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PRÉFACE.

Nous avons inséré dans ce volume deux pièces qui méritent d'être examinées avec soin par tous ceux qui veulent savoir quelles étaient les conclusions définitives que recherchait l'esprit révolutionnaire, et vérifier dans une application la valeur et les tendances de cet esprit. Nous voulons parler du plan d'éducation nationale, et du projet de code pénal qui occupent les feuilles suivantes. Ces deux projets doivent aussi attirer l'attention des hommes voués à l'étude de ces matières; car ils répondent à deux problèmes qui n'ont pas encore aujourd'hui obtenu de solution. Nous n'insisterons pas pour montrer la supériorité des travaux que nous réimprimons sur un grand nombre de ceux que l'on a publiés à l'époque où nous sommes : elle est évidente. En effet, dans le premier, on formule nettement la différence qui sépare l'éducation qui fait l'homme et le citoyen, de l'instruction qui enseigne les méthodes professionnelles. On considère la première comme devant être imposée à tous les enfans, et la seconde comme devant seulement être mise à la portée de tous. Dans le projet de code, on établit, en même temps qu'un système de peines, un système de réhabilitation. Or, nulle proposition moderne, que nous sachions au moins, ne présente ni une pareille connaissance du sujet, ni une semblable généralité, ni une égale netteté dans les moyens. Nous ne nous arrêterons pas non plus pour faire remarquer que dans ces travaux respirent les habitudes de l'esprit catholique français. Bien qu'il n'y soit, en nom, présent nulle part, bien que l'auteur sans doute eût des intentions toutes contraires, il ne nous a cependant apporté rien de plus qu'une imitation du système à l'aide duquel, dans les temps antérieurs, on faisait des hommes et des chrétiens en leur apprenant à distinguer le bien du mal; à l'aide duquel on avait établi une sanction temporelle de la loi en créant des pénitences pour les coupables, et des moyens (de réhabilitation pour ceux qui avaient fait œuvre de repentir. Les Jacobins, ainsi que nous l'avons expliqué bien des fois, ne savaient pas d'où venait le sentiment révolutionnaire qui les animait; ils avaient cru du clergé ce que celui-ci croyait et disait de lui-même, à savoir que son organisation et sa discipline étaient absolument catholiques et absolument chrétiennes; et par suite il leur avait paru impossible de réformer cette organisation, et nécessaire de la dé

T. XXIV.

truire et de supprimer le sentiment religieux qu'elle disait rigoureusement représenter; mais les Jacobins avaient reçu l'éducation commune que l'église donnait à tous ses enfans, et par là ils avaient été placés au point de vue de l'unité sociale. Or, de ce point de vue, ils ne pouvaient manquer de reconnaître que le premier intérêt, celui sans lequel il n'y en a plus d'autres, est de conserver la société elle-même; que cette fin ne peut être obtenue que par la conservation de l'esprit social; que celle-ci est le résultat d'une éducation, une et universelle comme son but, qui saisit chaque génération au moment où elle arrive à la vie, et la rend héritière des devoirs et des sentimens de ses pères, comme elle l'est du fruit de leurs travaux. Ils voyaient de plus que la société n'avait vis à-vis des individus aucun droit si elle n'avait accompli ce premier devoir, qu'en un mot, elle ne pouvait punir le mal si elle n'avait pas enseigné à tous à le reconnaître.

