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/ l'objet de la haine publique. Est-ce que le protestantisme est la
vieille religion de la France? Est-ce qu'il est la religion qui,
après de longues guerres civiles, après mille combats, l'a défi-
'nitivement emporté comme plus conforme aux mœurs, au génie
de notre nation? Ne voit-on pas ce qu'il y a de violent à vou-
loir se mettre à la place d'un peuple, pour lui créer des goûts,
des habitudes, des souvenirs même qu'il n'a pas ? Le principal
charme d'une religion, c'est celui des souvenirs. Pour moi, disait
un jour le premier Consul à l'un de ses interlocuteurs, je n'en-
tends jamais à la Malmaison la cloche du village voisin, sans
être ému ; et qui pourrait être ému en France, dans ces prêches
où personne n'est allé dans son enfance, et dont l'aspect froid
et sévère convient si peu aux mœurs de notre nation. On croit
peut-être que c'est un avantage de ne pas dépendre d'un chef
étranger. On se trompe. Il faut un chef partout, en toutes
choses. Il n'y a pas une plus admirable institution que celle qui
maintient l'unité de la foi, et prévient, autant du moins qu'il est
possible, les querelles religieuses. Il n'y a rien de plus odieux
qu'une foule de sectes se disputant, s'invectivant, se combat-
tant à main armée, si elles sont dans leur première chaleur, ou
si elles ont pris l'habitude de vivre à côté les unes des autres,
se regardant d'un oeil jaloux, formant dans l'Etat des coteries
qui se soutiennent, poussent leurs sujets, écartent ceux des
sectes rivales, et donnent au gouvernement des embarras de
toute espèce. Les querelles de sectes sont les plus insupportables
que l'on connaisse. La dispute est le propre de la science; elle
l'anime, la soutient, la conduit aux découvertes. La dispute
en fait de religion, à quoi conduit-elle, sinon à l'incertitude, à la
ruine de toute croyance? D'ailleurs, lorsque l'activité des es-
prits se dirige vers les controverses théologiques, ces contro-
verses sont tellement absorbantes, qu'elles détournent la pensée
de l'homme de toutes les recherches utiles. On rencontre ra-
rement ensemble une grande controverse théologique, et de
grands travaux de l'esprit. Les querelles religieuses sont ou
cruelles et sanguinaires, ou sèches, stériles, amères: il n'y

en a pas de plus odieuses. L'examen en fait de science, la un foi en matière de religion, voilà le vrai, l'utile. L'institution qui maintient l'unité de la foi, c'est-à-dire le Pape, gardien de l'unité catholique, est une institution admirable. On reproche à ce chef d'être un souverain étranger. Ce chef est étranger, en effet, et il faut en remercier le ciel. Quoi! dans le même pays, se figure-t-on une autorité pareille à côté du gouvernement de l'Etat? Réunie au gouvernement, cette autorité deviendrait le despotisme des sultans; séparée, hostile peutêtre, elle produirait une rivalité affreuse, intolérable. Le Pape est hors de Paris, et cela est bien; il n'est né ni à Madrid ni à Vienne, et c'est pourquoi nous supportons son autorité spirituelle. A Vienne, à Madrid, on est fondé à en dire autant. Croit-on que, s'il était à Paris, les Viennois, les Espagnols, consentiraient à recevoir ses décisions? On est donc trop heureux qu'il réside hors de chez soi, et qu'en résidant hors de chez soi, il ne réside pas chez des rivaux, qu'il habite dans cette vieille Rome, loin de la main des empereurs d'Allemagne, loin de celle des rois de France ou des rois d'Espagne, tenant la balance entre les souverains catholiques, penchant toujours un peu vers le plus fort, et se relevant bientôt si le plus fort devient oppresseur.

<< Ce sont les siècles qui ont fait cela, et ils l'ont bien fait. Pour le gouvernement des âmes, c'est la meilleure, la plus bienfaisante institution qu'on puisse imaginer. Je ne soutiens pas ces choses, ajoutait le premier Consul, par entêtement de dévot, mais par raison. Tenez, disait-il un jour à Monge, celui des savants de cette époque qu'il aimait le plus, et qu'il avait sans cesse auprès de lui, tenez, ma religion, à moi, est bien simple. Je regarde cet univers si vaste, si compliqué, si magnifique, et je me dis qu'il ne peut être le produit du hasard, mais l'œuvre quelconque d'un être inconnu, tout-puissant, supérieur à l'homme autant que l'univers est supérieur à nos plus belles machines. Cherchez, Monge, aidez-vous de vos amis, les mathématiciens et les philosophes, vous ne trouverez pas une raison

