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MÉMORIAL CATHOLIQUE.

JANVIER 1826.

INTRODUCTION.

Une année vient de finir, léguant à celle qui commence un abondant héritage d'extravagances, de crimes et de malheurs. En tracer le tableau seroit utile, non pour éclairer ( car aujourd'hui rien n'éclaire), mais du moins pour justifier la prévoyance qui les avoit devinés, et le zèle qui les avoit annoncés dans l'espoir de les prévenir.

Mais il faudroit avoir conservé plus de liberté d'esprit, et n'avoir pas été, comme nous, trop long-temps distraits des malheurs publics par de profondes afflictions particulières, pour pouvoir interroger les jours écoulés, et rappeler avec ordre les événements qui ont marqué leur passage. Plus tard, peut-être, nous essaierons de remplir cette tâche, maintenant au-dessus de nos forces; aujourd'hui, nous nous bornerons à jeter un coup-d'œil sur le passé et sur le présent.

Les événements ont été graves, multipliés, et surtout rapides. On devoit s'y attendre : quand on tombe de haut, plus on parcourt d'espace et plus la chute s'accélère; c'est une loi du monde physique, qui s'applique également à l'ordre moral. L'Europe en fait aujourd'hui l'expérience, et la France en subit plus particulièrement la rigueur. De toutes parts les faits s'accumulent et se pressent; les hommes se dépêchent, la Providence aussi se hâte, et tout annonce un prochain dénouement. Ceux quile croyoient encore éloigné, et dont l'égoïsme se seroit

peut-être contenté d'une tranquillité publique viagère, commencent à s'étonner, à se troubler. « La révolution n'est pas » prête, disoient-ils; le temps de son triomphe n'est pas si pro» che; il lui manque encore ceci, elle attend encore cela. » Et voilà qu'ils s'aperçoivent qu'elle n'attend plus rien, que rien ne lui manque plus, et que, maîtresse du temps, il ne lui reste qu'à choisir son jour et à ordonner son triomphe.

Il faut, au reste, lui rendre justice et reconnoître qu'elle a déployé une activité merveilleuse, une rare habileté. Il est vrai que ceux qui devoient l'arrêter l'ont bien poussée, que ceux qui l'auroient dû combattre l'ont loyalement servie. Mais si c'est du bonheur, ce bonheur-là est encore du talent; car endormir ses surveillans, séduire ses gardiens, corrompre ses juges, suppose de l'adresse, de l'audace et de l'argent : trois choses qui, aujourd'hui, constituent essentiellement ce qu'on appelle une haute supériorité morale.

La révolution, qui a quelquefois commis des fautes, mais qui n'a jamais commis de fautes perdues, parce que, les ayant toujours aperçues, retenues et méditées, elle les a toujours fait tourner au profit de son expérience, la révolution a compris que des complots partiels, d'obscures émeutes, de mesquines révoltes étoient des moyens usés, et désormais plus nuisibles qu'utiles à sa cause. Déjà, ses derniers essais dans ce genre, mal calculés dans leur principe, mal conduits dans leur exécution, avoient manqué la compromettre, non pas en la rendant odieuse (comme l'ont si ingénieusement prétendu de profonds publicistes), mais, ce qui est bien plus fâcheux, en la rendant ridicule, et surtout en refroidissant le zèle, en éteignant l'ardeur des frères et amis, auxquels le supplice de quelques-uns des leurs avoit pu faire croire qu'on couroit encore quelque risque à conspirer contre une monarchie. Il fut donc reconnu que dépenser le sang en détail étoit une mauvaise spéculation, et qué dans un Etat, dont les destinées sont confiées à la police, il y auroit imprudence et maladresse à attaquer avec les sabres de

quelques soldats ivres, ou les poignards de quelques coupe-jarrets à gages, une société essentiellement riche de mouchards et forte de gendarmes.

