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tard encore, il en vint une troisième plus nombreuse, plus bruyante, moins docile. On ne parvint à l'éloigner qu'en faisant feu sur elle. (Ami du Roi, p. 107, 3° cahier.) Enfin M. Thuriot de la Rosière député du district se présenta; il fut admis et somma vainement le gouverneur de faire retirer les canons qui du haut des tours menaçaient Paris. Pendant ces pourparlers, une troupė d'hommes sans armes avait pénétré dans la première cour, entourée de bâtimens, mais encore séparée de la forteresse par un fossé. Lorsque M. Thuriot se retira, le pont-levis étant baissé, elle s’avança demandant des armes ; la garnison fit feu sur elle, et releva le pont. Alors le peuple devint furieux et l'attaque commença. On mit le feu au corps de bâtimens qui couvraient la forteresse et du haut des toits des maisons voisines on tira sur les hommes qui se présentaient au sommet des tours. Pendant les cinq heures que dura la fusillade, une députation de l'Hôtel-de-Ville se présenta portant une sommation, signée de Flesselles prévôt des marchands et adressée à M. de Launay, afin qu'il rendît la forteresse à la Ville. Mais ces parlementaires furent repoussés trois fois, par le feu du château (1). Enfin, le peuple parvint à mettre des canons en batterie vis-à-vis le pont-levis. Alors, la garnison peu nombreuse, composée d'invalides et de suisses, pensa à se rendre. Elle ccssa de tirer; un officier suisse appella à travers ur. créneau et tendit un billet. Les assaillans cessèrent à leur tour leur feu. Une planche fut jetée en travers du fossé. Un huissier, nommé Maillard, se hasarda sur ce pont d'où un homme qui l'avait précédé, venait de tomber, et était allé se briser au fond du fossé; il prit le billet. Hullin qui commandait le peuple, le lut à haute voix. On demandait à capituler, si la vie de la garnison était garantie sauve. Foi d'officier, dit Hullin, je le jure. Le peuple accueillit cette parole avec des cris de réprobation. Cependant un petit pont-levis s'abaisse et le peuple est maître de la forteresse.

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I

La prise de la Bastille coûta aux assiégeans quatre-vingt-dixhuit morts et soixante-treize blessés. Les assiégés ne perdirent qu'un homme dans le combat. Faut-il s'étonner que le peuple fu

(1) Voyez le rapport des commissaires à la fin de cette narration.

rieux d'une résistance aussi obstinée, terminée par une capitulation qu'on aurait pu consentir plus tôt, n'ait, dans son premier mouvement, pensé qu'à punir les auteurs d'une tenacité et d'un massacre dont les causes n'étaient pas même justifiées à ses yeux par la rigueur d'un devoir militaire accompli jusqu'au bout. M. de Launay fut arraché à ceux qui le conduisaient prisonnier à l'hôtel-de-ville; on lui trancha la tête et on la mit au bout d'une pique; M. de Losme, son major, eut le même sort. Deux officiers et quelques invalides furent tués dans la forteresse. Deux autres invalides, saisis les armes à la main et faisant feu sur le peuple, furent traînés sur la place de l'hôtel-de-ville, jusqu'au coin de la rue de la Vannerie, où était une potence en fer qui soutenait une lanterne; cet appareil devint l'instrument de leur supplice. Les autres prisonniers furent sauvés par les gardesfrançaises. On s'était acharné contre les invalides, parce qu'on les avait vus sur le haut des tours, acharnés eux-mêmes à diriger un feu meurtrier sur la population. On emmena saufs les gardes suisses qui n'avaient point paru et qui, couverts de sarreaux, furent pris sans doute par quelques-uns pour des pri

sonniers.

On trouva dans la poche de M. de Launay, un billet signé Flesselles, qui contenait ces mots : « J'amuse les Parisiens avec des cocardes et des promesses, tenez bon jusqu'au soir et vous aurez du renfort. Cette lettre fut portée et lue au comité des électeurs. A cette lecture, le prévôt des marchands, interdit et tremblant, put à peine balbutier quelques mots. Sortez, monsieur de Flesselles, dit Garan de Foulon, l'un des membres du comité, vous êtes un traître, vous avez trahi la patrie, la patrie vous abandonne. A l'instant même, M. de Flesselles fut saisi; on le traînait vers la fatale lanterne, lorsqu'il fut tué d'un coup de pistolet. On lui trancha la tête et on la mit au bout d'une pique.

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Pendant que l'on se battait à la Bastille, une reconnaissance de hussards pénétra jusqu'au Pont-Neuf par les quais. Arrivée là, elle se trouva entourée et comme assiégée par la foule; • Messieurs, dit l'officier, nous venons nous réunir à vous.

Eh bien! s'écria M. Marat, sortant de la foule, mettez pied à terre et remettez-nous vos armes. » L'officier refusa, alors il fut conduit à l'hôtel-de-ville, d'où on le renvoya sous escorte, jusqu'à la barrière.

La nuit qui succéda à cette journée fut extrêmement agitée; c'était celle indiquée pour l'exécution du complot de la cour. Les rues furent encore éclairées par des illuminations. Une multitude de patrouilles se croisaient dans les rues, et le défaut de mots d'ordre produisit une confusion extrême; chaque district avait donné le sien. A tout moment, en outre, une alerte venait effrayer la population. Cependant, cette nuit même, le camp du Champ-deMars fut levé, et les troupes se retirèrent avec une précipitation qui ressemblait à une déroute.

Analyse des rapports des députés envoyés en parlementaires à la Bastille, le 14 juillet, par les électeurs assemblés à l'hôtel-deville.

