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ait plus de religion de l'état... Mais non. Il y a moyen de tout concilier. La charte nous assure la liberté, et nous en jouirons. Liberté n'a jamais voulu dire oppression; on ne met pas les fers aux pieds et aux mains à un individu pour lui prouver qu'il est libre. Qu'il y ait toujours une religion de l'état, quelle qu'elle soit, peu nous importe, puisque l'état ne force personne à professer sa religion et qu'il promet égalité de protection à toutes les religions. Que la religion de l'état soit le catholicisme selon Bossuet ou selon les magistrats, personne n'a le droit de le trouver mauvais. Que les magistrats soient les premiers docteurs de ce catholicisme nouvellement imaginé, les juges de toutes les controverses; rien de mieux, cela est très-naturel. Que ceux qui de leur plein gré et libre volonté professent cette religion, se fassent un devoir de déclamer sans cesse contre Rome, contre le Pape, contre les congrégations religieuses, contre les missionnaires, contre les prêtres, contre les évêques, qu'ils emploient les sarcasmes, les railleries, la calomnie même pour rendre odieux ce qu'on a toujours révéré comme sacré; il n'y a rien à dire. Que les magistrats trouvent cela fort innocent, ils en sont bien les maîtres: nous ne nous plaindrons de rien. Nous nous bornerons à demander la permission de ne pas être de cette religion-là, d'être catholiques à notre manière et non à celle des magistrats, selon le Pape et non selon Bossuet entendu comme ils l'entendent. Cette demande est trop juste pour être rejetée. Nos magistrats sont trop sages, trop éclairés, pour s'obstiner à soutenir que tout le monde est obligé, sous peine de damnation, de croire ce qu'ils croient, d'entendre le catholicisme comme ils l'entendent. Cela finiroit par être ridi cule, et le ridicule, en France, est à craindre, même pour les magistrats. Je sais que leur autorité est bien grande, bien respectable; mais celle de la raison a aussi toujours son poids; et je doute que des arrêts puissent jamais nous convaincre qu'une charte, qui tolère et protège tous les cultes, qui permet d'être chrétien selon Luther, ou catholique selon Jansenius, puisse

en même temps in'ordonner d'être catholique selon Bossuet et permettre que je sois traîné devant les tribunaux, uniquement parce que je soutiens et prouve que l'autorité du Pape étant supérieure à celle de Bossuet, il est raisonnable que j'obéisse plutôt aux bulles du premier qu'à la déclaration du second. Si c'est une loi de la religion de l'état qui autorise une telle absurdité, je dis en mon âme et conscience que cette religion me paroît elle-même absurde, en contradiction avec la charte, et qu'en ce cas je ne veux pas être de la religion de l'état.

J'ai l'honneur d'être, etc.,

Un de vos abonnés.

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d'observer

Rien n'est plus instructif, surtout aujourd'hui, que les mouvements des opinions. En sortant de la société spirituelle, les esprits, 'abandonnés à eux-mêmes, se fraient mille routes diverses. Les uns marchent rapidement vers le scepticisme, et s'y reposent; d'autres s'efforcent de s'arrêter en deçà de cet abîme; quelques-uns essaient de revenir sur leurs pas pour rentrer dans la grande et universelle société des esprits. Au milieu de cette vaste agitation, chaque jour enfante de nouveaux systèmes, chaque année voit paroître de nouvelles écoles philosophiques. L'école industrielle, dont le journal intitulé le Producteur est l'organe, mérite d'être observée. Quoiqu'elle s'occupe particulièrement de l'application des sciences physiques aux arts et au commerce, elle a aussi sa théorie sur les fondements de l'ordre social. C'est sous ce rapport seulement que nous devons la considérer.

Elle a commencé par développer sa théorie dans quelques articles intitulés : Considérations philosophiques sur les sciences et les savants, et dans d'autres articles sur le pouvoir spirituel,

dont M. Auguste Comte est l'auteur. On y reconnoît un esprit bien supérieur aux préjugés qui dominent le vulgaire des philosophes. L'ensemble de ses idées est très-remarquable. M. Auguste Comte ne se présente pas, comme les rédacteurs du Globe, avec des doctrines à faire, il annonce une doctrine toute faite, qu'il promet d'exposer successivement, mais dont il paroît qu'il a cherché à lier entre elles toutes les parties. Pour en bien juger, il faut attendre qu'il l'ait développée tout entière. Nous entrerons alors d'autant plus volontiers en discussion avec lui, que ses réflexions présentent un caractère de bonne foi, bien rare de nos jours. Plusieurs des opinions que professe M. Comte, sont fondamentalement incompatibles avec la religion; mais il est difficile qu'un esprit naturellement droit puisse échapper long-temps à des vérités auxquelles plusieurs de ses principes le conduisent directement. En attendant l'exposition complète de sa théorie, nous nous bornerons aujourd'hui à extraire de ses articles quelques réflexions, qui se rapportent à la grande question du siècle, l'AUTORITÉ

SPIRITUELLE.

