Page images
PDF
EPUB

distance sépare, quant au degré de leur criminalité, des faits qui ne se ressemblent que par le nom et qui diffèrent par leur essence, sont frappés de la même peine, et les termes dont le législateur a fait choix lorsqu'il s'agit de crimes politiques, sont d'une élasticité telle qu'ils peuvent recevoir toute l'extension qu'un gouvernement despotique voudra leur donner. Lorsque le législateur du Code pénal frappe, dit Rossi, il frappe en masse, avec une sorte de laisser-aller, dédaignant toute considération du plus ou du moins de démérite moral et politique que peut offrir l'action punissable (1). »

[ocr errors]

Si nous jetons un coup-d'œil sur le catalogue des pénalités sanctionnées par le Code, nous rencontrons la peine de mort, prodiguée d'une manière révoltante, et accompagnée, dans le crime de parricide, de mutilations barbares et inutiles; des peines afflictives perpétuelles appliquées avec non moins de profusion; la mort civile, basée sur une fiction, sur un principe aussi raisonnable que peut l'être l'idée de supposer qu'un vivant est un mort; la confiscation des biens, qui atteint l'innocent à l'occasion du coupable; le carcan et la marque, peines immorales, injustes cruelles et inutiles, qui ravissent l'espoir au condamné en brisant violemment tous les liens qui l'attachaient à la société ; le renvoi sous la surveillance de la haute police de l'état, pénalité qui, qu'elle est organisée par le Code, constitue un obstacle insurmontable à l'amendement des criminels; l'infamie enfin, attachée non à la nature du crime, mais au genre de la peine. La latitude que le Code pénal laisse aux juges, dans l'application de la peine, n'est pas assez grande. Le législateur de 1810 a évité, il est vrai, la faute commise par celui de 1791, qui avait établi pour tous les cas des pénalités fixes et d'autant plus invariables que le droit de grâce et de commutation était aboli. Mais, outre la peine de mort, le nou

(1) Rossi, p. 33.

veau Code prononce, contre un grand nombre de crimes, d'autres peines perpétuelles pour l'application desquelles les cours n'ont aucun pouvoir discrétionnaire, puisque ces pénalités n'admettent pas de degrés. Ensuite, plusieurs peines temporaires sont fixées invariablement par le Code qui prononce le maximum de la peine, sans égard à la variété des circonstances (1). Enfin, lors même que la loi laisse au juge le choix de la peine entre deux termes extrêmes, le minimum est presque toujours trop élevé.

Le système d'atténuation admis par ce Code, est extrêmement vicieux. La latitude du maximum et du minimum, quelque grande que soit l'intervalle qui sépare ces deux termes, est loin d'être suffisante pour permettre au juge de proportionner, dans tous les cas, la punition à la faute. La loi, il est vrai, admet comme atténuant de plein droit la peine, certaines circonstances qu'elle qualifie d'excuses, telle que la minorité au-dessous de seize ans, la provocation violente, la défense pendant le jour contre l'effraction ou l'escalade, le flagrant délit d'adultère, l'outrage violent à la pudeur (2). Mais ces circonstances sont étroitement définies et ne s'appli quent qu'à quelques crimes; tandis qu'il est évident que tous les crimes sont susceptibles d'atténuation et que les circonstances atténuantes sont, par leur nature, indéfinissables et illimitées (3).

Cependant, tout en accordant aux tribunaux jugeant correctionnellement la faculté d'atténuer la peine légale (art. 463), le Code refuse ce pouvoir discrétionnaire aux juges en matière de grand criminel, de sorte que la peine, quelque nombreuses que soient les circonstances atténuantes, ne peut être adoucie par les cours que dans les cas très-rares où la loi elle-même déclare le fait excusable (art. 65).

(1) Art. 57, 58, 118, 140, 198, 281, 438, 442, 450 et 453. (2) Art. 67 à 69. Art. 321 à 326.

(3) Dumon, Rapport sur la Loi du 28 avril 1832.

Enfin, la théorie des circonstances aggravantes adoptée par le Code pénal n'est pas moins défectueuse. Des événements dûs au hasard, des suites accidentelles de l'action, des circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur et qui lui sont même totalement étrangères ou qu'il a complètement ignorées, aggravent la peine d'une manière souvent effrayante.

Tel est le système du Code pénal dont nous aurons plus tard l'occasion d'examiner les détails. Ce n'est pas le Code de la France, dit avec raison un célèbre criminaliste, c'était le Code de Napoléon. Comme l'empire a été un détour, nécessaire peut-être, dans la marche du peuple français vers la liberté, de même le Code pénal n'est que l'effet d'un état temporaire et qui n'est plus. Il est l'expression de l'individualité impériale (1).

