les Hollandais refusaient de rendre aux Belges, ter

mina une situation critique d'où, à chaque instant, la guerre pouvait sortir (23 décembre 1832). L'occupation d'Arzew, de Mostaganem et de Bougie affermit notre établissement d'Alger, et ces expéditions aux bords de l'Escaut et sur les rives de la Méditerranée jetèrent quelque éclat sur nos armes.

En Orient, la diplomatie française intervenait entre le sultan et son victorieux vassal, le pacha d'Egypte. Le traité de Kutayéh, qui laissait la Syrie à Méhémet-Ali, ne rendait pas le sultan plus faible qu'il ne l'était auparavant, mais il fortifiait le vice-roi d'Égypte, gardien pour la France et pour l'Europe des deux grandes routes com

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Palais du quai d'Orsay ou du Conseil d'État, terminé en 1835.

merciales de la mer Rouge et du golfe Persique, dont l'Angleterre voulait se saisir.

Au Portugal, don Pedro venait de reverser don Miguel et d'octroyer, au nom de sa fille doña Maria, une charte constitutionnelle. En Espagne, Ferdinand VII mourait, en excluant du trône, par l'abolition de la pragmatique de Philippe V, son frère don Carlos; de sorte que la Péninsule tout entière échappait en même temps au régime absolutiste.

La quadruple alliance. Le traité de la quadruple alliance, signé le 22 avril 1834, entre les cours de Paris, de Londres, de Lisbonne et de Madrid, promit aux nouveaux gouvernements espagnol et portugais l'appui efficace de deux grands pays constitutionnels, contre le mauvais vouloir des cours du nord. En France, quelques

effets suivirent même ces promesses. Pour soutenir, au besoin, contre les légitimistes espagnols, alliés naturels des légitimistes français, la jeune reine Isabelle, on forma un corps d'armée de cinquante mille hommes au pied des Pyrénées.

A l'intérieur, les Chambres avaient adopté une loi célèbre sur l'instruction primaire (1833). Dans le Parlement, sur toutes les questions graves, la majorité était acquise au ministère. Si le jury acquittait souvent les accusés politiques, l'armée était fidèle et la magistrature montrait envers les républicains une sévérité qui rassurait la cour. Un premier attentat contre la vie du roi faisait profiter la royauté de l'horreur qu'inspirèrent toujours de pareils crimes. <«< Eh bien! ils ont tiré sur moi, disait le roi. Sire, répondit Dupin, ils ont tiré sur eux. »

L'année 1835 vit la ruine du parti républicain comme faction militante. Les insurrections d'avril à Lyon et à Paris, qui donnèrent lieu aux massacres du faubourg de Vaise et de la rue Transnonain, et les dramatiques incidents du procès intenté aux républicains devant la Cour des pairs, amenèrent l'emprisonnement ou la fuite de presque tous les chefs.

Attentats contre la vie du rol. A la revue du 28 juillet, un Corse, Fieschi, repris de justice et faussaire, dirigea contre le roi une machine infernale, dont les coups jetèrent morts autour du monarque le maréchal Mortier, une des gloires de l'empire et naguère président du conseil, un général, deux colonels, un vieillard, une femme, une jeune fille et plusieurs gardes nationaux. Cet épouvantable attentat effraya la société, encore tout émue de la guerre civile récente et des péripéties du procès d'avril. Le ministère profita de l'indignation universelle pour présenter les fameuses lois de septembre sur les cours d'assises, le jury et la presse. Elles étaient calculées de manière à rendre la justice criminelle plus sévère et plus prompte; elles interdisaient toute discussion sur le principe du gouvernement et élevaient le cautionnement des journaux de quarante-huit mille francs à cent mille.

Politique extérieure. - Jusqu'à ce moment, la cause de l'ordre avait été énergiquement soutenue à l'intérieur; maintenant qu'elle était triomphante, M. Thiers, président du conseil des ministres depuis le 22 février 1836, voulut reprendre au dehors le rôle de Casimir Périer.

Les carlistes espagnols faisaient dans la Péninsule de menaçants progrès; M. Thiers se décida à intervenir; l'Angleterre elle-même le demandait. C'était donc à la fois se rapprocher de cette puissance et prendre hautement en main la défense des idées libérales en Europe. Le souvenir de la malheureuse intervention de 1823 eût été ainsi glorieusement effacé.

Le jeune et hardi ministre avait conçu et préparé une autre expédition importante. Depuis la conquête d'Alger nous avions fait peu de progrès dans l'ancienne Régence. On avait pris quelques villes

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