tement par les quatre-vingt-seize centièmes de la nation; et qu'une telle masse de députation ne pouvait rester inactive par l'absence des députés de quelques bailliages ou de quelques classes de citoyens. » Elle déclara donc « que l'œuvre commune de la restauration nationale pouvait et devait être commencée sans retard par les députés présents, et qu'ils devaient la suivre sans interruption comme sans obstacle [17 juin]. » Puis elle prit le nom d'Assemblée nationale, « comme le seul qui lui convînt, soit parce que les membres qui la composaient étaient les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils étaient envoyés directement par la presque totalité de la nation, soit parce que la représentation étant une et indivisible, aucun député, dans quelque ordre ou classe qu'il fût choisi, n'avait le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente assemblée. » Après cette « démarche hardie qui tranchait des questions jusque-là indécises, et changeait l'assemblée des états en assemblée du peuple (1), » elle vota une adresse au roi et à la nation, et tous ses membres firent le serment solennel de « remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont ils étaient chargés. » Puis elle arrêta que les contributions, n'ayant pas été consenties par la nation, étaient illégales; mais qu'elles continueraient provisoirement à être perçues comme par le passé, à moins que l'Assemblée ne fût dissoute. Ensuite elle plaça la dette de l'Etat sous la sauvegarde de l'honneur national. Enfin elle déclara qu'elle allait chercher des remèdes à la disette et à la misère publique. La cour § III. SERMENT du Jeu de paume. - SÉANCE ROYALE. fut stupéfaite de tant de fermeté, d'audace et d'habileté, et elle se vit perdue quand, le lendemain, le clergé, à la majorité de 149 voix contre 115, décréta sa réunion au tiers état. Les nobles, le parlement, les princes, la reine, firent cause commune, et effrayèrent le roi des usurpations menaçantes de la bourgeoisie. Necker s'inquiéta des violences qu'on méditait, et conseilla d'arrêter la marche illégale du tiers état par une séance royale dans laquelle le pouvoir ferait la révolution lui-même en accordant tout ce que l'opinion demandait, et en ordonnant la réunion des ordres en une seule assemblée. La cour appuya ce projet, mais en le modifiant de telle sorte qu'elle en fit un (1) Mignet, Hist. de la Révolation, t. 1, p. 52. coup d'état contre-révolutionnaire; et encore y procéda-t-elle avec sa frivolité ordinaire et par des détours puérils. Ainsi, au ieu de frapper « les factieux » par l'apparition subite du roi dans leur assemblée, elle voulut que la majesté du trône se déployât tout entière, et l'on remit à trois jours la séance royale. Mais, pour empêcher la réunion du clergé an tiers, on ferma la salle des états, sous prétexte de préparatifs à faire pour la séance annoncée. C'était Bailly, savant modeste et courageux, qui présidait l'assemblée : averti du coup qu'on méditait, il ne craignit pas de désobéir, et se présenta, avec une foule de députés, à l'hôtel des états; mais il fut repoussé par les troupes qui garnissaient la salle et les portes [20 juin]. Les députés protestèrent contre cet attentat et se rassemblèrent par groupes sur l'avenue de Paris, au milieu de la foule qui partageait leur colère, pendant que les courtisans, aux fenêtres du château, riaient de leur déconvenue. Les uns voulaient qu'on allât à Marly, où était le roi; les autres, qu'on tînt la séance sur l'esplanade du château. Une voix cria : « Au Jeu de paume! » et tous, bravant les périls d'une réunion qu'une autorité plus habile eût dispersée par la force, se rendirent dans la salle indiquée ('), dont le peuple garnit les entours. Là un député du Dauphiné, Mounier, prenant la parole : « Blessés dans nos droits et notre dignité, dit-il, avertis de toute la vivacité de l'intrigue et de l'acharnement avec lesquels on pousse le roi à des mesures désastreuses, nous devons nous lier au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel. » Alors le président, montant sur une table, prononça ce serment : « Nous jurons de ne jamais nous séparer de l'Assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ! » Et tous, les bras tendus vers Bailly, au milieu des acclamations du peuple, s'écrièrent : « Nous le jurons ! » Cette scène fut un nouveau sujet d'épouvante pour les courtisans, qui crurent couper court à toute réunion en louant la salle du Jeu de paume. Alors les députés s'assemblèrent dans l'église Saint-Louis [22 juin]; là cent quarante-huit membres du clergé et deux de la noblesse vinrent se réunir à eux, et tous (1) Rue du Jeu de paume. La salle existe encore. s'ajournerent au lendemain, pleins d'inquiétude du coup d'État qu'on annonçait. a La cour avait garni de troupes et d'artillerie le château, les places, les abords de l'hôtel des états; et ce fut au milieu d'un appareil militaire destiné à imprimer la terreur que le roi se rendit à l'Assemblée [23 juin]. Il y parla avec une sévérité inaccoutumée et d'un ton de menace qui n'avait nulle portée dans sa bouche : « J'ordonne, dit-il, que la distinction des trois ordres de l'État soit conservée en son entier ; les députés formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant avec l'approbation seule du souverain délibérer en commun, peuvent seuls être considérés comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, je déclare nulles les délibérations prises par le tiers état, comme illégales et inconstitutionnelles. >> Puis il défendit aux députés de s'occuper des questions qui regardaient les droits antiques et constitutifs des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains états, les propriétés féodales et seigneuriales, etc. Enfin il proposa à leur examen et adopta à l'avance les innovations suivantes : consentement des impôts et des emprunts par les représentants de la nation, publicité des recettes et des dépenses, abolition des priviléges en matière d'impôts, liberté individuelle et liberté de la presse, établissement d'états provinciaux, abolition de la corvée, des douanes intérieures, etc. Après ces concessions, qui arrivaient encore trop tard, il ajouta : « Je puis dire sans illusion que jamais roi n'en a fait autant pour aucune nation : secondez-moi donc dans cette belle entreprise, sinon je ferai seul le bien de mes peuples, je me considérerai seul comme leur véritable représentant.....