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gen prononça un discours plein de fermeté et de modération qui a eu du retentissement dans toute l'Europe. Il rappela avec énergie les tristes prescriptions du quatrième concile de Latran, qui font de l'intolérance un devoir étroit 1. «< Quand vous niez les principes de 89, dit-il à ses adversaires, quand vous attaquez la constitution du pays, vous n'êtes pas une religion, mais un parti politique, un parti qui marche à l'assaut de l'État, et qui voit l'idéal de la société humaine dans l'absolutisme théocratique de Rome. » A Gand, les deux professeurs de philosophie, MM. Léon Wocquier et Callier protestèrent avec énergie en faveur des droits méconnus de l'enseignement

1. Le quatrième concile de Latran dura depuis le 11 novembre jusqu'au 30 novembre 1215. Le troisième canon du concile est ainsi conçu « Les hérétiques condamnés seront abandonnés aux puissances séculières pour recevoir la punition convenable, les clercs étant auparavant dégradés. Les biens des laïques seront confisqués, et ceux des clercs appliqués aux églises dont ils recevaient leurs. rétributions. Ceux qui seront seulement suspects d'hérésie, s'ils ne se justifient par une purgation convenable, seront excommuniés, et s'ils demeurent un an en cet état, condamnés comme hérétiques. Les puissances séculières seront averties, et, s'il est besoin, contraintes par censure, de prêter serment publiquement qu'elles chasseront de leurs terres tous les hérétiques notés par l'Église. Que si le seigneur temporel, étant admonesté, néglige d'en ⚫ purger sa terre, il sera excommunié, et s'il ne satisfait dans l'an, on en avertira le pape, afin qu'il déclare ses vassaux absous du serment de fidélité, et qu'il expose sa terre à la conquête des catholiques pour la posséder paisiblement après en avoir chassé les hérétiques.

<< Nous excommunions aussi les croyants des hérétiques, leurs recéleurs et leurs fauteurs; en sorte que, s'ils ne satisfont dans

et de la libre pensée. « A quel titre monté-je dans cette chaire? dit M. Wocquier. Au nom de qui vous adressé-je la parole? messieurs, je parle au nom de la raison humaine. Le philosophe, comme tel, ne reconnaît ni ne peut reconnaître d'autre autorité sans abdiquer un titre qu'il usurpe, et sans renier la science dont il se prétend faussement le représentant.» M. Callier prononça à son tour, dans le sein de la Société littéraire, un discours plein de vigueur et d'éclat qui aurait rendu les miens parfaitement inutiles, s'il avait été plus complétement reproduit par les journaux belges.

Je demande à présent la permission de dire que

l'an depuis qu'ils auront été notés, dès lors ils seront infâmes de plein droit, et comme tels exclus de tous offices ou conseils publics, d'élire les officiers, porter témoignage, faire testament ou recevoir une succession. Personne ne sera obligé de leur répondre en justice, et ils répondront aux autres. Si c'est un juge, la sentence sera nulle, et on ne portera point de causes à son audience; s'il est avocat, il ne sera pas admis à plaider; s'il est tabellion, les actes dressés par lui seront nuls, et ainsi du reste.... Les clercs ne leur donneront ni les sacrements, ni la sépulture ecclésiastique.... » (Extrait de l'Histoire ecclésiastique de l'abbé Fleury, liv. LXXVII, chap. XLVII.)

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Fleury a atténué le texte dans sa traduction. Le concile se sert par deux fois du mot exterminare : « exterminatis hæreticis. » Ce canon du concile de Latran est inséré au corps du droit canonique, décrétales géorgiennes, liv. V, titre VI, chap. XIII.

