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« il est permis à des esprits politiques variés, divers, convaincus, d'avoir des préférences ou des antipa«thies de formes de gouvernement; il est permis à « des journalistes d'avoir des opinions opposées aux « nôtres et de les exprimer avec esprit, sarcasme, énergie, talent; il est permis, enfin, à des hommes parlementaires d'avoir des alliances, des partis, des salons, des réunions de représentants associés et d'y « faire prévaloir leurs idées par la parole ou par la tactique nous ne prétendons rien incriminer de « tout cela, nous en ferions autant si nous avions un parti. C'est le jeu loyal des gouvernements libres, « et nous voulons que la République soit cela où « rie

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« Seulement, il est permis au président d'une république de s'apercevoir de ce qui se passe ainsi « à quelques pas de lui, de se retourner s'il voit qu'on « serre de trop près la République, et de dire par un geste à ceux qui la talonnent: Prenez garde! je suis « encore là, et la France aussi y est derrière moi! Tel fut en effet dans sa signification la plus générale le Message du 31 octobre; ce solennel avertissement aux partis monarchiques fut entièrement perdu. Mais ceux-ci s'en emparèrent avec habileté, comme d'un terrain très-propre à séduire les esprits; la lutte de la Monarchie contre la République ne pouvait obtenir aucune popularité; mais la lutte de ce qu'on appelait le gouvernement parlementaire contre le gouvernement personnel offrait de meilleures chances. La majorité, subitement transformée en armée d'opposi

tion, recommença contre Louis-Napoléon la guerre qu'elle avait faite jadis à la Restauration sous le nom d'opposition libérale et à Lous-Philippe sous le nom d'opposition dynastique. Ce fut littéralement la même guerre, et c'était toujours les mêmes hommes, dont les plus considérables s'appelaient Thiers, de Broglie, Dufaure, de Rémusat, Dupin aîné, etc., auxquels s'adjoignirent des légitimistes mal conseillés par leurs passions. tels que MM. Berryer et de Vatimesnil.

Là était le plus grave danger. En effet, le parti parlementaire, c'est-à-dire l'oligarchie aristocratique et bourgeoise, avait de tout temps agité le pays pour la satisfaction de ses ambitions les moins justifiées; il avait eu la main dans tous les troubles depuis l'ancienne monarchie jusqu'à la République de Février. Il avait fait la Ligue; il avait fait la Fronde; comprimé par le roi Louis XIV, il avait agité les meilleures années du règne de Louis XV; sous Louis XVI, il prépara la révolution française, détruisit la Constitution de la monarchie, désarma l'autorité royale, et finalement jeta la France dans les bras sanglants des terroristes, comme plus tard il laissa tomber aux mains des anarchistes la monarchie de son choix. La puissante volonté de l'Empereur put enchaîner mais non lasser cette faction incorrigible, qui, en présence du désastre de Waterloo, se mit bravement à restaurer la prérogative parlementaire. Enfin, après avoir renversé Charles X du trône héréditaire pour l'y remplacer par le duc d'Orléans, elle détruisit dans un jour de démence ce qu'elle avait si péniblement édifié, et fut pour quel

que temps submergée sous l'océan révolutionnaire déchaîné.

Le but de ce parti, dans les vieux parlements comme dans les modernes assemblées, a été d'asseoir sa domination exclusive et irresponsable sur les ruines de tous les pouvoirs légaux; malheureusement, il y a souvent réussi. Son influence transforma la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle, la monarchie constitutionnelle en république, les assemblées délibérantes en Convention. Ce n'est pas assez qu'on gouverne dans son intérêt, s'il ne gouverne pas lui-même; et il n'hésita jamais à pousser aux derniers bouleversements pour le triomphe de ses théories, qu'on pourrait définir ainsi : « L'égoïsme en maximes. » Louis-Philippe en fit la cruelle expérience.

Après avoir abattu le trône constitutionnel et bourgeois au moyen de cet axiome que « Le roi règne et << ne gouverne pas, » les parlementaires allaient essayer de l'appliquer au Président de la République nommé par le suffrage universel.

Cette fois l'obstacle était au-dessus de leur taille : ils s'y brisèrent.

II

Le Président commence à se montrer en public et à se mettre en avant. Il cherche à rejeter le voile dont on l'obscurcissait aux yeux de la natión.

Il voulut présider en personne à l'institution de la magistrature (3 novembre 1849), et à la cérémonie des récompenses aux exposants de l'industrie (11 novembre).

A propos de l'installation de la magistrature, l'Assemblée engagea une misérable querelle d'étiquette. Elle refusa ensuite l'indemnité de logement du viceprésident de la République.

De son côté, le ministère laissait l'Assemblée entamer la discussion du projet de déportation des insurgés de juin en Algérie, et, aux derniers mots du rapport, il annonçait que le Président venait de grâcier les deux tiers des insurgés. L'Assemblée discutait depuis plusieurs jours une proposition de M. Lestiboudois sur les caisses de retraite; le ministère interrompt brusquement la discussion pour y substituer un projet nouveau. Ces taquineries étaient le prélude d'hostilités futures. Voici, suivant la Presse du 4 novembre, le mot d'ordre donné par M. Thiers à ses amis : « On n'attaquera pas le nouveau ministère à la tribune; • on se bornera à le surveiller dans les journaux. On « ne le soutiendra pas. La Montagne se précipitera « inévitablement sur lui. Il tombera. »

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Ce mot d'ordre contient au surplus la pensée exprimée dans la réunion dite du conseil d'État, dans sa séance du 2 novembre au soir :

Le motif de la réunion était la conduite à tenir à l'égard du nouveau cabinet.

M. de Broglie la présidait.

M. Berryer dit qu'il ne fallait pas refuser au nou

veau cabinet le concours de la majorité, qu'il fallait aussi, par un ordre du jour motivé, aussitôt que l'occasion s'en présenterait, faire connaître la manière dont le Message avait été apprécié par la majorité.

Ces paroles parurent obtenir l'adhésion de la majorité de la réunion.

M. Molé, tout en partageant les sentiments de M. Berryer, déclara ne pas penser qu'il fallût, par un acte quelconque, faire connaître l'impression fâcheuse qu'avait éprouvée la majorité de l'Assemblée.

M. Thiers, sans formuler sa pensée sur l'incident en question, dit qu'il fallait attendre les actes du ministère, mais surtout agir avec énergie et prouver que la majorité ne reculerait pas, quelles que fussent les atteintes que l'on voudrait porter à son pouvoir. Ces paroles furent accueillies par des applaudissements.

En même temps, on annonça la formation d'une nouvelle réunion parlementaire qui prenait pour symbole le Message du 31 octobre et pour guide la politique personnelle de Louis-Napoléon. Cette réunion se composa à l'origine de quatre-vingt-quatre membres: MM. Abbatucci père, Abbatucci fils, général Achard, Allenguy, Quentin Bauchart, Bréhier, de Beaumont (Somme), Bertrand (de l'Yonne), Mathieu Bodet, Briffault, Caulaincourt, Collas, Charamaule, général Chasseloup–Laubat, Clary, Dariste, Debrotonne Delasne, général Fabvier, Fourtanier, Gaslonde, général Grouchy, Gasc, d'Hérambault, général Lebreton, Ladoucette, Lemercier, Lepic, général Magnan, Mauguin, général Montholon, Marchand, de Morny, géné

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