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plus forte, plus décisive, et, quoi que vous fassiez pour la combattre, vous ne l'infirmerez pas. Mais cette vérité est trop succincte pour l'homme; il veut savoir sur lui-même, sur son avenir, une foule de secrets que l'univers ne dit pas. Souffrez que la religion lui dise tout ce qu'il éprouve le besoin de savoir, et respectez ce qu'elle aura dit. Il est vrai que ce qu'une religion avance, d'autres le nient. Quant à moi, je conclus autrement que M. de Volney. De ce qu'il y a des religions différentes, qui naturellement se contredisent, il conclut contre toutes; il prétend qu'elles sont toutes mauvaises. Moi, je les trouverais plutôt toutes bonnes, car toutes au fond disent la même chose. Elles n'ont tort que lorsqu'elles veulent se proscrire; mais c'est là ce qu'il faut empêcher par de bonnes lois. La religion catholique est celle de notre patrie, celle dans laquelle nous sommes nés; elle a un gouvernement profondément conçu, qui empêche les disputes, autant qu'il est possible de les empêcher avec l'esprit disputeur des hommes; ce gouvernement est hors de Paris, il faut nous en applaudir; il n'est pas à Vienne, il n'est pas à Madrid, il est à Rome, c'est pourquoi il est acceptable. Si, après l'institution de la papauté, il y a quelque chose d'aussi parfait, ce sont les rapports avec le Saint-Siége de l'Eglise gallicane, soumise et indépendante tout à la fois : soumise dans les matières de foi, indépendante quant à la police des cultes. L'unité catholique et les articles de Bossuet, voilà le vrai régime religieux; c'est celui qu'il faut rétablir. Quant au protestantisme, il a droit à la protection la plus ferme du gouvernement; ceux qui le professent ont un droit absolu au partage égal des avantages sociaux; mais il n'est pas la religion de la France. Les siècles en ont décidé. En proposant au gouvernement de le faire prévaloir, on propose une violence et une impossibilité. D'ailleurs, qu'y a-t-il de plus hideux que le schisme? Qu'y a-t-il de plus affaiblissant pour une nation? Quelle est de toutes les guerres civiles celle qui entre le plus profondément dans les coeurs, qui trouble plus douloureusement les familles? C'est la guerre religieuse. Il nous faut la finir. La paix

avec l'Europe est faite; maintenons-la tant que nous pourrons; mais la paix religieuse est la plus urgente de toutes. Celle-là conclue, nous n'avons plus rien à craindre. Il est douteux que l'Europe nous laisse tranquilles bien longtemps, ni qu'elle nous souffre toujours aussi puissants que nous le sommes; mais, quand la France sera unie comme un seul homme, quand les Vendéens, les Bretons, marcheront dans nos armées avec les Bourguignons, les Lorrains, les Franc-Comtois, nous n'aurons plus à craindre l'Europe, fùt-elle tout entière réunie contre nous. i

« C'étaient là les discours que le premier Consul tenait sans cesse à ses conseillers intimes, à MM. Cambacérès et Lebrun, qui partageaient son avis, à MM. de Talleyrand, Fouché, Roederer, qui ne le partageaient pas, à une foule de membres du Conseil d'Etat, du Corps Législatif, qui en général étaient dans d'autres idées. Il y mettait une chaleur, une constance sans égales. Il ne voyait rien de plus utile, de plus urgent que de finir les divisions religieuses, et s'y appliquait avec cette ardeur qu'il apportait dans les choses regardées par lui comme capitales.

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<<< Il avait arrêté son plan, qui était simple, sagement conçu, et qui a réussi à terminer les divisions religieuses de la France; car les disputes malheureuses que le premier Consul, devenu Grants empereur, eut plus tard avec la cour de Rome, se passèrent entre lui, le Pape, les évêques, et n'altérèrent jamais la paix religieuse rétablie parmi les populations. On ne vit plus renaître, même quand le Pape fut prisonnier à Fontainebleau, deux cultes, deux clergés, deux classes de fidèles».

CHAPITRE QUATRIÈME.

Négociation de M" Spina, à Paris, pour le Concordat.

Bonaparte se montre bienveillant pour le Saint-Siége.

dat.

Son allocution aux curés de la ville de Milan.

constitutionnels.

Ses premières tentatives pour un Concor-
Il prend des renseignements sur Pie VII.

Il charge le cardinal Martiniana de lui faire des ouvertures: réponse empressée du Pape. Le cardinal la transmet à Bonaparte. Sentiments de Pie VII pour la France. Antonelli. Comment Bonaparte à son retour d'Egypte avait rencontré à Valence Mer Spina: courte biographie de ce prélat. Il est envoyé à Paris avec le P. Caselli pour négocier le Concordat. Note remise par Bernier à Spina sur la démission que le gouvernement désire qu'on demande aux anciens évêques : réponse de Spina. Le gouvernement demande que le Pape sanctionne la vente des biens ecclésiastiques. Il veut aussi qu'on conserve un certain nombre d'évêques Nouveau projet Bernier le recommande au Pape religion de la majoritė, réduction des évêchés, etc. Cinquième projet une commission l'examine à Rome : dépêche de Cacault Spina accrédité désintéressement du Pape relativement aux affaires temporelles. Bref du Pape à Bernier. — Retard d'un courrier du Pape causé par un malentendu : impatience de Bonaparte Bernier se plaint de sa part: Consalvi se justifie. - Belle lettre de Pie VII à Bonaparte pour lui faire agréer les amendements qu'il désire au projet du gouvernement français. L'impatience de Bonaparte augmente: Bernier se plaint encore de sa part: Consalvi se justifie de nouveau : Cacault l'appuie et lui conseille d'aller à Paris : démarches et dépêches relatives à cet objet ainsi qu'à l'ordre qu'avait reçu Cacault de quitter Rome si le Saint-Siége n'acceptait pas le projet de Concordat. Bernier conciliateur entre le Saint-Siége et la France son rapport.

On s'est perdu en bien des hypothèses, sur la personne qui pourrait avoir inspiré à Bonaparte la pensée de rétablir le culte catholique en France. M. Thiers y a admirablement répondu, dans les belles pages que nous venons de lire. C'est Bonaparte lui-même qui a eu cette pensée, au milieu de difficultés presque insurmontables, et en face d'un gouvernement ennemi implacable de la religion, comme l'était le Directoire. Il y avait sans doute été guidé par une inspiration plus haute et plus sublime que celle d'un homme, par une disposition admirable de Dieu, qui voulait se servir de lui, pour mettre un terme aux dures épreuves de l'Eglise de France.

Bonaparte manifesta son religieux dessein, pendant sa

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