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première: elle juge qu'elles ne sont pas propres à porter le calme dans la capitale. En conséquence, il est décidé que demain matin il sera envoyé une autre députation.

Différentes questions commencent à être agitées relativement à l'objet de cette nouvelle députation. M. le président s'étant retiré, M. le vice-président, après avoir entendu quelques discussions, observe que ce qui est le plus instant, c'est de renvoyer les députés de Paris, munis d'une réponse de l'assemblée nationale.

L'assemblée prend aussitôt l'arrêté suivant, dont on leur remet une expédition.

L'assemblée nationale, profondément affectée des malheurs qu'elle n'avait que trop prévus, n'a cessé de demander à sa majesté la retraite entière et absolue des troupes extraordinairement rassemblées dans la capitale et aux environs. Elle a encore envoyé dans ce jour deux députations au roi sur cet objet, dont elle ne cesse de s'occuper nuit et jour. Elle fait part aux électeurs des deux réponses qu'elle a reçues. Elle renouvellera demain les mêmes démarches; elle les fera plus pressantes encore, s'il est possible: elle ne cessera de les répéter, et de tenter de nouveaux efforts, jusqu'à ce qu'ils aient eu le succès qu'elle a droit d'attendre, et de la justice de la réclamation, et du cœur du roi, lorsque des impressions étrangères n'en arrêteront plus les mou

vemens.

Comme il est près de deux heures du matin, la délibération cesse; mais M. le vice-président annonce que la séance tient toujours, et qu'en cas de nécessité les délibérations seront reprises d'un instant à l'autre.

Du mercredi 15.-L'assemblée nationale reprend ce matin le cours de ses délibérations. Le plus grand silence règne dans la salle; mais c'est le silence de la douleur et de l'affliction qui arrê tent toutes les pensées des divers membres sur les malheurs qui désolent la capitale, et menacent tout le royaume. On ne s'occupe point d'abord, comme de coutume, de la lecture des adresses des différentes villes, et du procès-verbal. Le premier

T. II.

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objet soumis à la délibération est d'aviser à un parti pour rétablir le calme dans Paris.

Plusieurs propositions sont successivement faites dans l'assemblée; aucune n'est adoptée.

Quelques membres proposent de faire une nouvelle adresse au roi.

M. le marquis de Sillery fait lecture d'un projet d'adresse ainsi conçu :

Sire, l'assemblée nationale, pénétrée de la douleur la plus profonde des malheurs de la capitale, a déjà eu l'honneur de supplier votre majesté de faire retirer les troupes qu'elle a rássemblées aux environs de Paris.

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Il n'est plus temps, sire, de vous déguiser la vérité : un roi tel que vous est digne de l'entendre, et l'assemblée nationale va donner à votre majesté la preuve la plus signalée de son patriotisme, en lui parlant avec la franchise qui lui convient.

› Votre majesté est trompée. L'assemblée nationale va lui retracer les perfides conseils que ses ministres ont osé lui donner. Ils ont dit à votre majesté que la nation rassemblée voulait attenter à son autorité; qu'il existait un parti considérable qui voulait former une constitution qui avilirait la dignité royale, et que le seul moyen d'éviter ce malheur, était de rassembler vos troupes, et de paraître avec l'appareil formidable de votre puissance. Ils vous ont fait entendre que Paris était prêt à se soulever; et ces indignes conseillers, prévoyant que l'arrivée des troupes serait le signal d'une insurrection générale, peut-être qu'aujourd'hui ils ont encore osé vous dire que la révolution qu'ils avaient prévue est arrivée ; et peut-être chercheront-ils à se faire un mérite auprès de vous de la prévoyance qu'ils ont de vous faire assembler votre armée. Ah! sire, voilà les perfides conseils dont l'assemblée nationale vous demande justice en ce

moment.

> Hier, sire, peut-être que si votre majesté avait daigné écouter les prières de l'assemblée nationale, l'éloignement des troupes aurait été suffisant pour remettre le calme et rétablir l'ordre dans

la capitale; mais sire, les massacres qui ont eu lieu hier, la Bastille assiégée et prise, les exécutions sanguinaires qui en ont été les suites, ont porté le peuple à un excès de fureur qu'il est bien plus difficile d'arrêter.

» Ce matin encore, un convoi de farine qui se rendait à Paris, a été arrêté au pont de Sèvres : si cette nouvelle parvient à la capitale, elle va redoubler le trouble et la colère des citoyens.

» Non, sire, nous ne croirons jamais que cet ordre cruel soit émané de vous.

› Il est peut-être encore un moyen de calmer le peuple irrité. Votre majesté connaît ceux qui lui ont donné ces perfides conseils. Eloignez de vous, sire, ces pestes publiques.

› Si ces moyens, sire, ne remettent pas le calme dans votre empire, venez au milieu de l'assemblée nationale. Le moment le plus glorieux de votre vie sera celui où votre majesté, entourée de sa fidèle nation, y recevra ces marques d'amour et de respect dont elle est pénétrée pour sa personne sacrée. Or, sire, c'est au milieu de cette nation généreuse que votre majesté jugera de la perfidie des conseils que l'on n'a cessé de vous donner; elle y verra la consternation de l'assemblée nationale: mais elle sera peut-être étonnée de son calme et de sa tranquillité. Fidèle à la nation qu'elle représente, fidèle à ses principes, fidèle à l'amour constant qu'elle a pour votre majesté, rien ne peut altérer ni changer les décrets qu'elle doit prononcer.