Ce qui prouve que cette conception, cette disposition à raisonner ainsi sur les premières conditions de l'existence de la société, est une inspiration des sentimens catholiques, c'est que jamais on n'a rencontre une pareille largeur de vues chez les hommes d'origine protestante, soit qu'ils fu-sent croyans, soit qu'ils fussent incrédules: à cet égard, nous pourrons citer les lois sur l'instruction publique que le dernier ministère a présenté ou fait accepter aux chambres. On ne trouve là rien de plus que l'intelligence des choses individuelles: on s'y occupe beaucoup d'instruction, mais, de l'enseignement de la morale sociale, aucunement ou le moins possible. Il n'existe à peu près qu'an article dans la dernière de ces lois où l'on puisse reconnaître que nous sommes autre chose qu'une nation de littérateurs et de sophistes : c'est celui où un certificat de moralité est imposé aux entrepreneurs d'instruction. Enfin on ne voit en aucun lieu ce sentiment qu'il est si important d'inspirer à la jeunesse à savoir que la société est l'origine et le but de toutes nos capacités, de tous nos mérites et de tous nos efforts. Nous ne pousserons pas plus loin cet examen sur un sujet qui a déjà été traité plusieurs fois dans nos préfaces; et sans autre transition, nous allons exposer quelques-unes de nos idées principales sur les deux problèmes importans de l'éducation, et de la codification pénale et rémunératoire. Suivant nous, le vice capital de presque tous les projets de lois sur l'éducation, c'est que l'on s'y est attaché particulièrement à régler la distribution, la hiérarchie des écoles, en un mot toute la partie administrative, et jamais la matière même de l'enseignement. On s'est occupé toujours, et le plus souvent comme si la question eût été là tout entière, d'organiser le mécanisme, d'ordonner les moyens, de fonder une méthode; mais jamais, ou presque jamais, du but à atteindre par ces moyens. On n'a, en un mot, jamais formulé ce but; ou, en d'autres termes, on n'a jamais établi un catéchisme national qui, dans l'ordre temporel, fût équivalent et répondit à celui que l'Eglise professe dans l'ordre spirituel. Nous devons reconnaitre cependant que, dans plusieurs des plans qui furent publiés vers l'époque où notre histoire est parvenue, et notamment dans celui de Lepelletier, quelques paragraphes sont consacrés à fixer la matière de l'éducation; mais cet important problème est traité comme accidentellement, et mêlé avec les questions administratives, et placé au même rang en sorte que ce qui forme le but même de la loi, ce qui, une fois réglé, doit rester iminuable, est confondu avec les moyens, c'est-à-dire avec ce qui est transitoire et variable.

Or, s'il est vrai que toute nationalité existe par un but d'activité commune qui unit, dans une même tendance, les efforts et les sacrifices des générations passées à ceux des générations à venir, n'est-il pas absurde, soit, comme dans les projets de lois présentés dans ces der

nières années à la législature, de laisser au hasard l'enseignement de ce but; soit, comme dans les projets publiés dans la révolution, de confondre le but avec la méthode? Est-il d'usage, en bonne logique, de mêler le principe avec les conséquences; et pense-t-on qu'il n'en résulte pas de singulières erreurs? C'est ce qui est arrivé en effet. Le sujet de l'enseignement a été traité comme une affaire purement. administrative; on a ajouté, on a retranché, on a corrigé, et de là il est résulté une totalité contradictoire propre à porter dans l'intelligence des élèves une anarchie contre laquelle ils n'ont aujourd'hui de recours qu'en allant chercher un criterium, soit dans les souvenirs que leur a laissés le catéchisme catholique, soit dans quelque doctrine philosophique. De toutes parts aujourd'hui on se récrie sur les singulières aberrations intellectuelles, sur le désordre, sur l'anarchie morale dont on est témoin! mais la cause n'en est pas ailleurs que dans le détestable système d'enseignement que la société entretient. Sans doute, vous donnez aux jeunes gens quelque instruction; mais où est le but proposé à leur activite? Vous aurez beau réfʊrmer l'administration de vos écoles, la remanier de mille manières, peut-être accroitrez-vous encore un peu la dose du savoir superficiel que l'on possède communément, mais vous ne diminuerez pas les chances de cette aberration spirituelle dont vous vous plaignez; bien plus, il n'est pas un de vous qui, en tentant cette réforme, puisse se dire à lui-même, en présence de Dieu, qu'il est certain de bien faire, qu'il est certain d'obtenir seulement quelque chose du résultat qu'il cherche. Et pourquoi? c'est que vous ne pouvez pas vous-mêmes recourir à un principe pour éclairer votre jugement; c'est que vous avez constamment fait une question de moyen là où il y avait en outre une question de but. Nous allons examiner ces deux choses à part comme elles doivent l'être : selon nous il y a l'objet de plusieurs lois là où l'on n'a toujours voulu en faire qu'une.