Cette réflexion éclaira la révolution et devint pour elle une source féconde de lumières nouvelles. Paralysée dans sa force physique, il lui fallut nécessairement examiner ses ressources morales; dès ce moment, elle découvrit le véritable secret de sa vocation et mesura toute l'étendue de sa puissance. Dès-lors aussi elle changea entièrement de conduite, de ton et de langage. De matérielle qu'elle étoit, elle devint tout intellectuelle. C'est aux esprits seuls qu'elle s'adressa. Il ne fut plus question de se révolter contre les lois, mais seulement de les interpréter ; l'ordre ne fut plus de crier à haute voix à bas Dieu, à bas les Rois, mais de saper sourdement l'autel et le trône. La corruption remplaça l'insurrection et devint à son tour le plus saint des devoirs. Au lieu de proclamations impériales et de cocardes tricolores, on sema des romans impies et des livres obscènes : Rousseau prit la place de Berton, et Voltaire fut substitué au roi de Rome.

En même temps, on remua à la fois toutes les passions, tous les intérêts. On fit un appel général aux ambitions et aux mécontentements, aux haines et aux affections, aux regrets et aux désirs, aux souvenirs et aux espérances. On chercha à endormir la vieillesse malheureuse et fatiguée, en lui montrant dans le présent quelques jours d'un repos trompeur, et dans l'avenir une aumône plus trompeuse encore. On fit entendre à l'âge mûr les mots magiques de fortune, de crédit, d'industrie, d'opulence; et pour l'attirer dans le piége, on jeta un pont d'or sur le gouffre de l'agiotage. A la jeunesse, on promit l'indépendance, le pouvoir et la volupté; et l'on prépara pour l'enfance même des séductions qu'elle sût comprendre, et des poisons qu'elle pût goûter.

Cette manière morale de conspirer présente deux grands avantages sur une attaque à force ouverte. Et d'abord, elle est plus

adroite et surtout moins périlleuse. Insaisissables, parce qu'ils sont à la fois partout et nulle part, les conspirateurs marchent en paix et le front levé au milieu de la société dont ils préparent la mort; ils n'ont ni à prévoir ni à redouter ces chances innombrables qui, si souvent, ont fait avorter les complots les plus habilement ourdis. Eh que craindroient-ils ? la trahison d'un faux frère ou le remords d'un complice? Mais tout ce qu'ils font est public; tout le monde le sait; on leur en parle, et ils en conviennent. Bien plus, leurs journaux, leurs brochures, leurs livres le racontent à l'univers. Or, lorsqu'une conspiration est imprimée, que la souscription est ouverte, et qu'on l'offre, in-douze ou in-octavo, à la curiosité des amateurs, ce doit être, pour les conjurés, un puissant motif de tranquillité et le gage assuré d'un heureux succès.

Le second avantage, c'est de pouvoir, au moyen de ce calme apparent, endormir le gouvernement, que les révolutionnaires savent être naturellement très-enclin au sommeil. « Voyez, lui >> disent-ils, comme nous sommes devenus paisibles! plus d'é» meutes, plus d'attroupements, plus de cris séditieux : nous » avons même laissé passer le sacre sans bouger. En paix avec » toutes les autorités, nous n'insultons plus les fonctionnaires » publics, sauf, de temps en temps, les évêques et les curés; » mais c'est là une des libertés de notre Eglise gallicane. A cela » près, vous n'entendez seulement pas parler de nous. On vous » l'a dit avec raison, nous avons donné notre démission. » Et làdessus, les gouvernants de les croire et presque de les remercier, puis de s'applaudir en eux-mêmes de leur haute sagesse et de leur prudente modération, qui a guéri toutes les plaies, fermé tous les abîmes, et replacé la monarchie sur des bases inébranlables.

Et qu'on n'essaie pas de les tirer de cette prodigieuse sécurité; car, seuls à ne pas voir ce que tout le monde voit autour d'eux, enfoncés dans la routine d'une administration toute matérielle, et devenus eux-mêmes presque matière, ils ne croient qu'à ce qui

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