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tricts. Mais comme, dans les districts, on opine souvent sur des objets qui n'intéressent pas seulement la commune, mais toute la France, les étrangers se sont insensiblement formés un district, qui est le Palais-Royal. ›

L'assemblée nationale, dans les premières séances qui suivirent celle du 4 août, ne fut occupée que de deux questions: celle de ramener le calme en France, et de rédiger le procès-verbal de la nuit du 4.

A l'occasion de cette rédaction, tous les scrupules, toutes les alarmes de l'intérêt individuel, qui s'étaient évanouies dans le premier mouvement d'enthousiasme, ne purent se taire, et vinrent équivoquer sur les mots. Ce fut particulièrement lorsqu'il fut question des dimes, que les réclamations s'élevèrent.

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C'est ici le lieu de citer une lettre de Louis XVI à l'archevêque d'Arles, qui exprime les mêmes regrets qui se laissèrent apercevoir à la tribune. « Je suis content de cette démarche noble et généreuse des deux premiers ordres de l'Etat. Ils ont fait de grands sacrifices pour la réconciliation générale, pour leur patrie, pour leur roi.... Le sacrifice est beau; mais je ne puis que l'admirer je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse.... je ne donnerai point ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient : c'est alors que le peuple français pourrait un jour m'accuser d'injustice ou de faiblesse. M. l'archevêque, vous vous soumettez aux décrets de la providence; je crois m'y soumettre en ne me livrant point à cet enthousiasme qui s'est emparé de tous les ordres, mais qui ne fait que glisser sur mon âme. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour conserver mon clergé, ma noblesse..... Si la force m'obligeait à sanctionner, alors je céderais; mais alors, il n'y aurait plus en France ni monarchie ni monarque.... Les momens sont difficiles, je le sais, M. l'archevêque, et c'est ici que nous avons besoin des lumières du ciel; daignez les solliciter, nous serons exaucés. » Signé, Louis. (Correspondance inédite, t. 1, p. 140).

La rédaction de ce difficile procès-verbal fut maintes fois inter

rompue d'abord par des rapports sur les troubles des provinces, ensuite, par une discussion sur un emprunt de trente millions demandé par Necker, et que beaucoup de membres voulaient refuser, selon le vœu de leurs cahiers, attendu que la constitution n'était pas établie. L'intérêt de donner au ministère les moyens de rétablir l'ordre, détermina la majorité à voter le décret suivant :

L'assemblée nationale, informée des besoins urgens de l'État, décrète un emprunt de 30 millions, aux conditions suivantes : Art. I. L'intérêt sera à quatre et demi pour cent, sans aucune

retenue.

II. La jouissance de l'intérêt appartiendra aux prêteurs, à commencer du jour auquel ils auront porté leurs deniers.

III.Le premier paiement des intérêts se fera le premier janvier 1790, et les autres paiemens se feront ensuite, tous les six mois, par l'administrateur du trésor public.

IV. Il sera délivré à chaque prêteur des quittances de finances, sous son nom, avec promesse de passer contrat, conformément au modèle ci-après.

V. Aucune quittance ne pourra être passée au-dessous de mille livres.

SÉANCE DU LUNDI 10 AOUT.

[M. Target, au nom du comité de rédaction, fait lecture d'un projet de décret pour le rétablissement de la tranquillité publique. Il lit ensuite la formule du serment pour les troupes.

M. Dupont juge convenable qu'on établisse une formule pour avertir le peuple qu'on agira contre ceux qui fomenteront et participeront à des mouvemens séditieux, comme contre des rebelles. Il cite le bill de mutinery publié en pareil cas en Angleterre, et il réclame l'exécution de formes semblables dans la proclamation proposée.

M. le duc du Châtelet appuie cette proposition. Il ajoute qu'elle produit en Angleterre les effets les plus prompts pour dissiper les attroupemens, puisqu'après la promulgation de cette loi,

cinq personnes trouvées ensemble sont arrêtées et condamnées

à mort.

M. le marquis de ..... Dans diverses provinces, le peuple, non content dé brûler les chartiers des seigneurs, porte ses excès jusque sur les personnes. Je propose donc d'ajouter à la proclamation, que tous les habitans d'une paroisse répondront des incendies, à moins qu'ils ne prouvent que ces désordres ont été commis par des étrangers.

M. Mounier. La formule de serment pour les troupes, proposée par le comité, demande un examen réfléchi. Si les troupes juraient de ne prendre les armes contre les citoyens que sur la réquisition de l'assemblée nationale et des magistrats civils, il en résulterait que l'assemblée réunirait le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, tandis qu'elle ne peut faire que des lois. Il arriverait que les soldats se croiraient en droit de refuser l'obéis sance à leurs chefs, et que dans des momens pressans, il faudrait lire à chacun d'eux la réquisition des officiers civils. Renvoyons après la constitution à faire des lois contre les émeutes. Maintenant il faut se borner à exiger des troupes un serment dont la formule sera dirigée dans ces vues. Les soldats jureront d'être fidèles à la nation et au roi; on ajoutera à celui des officiers qu'ils ne pourront commander les troupes contre les citoyens, que sur la réquisition des magistrats civils.