« La société est évidemment, aujourd'hui, sous le rapport moral, dans une véritable et profonde anarchie, reconnue par tous les observateurs, quelles que soient leurs opinions spéculatives. Cette anarchie tient, en dernière analyse, à l'absence de tout système prépondérant, capable de réunir tous les esprits en une seule communion d'idées. Les conceptions positives ont acquis une étendue suffisante pour annuler de fait l'influence politique de la théologie, et même de la métaphysique, sans être encore devenues assez générales pour être susceptibles de les remplacer dans la direction spirituelle de la société. Il résulte de cette opposition fondamentale et continue, que les esprits, n'ayant plus aucun lien réel, divergent sur tous les points essentiels avec cette licence que doit produire l'individualité non comprimée. De là, l'absence complète de morale publique ; par suite, le débordement universel de l'égoïsme, et la prépondérance des considérations purement matérielles ; et, pour dernière conséquence nécessaire, la corruption érigée en système de gouvernement, comme étant le seul moyen d'ordre appli

cable à une population devenue sourde à tout appel fait au nom d'une idée générale, et sensible uniquement à la voix de l'intérêt privé. Pour terminer radicalement ce désordre qui, s'il pouvoit se prolonger, n'auroit d'autre issue que l'entière dissolution des rapports sociaux, la seule manière est de le détruire dans son principe, en ramenant, par un procédé quelconque, le système intellectuel à l'unité....... (1)

» De tous les préjugés révolutionnaires, engendrés pendant les trois derniers siècles par la décadence de l'ancien système social, le plus ancien, le mieux enraciné, le plus universellement répandu, et le fondement général de tous les autres, c'est le principe en vertu duquel il ne devroit pas exister dans la société de pouvoir spirituel, ou, ce qui revient au même, l'opinion qui subordonne complètement ce pouvoir au pouvoir temporel. Les rois et les peuples qui luttent, plus ou moins ouvertement, sur toutes les autres parties de la doctrine critique, sont parfaitement d'accord sur ce point de départ. Dans les pays où le protestantisme a triomphé, cet anéantissement, ou cette absorption du pouvoir spirituel, a été régulièrement et ostensiblement proclamé. Mais le même principe n'a pas été, au fond, moins réellement rétabli, quoique d'une manière plus détournée, dans les états qui ont continué à s'intituler catholiques, où l'on a vu le pouvoir temporel soumettre entièrement à sa dépendance la hiérarchie spirituelle, et le clergé luimême se prêter volontairement à cette transformation, en s'empressant de relâcher les liens qui l'unissoient à son gouvernement central pour se nationaliser. Enfin, pour rendre sensible, par un seul fait récent, toute la force et l'universalité d'une telle opinion, il suffira de rappeler qu'on a vu, de nos jours, quelques philosophes très-recommandables, qui, ayant tenté de lutter contre ce préjugé, n'ont trouvé dans leur propre parti que des antagonistes opiniâtres......

» Si l'on envisage d'abord les relations politiques les plus générales, on voit que, tant que le système catholique a conservé une grande vigueur, les rapports d'état à état ont été soumis, dans toute l'Europe chrétienne, à une organisation régulière et permanente, capable d'entretenir habituellement entre eux un certain ordre volontaire, et de leur imprimer, quand les circonstances l'ont exigé, une activité collective, comme dans la vaste et importante opération des Croisades. En un

(1) N° 8 du Producteur, p. 369.

mot, on a pu contempler alors ce que M. de Maistre appelle, avec une si profonde justesse, le miracle de la monarchie européenne. Sans doute, vu l'état de la civilisation à cette époque, ce gouvernement étoit fort incomplet. Mais sous ce rapport, comme sous le rapport national, le gouvernement le plus imparfait n'est-il pas, à la longue, très-préférable à l'anarchie? Qu'est-il arrivé, à cet égard, depuis l'absorption du pouvoir papal? Les diverses puissances européennes sont rentrées, les unes visà-vis des autres, dans l'état sauvage; les rois ont fait graver sur leurs canons l'inscription dès-lors exactement vraie, ultima ratio regum. Quel expédient a-t-on imaginé pour combler le vide immense que laissoit à cet égard l'annulation du pouvoir spirituel? On doit sans doute rendre justice aux efforts très-estimables des diplomates, pour produire et maintenir, à défaut d'un lien réel, ce qu'on a appelé l'équilibre européen ; mais on ne peut s'empêcher de sourire à l'espoir de constituer par une telle voie un véritable gouvernement d'états. Il est évident que ce système d'équilibre, considéré dans sa durée totale, a occasionné plus de guerres qu'il n'en a empêchées : l'ébranlement produit par la révolution française l'a réduit en poussière, et chaque état est resté dans l'inquiétude continue d'un envahissement général de la part de quelque grande puissance. Au moment où nous écrivons cet article, l'Europe entière n'est-elle pas tout près de craindre, quoiqu'à tort sans doute, de voir tout le système des relations extérieures compromis par un seul homme?

» Il faut ajouter à ce qui précède, que, suivant une remarque trèsjudicieuse de M. de Maistre, l'action du pouvoir spirituel, sous le rapport que nous considérons, doit être jugée non-seulement par le bien sensible qu'elle produit, mais aussi par le mal qu'elle prévient, et qui n'est pas aussi facile à constater. Un exemple mémorable, indiqué par ce philosophe, peut mettre dans tout son jour l'importance d'une telle observation.

» Dans la formation du système colonial, qui a suivi la découverte de l'Amérique, deux nations éminemment rivales, dont chacune pouvoit envier à l'autre les plus importantes possessions coloniales du globe, et qui étoient, sur une étendue immense, dans un contact perpétuel, n'ont jamais eu, par ce motif, une seule guerre, tandis que toutes les autres puissances européennes se disputoient avec l'acharnement le plus obstiné quelques postes presque insignifians. Comment un si grand résultat a-t-il été produit? Par un seul acte du pouvoir spirituel, déjà même ébranlé

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