>> Et il termina en disant : « Je vous ordonne de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin dans les chambres affectées à vos ordres pour y reprendre vos séances. >> Louis sortit; la noblesse et une partie du clergé le suivirent; le tiers resta en place, étonné, sombre, incertain. Alors Mirabeau se leva : « Messieurs, j'avoue que ce que vous venez d'entendre pourrait être le salut de la patrie, si les présents du despotisme n'étaient toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature? L'appareil des armes, la violation du temple national pour vous commander d'être heureux ! Qui vous fait ce commandement? votre mandataire! Qui vous donne des lois impérieuses? votre mandataire! lui qui doit les recevoir de nous, messieurs, qui sommes revêtus d'un sacerdoce politique et inviolable, de nous enfin de qui seuls vingt-cinq millions d'hommes attendent un bonheur certain, parce qu'il doit être consenti, donné et reçu par tous! Je demande qu'en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment: il ne nous permet de nous séparer qu'après avoir fait la constitution. » Nous Alors le grand-maître des cérémonies entra dans la salle et dit : Messieurs, vous avez entendu les ordres du roi. Oui, monsieur, reprit Mirabeau, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des états généraux, vous qui n'avez ici ni place ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous ne sortirons que par la puissance des baïonnettes. Oui! oui! s'écrièrent tous les députés. l'avons juré, dit Syeyès, et notre serment ne sera pas vain; nous avons juré de rétablir le peuple dans ses droits. L'autorité qui nous a institués pour cette grande entreprise nous demande une constitution : qui peut la faire sans nous ? qui peut la faire, si ce n'est nous?... Messieurs, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier. » Alors l'Assemblée déclara à l'unanimité qu'elle persistait dans ses arrêtés précédents, et elle décréta l'inviolabilité de ses membres. La cour eut l'intention de punir une désobéissance si flagrante, si hardie; on parla de sauver, par d'énergiques violences, l'autorité royale méconnue; «un grand attentat fut sur le point d'être commis. » Les princes reculèrent devant l'attitude de la population de Versailles, devant les dispositions des gardesfrançaises, qui refusèrent d'employer leurs armes contre les attroupements formés autour du château, devant l'agitation de Paris, où l'on parlait de marcher sur la cour avec quarante mille hommes. « On ne saurait peindre, dit un contemporain, le frissonnement qu'éprouva la capitale à ce seul mot : le roi a tout cassé. Je sentais du feu qui couvait sous mes pieds; il ne fallait qu'un signe, et la guerre civile éclatait. » La cour eut peur; elle s'entoura de troupes, garnit d'artillerie le pont de Sèvres, et remit à un autre temps d'engager la lutte par la force; car la force était déjà l'unique ressource des privilégiés . en six semaines, ils avaient usé l'opposition des ordres et l'au torité royale! Toute la puissance morale était passée à l'Assem blée, et la puissance matérielle allait bientôt venir à elle. Le lendemain la majorité du clergé et le surlendemain la minorité de la noblesse vinrent se réunir au tiers; deux jours après, le roi, compromettant pour la centième fois sa dignité par ses retours en arrière, invita lui-même les deux portions d'ordres qui siégeaient séparément à se joindre à tous les députés [27 juin]. La cour leur fit entendre que la réunion ne serait que passagère, et qu'on voulait seulement combiner des mesures certaines contre les factieux. Les privilégiés cédèrent; mais ils affectèrent de ne prendre aucune part aux délibérations de l'Assemblée, et de n'y assister que debout, avec un air de moquerie, et comme en attendant. § IV. COMPLOTS DE LA COUR CONTRE L'ASSEMBLÉE. TION DE PARIS. SURRECTION. PRISE DE LA BASTILLE. INSURREC - LE ROI APPROUVE L'IN En effet, le comité du comte d'Artois et de la reine avait décidé le roi à employer la force pour venger son autorité et les lois violées. On fit venir autour de Paris jusqu'à quarante mille hommes, dont huit régiments étrangers et deux d'artillerie; tous les villages, les routes, les points militaires étaient encombrés de troupes; le Champ-de-Mars fut transformé en un camp de dix mille hommes; le maréchal de Broglie eut le commandement de toute cette armée, et le baron de Besenval celui de Paris. Mais avec leur frivolité ordinaire, les courtisans firent tous ces apprêts sans mystère et sans ensemble; le vieux maréchal méditait des plans de bataille ridicules, comme s'il eût dû combattre des armées régulières; enfin le complot fut déjoué avec tant de rapidité, que probablement les conspirateurs n'avaient pas même eu le loisir de le combiner entièrement. Pendant ce temps, la capitale était pleine de craintes et d'agitations. On soupçonnait les desseins de la cour, et l'on répandait à ce sujet les bruits les plus sinistres : que le roi devait dissoudre l'Assemblée, déclarer la banqueroute, affamer Paris. Mais on était disposé, non pas seulement à déjouer ces desseins, mais à les prévenir; et la multitude, qui était d'ailleurs tourmentée par la disette, n'avait là-dessus qu'un sentiment avec la bourgeoisie. C'était au Palais-Royal, rendez-vous des agitateurs et des nouvellistes, qu'on s'attroupait pour s'instruire des délibérations de l'Assemblée nationale et s'exciter à la résistance; c'était |