Saint Thomas d'Aquin s'est servi de la même expression: << hæretici sæcularibus principibus exterminandi tradendi sunt. Summa Theol., quæst. II, art. 3. Il dit plus loin : « Meruerunt non Solum ab Ecclesia per excommunicationem separari, sed etiam per mortem a mundo excludi, »

M. de Kerchove, président de la Société littéraire, et, je crois, la plupart des membres de la société me regardent comme un ami, et qu'ils voulurent m'honorer en m'appelant à défendre au milieu d'eux des principes qui nous sont communs, et pour la défense desquels je serai prêt à tout en.toute occasion. Le conseil communal et l'Université voulurent bien mettre à ma disposition la grande salle de l'Université, qui est assurément l'une des plus vastes et des plus belles du monde; et c'est ainsi que j'ai pu rappeler les droits de la raison, et prêcher la paix et la tolérance devant un auditoire de plus de trois mille personnes, toutes enflammées du même amour pour cette sainte cause. Elles me prêtaient, pour ainsi dire, leur passion, et j'étais au milieu d'elles comme un écho qui leur renvoyait leur propre pensée.

Ceux qui ont pris la peine de lire mes livres savent d'avance qu'ils ne trouveront ici aucune attaque contre la religion chrétienne. Je me suis toujours efforcé de respecter toutes les convictions sincères en demandant le même respect pour les miennes. Je suis rempli à la fois de respect et d'admiration pour le christianisme, cette doctrine si simple et si profonde, qui enseigne si clairement l'unité de Dieu et l'immortalité de l'âme, dont la morale est si pure, si pleine de charité, dont l'autorité sur les plus grands esprits et sur les foules est si imposante depuis tant

de siècles. J'y trouve surtout un caractère qui me ravit; c'est qu'elle joint la métaphysique la plus savante à la plus parfaite et, si on peut le dire, à la plus efficace simplicité. Assurément le Timée de Platon et le XII livre de la Métaphysique d'Aristote sont des merveilles; mais il ne sortira pas de là un symbole qu'on puisse faire réciter aux petits enfants. Il n'y a jusqu'ici que la religion chrétienne qui ait eu à la fois la Somme de saint Thomas, et un catéchisme. Lorsqu'aujourd'hui on essaye, au nom de cette religion, de nous ôter la liberté de penser, et de propager des superstitions souvent immorales et presque toujours ridicules, ne pouvons-nous résister à ces malheureuses tentatives sans faire la guerre à l'Évangile? Et n'est-il pas juste de séparer une religion dont l'amour est le principe, et un parti qui ne respire que la haine? C'est, pour ma part, ce que j'essaye de faire. On dira, si l'on veut, que j'ai choisi mon ennemi. Je ne le cache pas. Mon ennemi, c'est l'intolérance, et je l'attaque partout où je le rencontre; chez les chrétiens, s'il y est, et même, au besoin, chez les libres penseurs, car il y a aussi parmi nous des esprits intolérants. Mon premier soin, dans ces leçons, a donc été de mettre en dehors du débat tout ce qui n'était pas le débat luimême.

Ainsi restreinte, la question de la liberté de conscience est déjà assez difficile. Outre qu'on ne s'en

tend pas dans la théorie, parce que les philosophes partent des droits de la raison et leurs adversaires de la négation de la raison, la pratique apporte mille obstacles avec lesquels il faut compter. S'il ne s'agissait que de faire une république, comme Platon, avec des hommes sortis de terre tout exprès, on organiserait peut-être assez aisément la liberté ; mais il y a un passé, des mœurs, des lois, qu'on peut modifier quelquefois et que le plus souvent on est obligé de subir. Il faut donc étudier toutes les circonstances et en tenir compte, si l'on veut arriver à une pacification solide.

Supposons un instant que les faits n'apportent aucune complication, et qu'on n'ait à compter qu'avec les principes en matière de liberté des cultes. On écrirait dans la Constitution que tous les cultes sont libres, qu'ils ont tous des droits égaux et qu'ils ne sont assujettis qu'à l'observation des lois communes. Non-seulement l'État n'accorderait à aucun d'eux aucune prédominance, mais il ne leur donnerait ni budget, ni temple, ni aucun autre concours que la garantie qu'il doit à tout exercice de la liberté. Il ne serait pas athée pour cela; sa religion serait la religion naturelle, et il se tiendrait dans une impartialité absolue à l'égard des différents cultes positifs. Voilà ce que l'on ferait, car il n'y a de logique que cette impartialité et cette séparation, qui est le ré

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