M. de Castellane. Je pense que l'arrêté proposé par le comité ne peut être pris qu'après la constitution. Je demande l'envoi et la publication de celui du 4, qui seul rétablira la tranquillité publique.

M. le comte de Mirabeau. Le serment proposé pour les troupes pourrait cacher quelques dangers par l'étendue de pouvoirs qu'il donnerait aux municipalités. L'influence des municipalités sur la juridiction militaire, tenant à de grandes questions dont les bases ne sont pas encore posées, je demande qu'on ne s'en occupe qu'après la constitution. L'ouvrage le plus pressant est de terminer la rédaction de l'arrêté du 4; en y joignant ensuite les divers

autres arrêtés; on fera connaître à la nation que l'assemblée a surveillé ses intérêts.

On demande à aller aux voix.

N...... Je trouve deux inconvéniens à la formule du serment

proposé.

Le premier, que le serment devrait se prêter devant le corps entier.

Le second, qu'en ajoutant sur la réquisition des municipalités, il faut distinguer celles qui ne sont pas électives, parce que celles qui ne le sont pas, sont dans la dépendance du roi.

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Quelle que soit la formule du serment que l'on fasse faire aux troupes, ce serment ne doit et ne peut jamais engager ni lier le soldat, au point de le faire agir contre les devoirs de l'homme et du citoyen. Trop long-temps on a regardé le soldat comme un automate fait pour suivre simplement l'impulsion qu'on lui donne. Dans le siècle de la philosophie, dans ce siècle de lumières, où tous les devoirs de l'humanité sont connus, le soldat doit être regardé comme un homme et comme citoyen.

Où en serions-nous, grand Dieu! si les gardes françaises n'eussent pas eu assez de raison, assez de philosophie pour préférer les devoirs sacrés de l'homme et du citoyen, aux lois rigides du code militaire? Ils eussent fait main-basse sur leurs concitoyens; Versailles et Paris eussent été inondés de sang; la France serait aujourd'hui le théâtre d'une guerre civile d'autant plus funeste, que le despotisme aurait voulu écraser et faire trembler des êtres qui tous voulaient recouvrer leurs premiers droits, les droits imprescriptibles de la liberté.

Pourquoi donc aujourd'hui vouloir encore lier le soldat citoyen par une formule de serment qui aurait entraîné les plus grands malheurs, si le soldat s'y était conformé? Et pourquoi croire lier l'officier par une formule de serment qu'il saura, quand il lui plaira, faire plier devant ses intérêts et son ambition? On peut conclure, et non sans raison, qu'un serment, n'importe la forme sous laquelle on le fait prêter, est absolument inutile? Peut-on croire, en effet, que l'homme méchant, que l'homme

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traître se fera un scrupule de fausser son serment? Ces êtres-là, pour qui le crime a des attraits, et qui sont prêts à sacrifier le sacré et le profane à leurs intérêts particuliers, à leur passion dominante, ne seront jamais arrêtés par un serment; au contraire, violer leur parole, trahir leur conscience, est un aiguillon de plus pour les porter à faire le mal.

L'homme vertueux, n'importe l'état qu'il professe dans la société, segardera bien de dépasser le but marqué par les premiers devoirs, les premiers droits de l'homme et du citoyen. Ainsi, quelque tournure que l'on donne à la formule du serment qu'on lui fera prêter, son cœur lui dira toujours, lui criera sans cesse qu'il doit rester immobile, et ne point écouter la voix impérieuse d'un scélérat qui lui commande le crime.

Le maréchal de Broglie, ce général qui a pour jamais souillé et terni les lauriers qu'il avait cueillis à la retraite de Prague, est un exemple frappant de ce que j'avance.

Trop sensé pour avoir accepté le commandement du dernier camp sans pénétrer les raisons de la cour, il est chargé et sera toujours chargé aux yeux des générations présentes et futures de l'exécution de la conspiration infernale formée contre la patrie.

Ce coupable général, pour sonder les dispositions de ses soldats, leur rappela leur serment; n'avez-vous pas juré, leur dit-il, fidélité au roi? je compte sur votre parole. Nous la tiendrons, répondirent les troupes; mais sachez qu'en promettant fidélité au roi, jamais nous n'avons entendu nous engager à nous souiller du sang de nos frères.

Une connaissance des droits et des devoirs de l'homme, mise à la portée de tous les citoyens, bien sentie de chacun, vaudrait infiniment mieux que toutes les tournures et formules de ser

ment.

L'une, en quelque façon, préviendrait le crime, en apprenant à l'homme jusqu'où il peut aller, et où il doit s'arrêter. Les autres ne sont que des précautions inutiles contre l'homme subalterne, accoutumé au crime auquel il se livre d'autant plus volontiers, qu'il voit un des chefs lui en donner l'exemple.

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