» La capitale, instruite de cette marque de confiance du plus aimé des rois, se livrera avec transport à l'amour qu'elle vous a toujours manifestë, et rien ne peut plus rétablir la paix que lorsque les peuples seront informés que l'accord règne entre le monarque et l'assemblée nationale. »

Cette adresse paraît faire la plus vive impression dans l'assemblée; cependant plusieurs membres la combattent comme trop faible : d'autres la réfutent par un motif contraire.

M. le comte de Mirabeau. Je propose d'ajouter à l'adresse la phrase suivante :

« Sire, Henri IV, lorsqu'il assiégeait Paris, faisait passer se

crètement des blés à la capitale; et aujourd'hui, en temps de paix, on veut réduire cette ville aux horreurs de la famine sous le nom de Louis XVI.›

Enfin, au milieu de tant de propositions, et après divers débats qu'elles font naître, tous les membres s'accordent sur la nécessité d'envoyer une députation au roi, pour lui faire la demande itérative du renvoi des troupes à leurs garnisons; la demande d'une libre communication pour le transport des blés et des farines nécessaires à la subsistance de Paris, communication qui a été arrêtée par les troupes, suivant la dénonciation qui en a été faite par M. Lecointre, négociant à Versailles; enfin, pour demander au roi une réponse satisfaisante qui pût permettre à l'assemblée d'aller à Paris porter la nouvelle de l'éloignement des forces militaires, et consolider l'établissement des gardes bourgeoises, et essayer de rappeler le bon ordre, en rassurant le peuple sur ses craintes et ses alarmes.

Ce parti est adopté à l'unanimité. Il est arrêté qu'une députation de vingt-quatre personnes ira, sur-le-champ, vers le roi, pour lui porter les voeux de l'assemblée.

M. le comte de Mirabeau. Eh bien! dites au roi que les hordes étrangères dont nous sommes investis, ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites; et leurs caresses, et leurs exhortations et leurs présens (1); dites-lui que, toute la nuit ces satellites étrangers, gorgés d'or et de vin, ont prédit dans leurs chants impies l'asservissement de la France', et que leurs vœux brutaux invoquaient la destruction de l'assemblée nationale; dites-lui que, dans son palais même, les courtisans ont mêlé leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut l'avant-scène de la Saint-Barthélemi.

M. le marquis de la Fayette, vice-président, est chargé de présider la députation. L'assemblée déclare qu'elle se repose entièrement sur lui du soin d'exprimer à sa majesté tous les sentimens de douleur et d'inquiétude dont tous ses membres sont pénétrés.

(1) La reine, M. d'Artois, madame de Polignac, etc. avaient été, la veille, rendre visite aux hussards abrités dans l'orangerie.

Les membres de la députation sont nommés; et ils se disposaient à sortir, lorsque M. de Liancourt demande la parole. Il dit qu'il est autorisé à annoncer à l'assemblée que le roi, de son propre mouvement, s'est déterminé à venir au milieu des représentans de la nation, et que M. le grand-maître des cérémonies va paraître pour l'annoncer officiellement..

A ces paroles de M. de Liancourt, la majeure partie des membres de l'assemblée fait retentir la salle d'applaudissemens réitérés. Plusieurs orateurs s'élèvent contre cette explosion de joie inconsidérée ; ils demandent du silence. Attendez, s'écrient, que le roi vous ait fait connaître ces bonnes dispositions qu'on nous annonce de sa part.... Le silence du peuple est la leçon des rois.....

ils,

On suspend toute délibération. La députation reste dans la salle.

Le roi paraît à l'entrée de la salle, sans gardes, accompagné seulement de ses deux frères. Il fait quelques pas dans la salle; debout, en face de l'assemblée, il prononce d'une voix ferme et assurée, le discours suivant :

«Messieurs, je vous ai assemblés pour vous consulter sur les affaires les plus importantes de l'État. Il n'en est pas de plus instante, et qui affecte plus sensiblement mon cœur, que les désordres affreux qui règnent dans la capitale. Le chef de la nation vient avec confiance au milieu de ses représentans, leur témoigner sa peine, et les inviter à trouver les moyens de ramener l'ordre et le calme. Je sais qu'on a donné d'injustes préventions; je sais qu'on a osé publier que vos personnes n'étaient pas en sûreté. Serait-il donc nécessaire de rassurer sur des bruits aussi coupables, démentis d'avance par mon caractère connu? Eh bien! c'est moi qui ne suis qu'un avec ma nation, c'est moi qui me fie à vous! Aidezmoi, dans cette circonstance, à assurer le salut de l'Etat; je l'attends de l'assemblée nationale : le zèle des représentans de mon peuple, réunis pour le salut commun, m'en est un sûr garant; et j'ai donné ordre aux troupes de s'éloigner de Paris et de Ver

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