Une députation fut chargée de porter à M. de Launay, l'arrêté suivant: Le comité permanent de la milice parisienne, considérant qu'il ne doit y avoir à Paris aucune force militaire qui ne soit sous la main de la ville, charge les députés qu'il adresse au commandant de la Bastille, de lui demander s'il est disposé à recevoir dans cette place, les troupes de la milice parisienne, qui la garderont de concert avec les troupes qui s'y trouvent actuellement. Signé FLESSELLES, etc.

La première députation n'ayant pu approcher à cause de la fusillade, et avant qu'elle fût rentrée, le comité en ordonna une seconde. Placés au milieu de la cour, rapporte M. Delavigne, l'un de ses membres, et dans l'endroit d'où nous pouvions être le plus facilement aperçus de la garnison, nous avons fait divers signaux, tant avec la main qu'avec nos mouchoirs en forme de pavillon blanc..... Le feu n'a pas cessé......... Nous sommes retournés sur nos pas, dans l'intention d'arriver à la Bastille par la rue Saint-Antoine...., parvenus à la rue de la Cerisaie, nous y avons trouvé également un grand nombre de citoyens qui, sans être aucunement couverts ni garantis, se fusillaient avec la gar

nison du fort, laquelle tirait en outre de grosses pièces d'artille rie........ Ayant abordé ces citoyens, nous nous sommes fait reconnaître.... Les citoyens ont cessé le feu. Alors, nous avons réitéré nos signaux de paix, máis la garnison a continué de nous charger, et nous avons eu la douleur de voir tomber à nos côtés plusieurs citoyens dont nous avions suspendu les coups.... >

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Une troisième députation fut nommée. Il fut décidé qu'elle se présenterait dans la forme usitée pour les parlementaires, c'està-dire avec un tambour et un drapeau. M. Ethis de Corny, l'un de ces parlementaires rapporte « qu'étant arrivés à l'arsenal par la rue de la Cerisaie, et par la cour des poudres et salpêtres, dans la cour de l'Orme, ils s'étaient postés au milieu de cette cour, bien en vue de la plate-forme de la Bastille; que le drapeau de la députation avait été signalé ; qu'ensuite celui qui le portait s'était acheminé avec le tambour vers le pont-levis....que, pendant ce temps, on avait vu arborer sur la plate-forme de la Bastille, un pavillon blanc, que les soldats armés de fusils avaient renversé leurs fusils le canon en bas, la crosse en haut, signes de paix et d'appel avaient été multipliés par les chapeaux. Que, sous les auspices de ce commencement de récep tion amicale, les députés avaient engagé le peuple à se retirer dans les districts..... -Que cette retraite commençait à s'exécuter...., lorsque, malgré la foi rigoureusement observée dans tous les cas de députations parlementaires, au préjudice de celle des signaux du pavillon blanc arboré sur la Bastille et des fusils renversés, tout-à-coup les députés ont vu pointer une pièce de canon sur la cour de l'Orme, et dans le même moment, ils ont reçu une décharge de mousqueterie qui a tué trois personnes à leurs pieds....(Procès-verbal des électeurs.)

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SÉANCE PERMANENTE.

On avait occupé la nuit et la matinée par une discussion souvent interrompue, irrégulière, sur le mode de formation du comité de constitution. On l'avait fixé à huit membres, et on avait

été au scrutin pour le choix des membres. MM. Mounier, l'évêque d'Autun, l'abbé Sieyès, le comte Clermont-Tonnerre, le comte Lally-Tollendal, l'archevêque de Bordeaux, Chapelier et Bergasse, obtinrent la majorité.

L'assemblée nationale semblait tranquille, dit le marquis de Ferrières dans ses Mémoires; mais ce n'était point ignorance des desseins de la cour. On savait qu'au moment même de l'attaque de Paris, les régimens de Royal-allemand, Royal-étranger, et les hussards, devaient environner la salle des États, enlever les députés désignés pour victimes, et, en cas de résistance, employer la force. Elle savait que le roi devait venir le lendemain faire accepter la déclaration du 23 juin, et dissoudre l'assemblée. Cependant l'assemblée n'était pas sans ressources. Un peuple nombreux, dans le sombre et farouche silence d'un abattement prêt à se changer en fureur, entourait la salle des États; inquiet des mouvemens qu'il apercevait autour de lui, il errait çà et là n'attendant qu'un mot pour se porter à toutes les extrémités du désespoir. On savait confusément ce qui se passait à Paris. ›

[M. le vicomte de Noailles, qui arrive de Paris, entre dans l'assemblée entouré d'autres députés qui se pressent autour de lui. Dès qu'il paraît, il se fait le plus grand silence. Il rend compte de ce qu'il a vu; il dit que la bourgeoisie de Paris est sous les armes, et dirigée dans la discipline par les Gardes-Françai•ses et les Suisses; que l'Hôtel-des-Invalides a été forcé; qu'on a enlevé les canons et les fusils; que les familles nobles ont été obligées de se renfermer dans leurs maisons; que la Bastille å été enlevée d'assaut; que M. de Launay, qui en était le gouverneur, et qui avait fait tirer sur les citoyens, à été pris, conduit à la Grève, massacré par le peuple, et sa tête portée au haut d'une pique.

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Ce récit produit dans l'assemblée l'impression la plus triste. Toute discussion cesse.

On s'empresse d'envoyer une députation vers le roi, pour lui peindre l'état cruel où se trouve la capitale; et il est arrêté que M. le vicomte de Noailles sera de la députation pour soutenir

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