La Belgique, séparée de la France en 1814, conserva la législation française; mais plusieurs dispositions du Code d'instruction criminelle et du Code pénal furent modifiées dans la suite.

Déjà en 1813, on avait essayé en Hollande d'apporter des changements au système pénal français. Le 11 décembre de la même année, le prince souverain publia un arrêté composé de 35 articles relatifs tant à l'application des peines qu'à la procédure criminelle. Cet arrêté contenait, il est vrai, quelques améliorations; mais, en général, il portait l'empreinte de la précipitation et du désir de ramener l'ancien ordre des choses. Ce premier essai en matière de législation fit pressentir dans quel esprit serait conçu le projet du nouveau Code pénal, auquel on songeait déjà à cette époque.

Quelques unes des dispositions de l'arrêté du 11 décembre

(1) Rossi, p. 60.

furent dans la suite rendues communes à la Belgique. Le Code pénal français fut modifié par les arrêtés du 9 septembre 1814 et du 20 janvier 1815. Le premier autorise les cours, si les circonstances sont atténuantes, à prononcer la peine de la réclusion 'sans la faire précéder de l'exposition publique, ou même de la réduire à un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de huit jours, si le préjudice causé n'excède pas cinquante francs. Le second accorde aux cours le pouvoir de commuer, dans les mêmes circonstances, la peine des travaux forcés à temps en celle de la réclusion, et même d'exempter le coupable de l'exposition publique.

On a donné le nom de bienfaisants à ces deux arrêtés, et ils le sont en effet; mais on ne conçoit guères pourquoi le législateur qui avait devant les yeux l'art. 463 du Code pénal, n'a pas étendu la faculté d'atténuation à toutes les affaires du grand criminel. On voulait pourvoir au plus pressé en attendant la refonte générale du Code pénal. Sans doute, une révision complète de la législation exigeait beaucoup de temps et de travail; mais, pour pouvoir préparer et murir sans danger les changements qu'on méditait, il fallait accorder au juge le pouvoir de mitiger toutes les peines afflictives ou infamantes, surtout la peine de mort et celle des travaux forcés à perpétuité, prodiguées avec profusion par le Code français.

Le Code d'instruction criminelle fut modifié par les arrêtés du 31 août et du 6 novembre 1814. Le premier de ces arrêtés établit que les cours spéciales seraient dorénavant composées de huit juges pris dans l'ordre judiciaire. Le second abolit l'institution du jury en chargeant les juges de prononcer d'abord sur les questions de fait, ensuite sur l'application de la peine. Le même arrêté prescrivit qu'aucune audience criminelle ou correctionnelle ne serait publique avant le commencement des plaidoiries.

[ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors]

La nouvelle organisation donnée aux cours spéciales était sans doute une amélioration; mais il fallait les supprimer tout-à-fait.

Par un trait de plume on avait fait disparaître l'institution du jury. On prétendait que c'était une institution belle en théorie et dangereuse en pratique ; que les juges seuls étaient en état de découvrir la vérité dans un procès criminel; qu'ils étaient au-dessus des jurés par l'étude, l'instruction, l'expérience des affaires, qu'ils offraient donc nécessairement plus de garanties contre les diverses séductions de l'éloquence, de la pitié, de la faiblesse ou de la peur, qui, tour à tour, et souvent toutes ensemble, viennent assiéger les jurés. C'est par de pareils arguments qu'on attaque encore aujourd'hui en Italie et en Allemagne l'institution du jury. Cependant, ce n'est pas à priori qu'on peut résoudre la question importante relative aux avantages et aux inconvénients de cette institution; tout dépend de son organisation, des hommes que la loi appelle à l'exercice de ces fonctions difficiles et pénibles. Si cette institution qu'on regarde en Angleterre, en Amérique, en France et en Belgique comme une des garanties les plus précieuses de la liberté, a cependant trouvé tant de détracteurs en Allemagne et en Italie, n'est-ce pas peut-être parce que, dans ces pays, on n'avait devant les yeux que le jury tel que l'avait organisé le Code d'instruction criminelle ?

Il serait également difficile de justifier la restriction que l'arrêté du 6 novembre avait mise à la publicité des débats. Cette publicité peut, en effet, être dangereuse pour l'ordre ou les mœurs; mais il faut accorder aux tribunaux le droit de prononcer le huis-clos, toutes les fois qu'ils sont convaincus de l'existence de ce danger (1).

(1) Telle est aussi la disposition de l'art. 55 de la charte française et de l'art. 96 de la constitution belge.

« PreviousContinue »