La première de ces lois devrait déterminer le but et la matière de l'éducation nationale. Elle devrait être, dans le sujet qui nous occupe, à l'égard de toutes les dispositions législatives subséquentes, ce qu'une déclaration des devoirs et des droits est au reste d'une constitution, c'est-à-dire immuable, et souveraine à l'égard des maîtres, des élèves et des législateurs eux-mêmes; et l'on trouvera que l'opinion que nous avançons ici n'a rien d'exagéré, si l'on veut bien se demander ce que c'est que de l'éducation.

Nous ne croyons pas qu'on puisse contester la définition suivante : l'éducation est le moyen de conserver spirituellement la société. Elle consiste donc dans l'enseignement du but commun d'activité, c'est-àdire de la loi d'existence nationale à laquelle tout le monde doit obéissance, et que personne ne peut changer. En concluant de ces formules, en les definissant elles-mêmes, ou plutôt en exprimant tout ce qu'elles contiennent, on comprend ce que c'est que la matière de l'éducation, et l'on arrive facilement à la posséder. En effet, il ne suffit pas de faire apprendre la formule sèche de l'activité sociale, il faut enseigner tout le détail des devoirs qu'elle contient; il faut les faire comprendre, les faire aimer, et même les prouver. L'enfant doit avoir une connaissance générale du bat de la création, du but de la société; de ce qui est bien et de ce qui est mal vis à-vis de ce but. Il doit en même temps recevoir une instruction telle que, plus tard, sans en recevoir aucune autre, il soit capable de supporter, sans être ébranlé, l'adversité et toutes les tentations mêmes de la fausse science et des mauvaises expériences. Enfin, il faut que, dans ses premières années, l'homme recueille un sentiment qui le mette à même d'user de sa liberté toujours pour le bien,

et de ne jamais douter sur l'explication morale des choses qu'il est destiné à rencontrer sur sa route.

Or, nous le croyons fermement, et c'est une question sur laquelle nos lecteurs sentiront qu'il est impossible de se tromper; nous croyons qu'il n'est point très-difficile de déterminer les bases générales d'un enseignement où la morale soit présente partout, soit comme solution, soit comme conséquence, et qui contienne cependant une instruction incomparablement plus solide que celle que l'on distribue aujourd'hui dans les hautes classes; enseignement parfaitement intelligible pour les petits enfans, et qui cependant serait le thême de celui qui se continuerait dans un âge plus avancé. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans les détails qu'exigerait l'exposition de cette matière; les lecteurs qui sont au courant de nos idées nous comprendront; et d'ailleurs on en trouvera un spécimen abrégé dans l'Européen de 1851. Les découvertes faites dans les temps modernes en géologie, en physique, etc.; les découvertes de la philologie, celles même opérées dans l'histoire, lorsqu'elles sont liées et expliquées par le mot progrès, donnent aux généralités des sciences une signification morale qui en rend la mémoire facile, et en même temps profondément propre à préparer les hommes aux sacrifices d'une vie vraiment sociale.

Il est certain que l'éducation ainsi traitée, est nécessairement religieuse. Cependant nous dirons pour ceux qui craindraient dans ce cas la nécessité de reconnaître la domination intolérante d'une seule secte religieuse, qu'un tel enseignement n'emporte pas par exemple l'obligation de reconnaitre absolument l'un des dogmes qui, aujourd'hui, partagent le christianisme. Sans doute, en définitive, il conclura à l'unité; sans doute il fera, sans employer aucune négation directe, mais seulement par la supériorité des sentimens qu'il inspirera, que les hommes abandonneront toutes les doctrines religieuses qui sont audessous de l'état actuel de la civilisation; mais cela ne sera point immédiat, et ce ne sera point un mal. La violence n'y aurait nulle part, la perfection du sentiment social en serait l'unique cause. Qui pourrait repousser une pareille espérance et craindre un semblable résultat? à coup sûr, ce ne sont point ceux qui aiment leurs semblables; car ceuxlà savent que l'égalité morale est la seule qui soit possible parmi les hommes, et que la fraternité qui en est la conséquence, est l'ancre à laquelle se rattache le salut des sociétés modernes.

Mais est-il de toute certitude que l'éducation ne soit possible, ou plutôt, n'existe qu'à condition d'être religieuse? Pour nous et pour tout homme qui a réfléchi, c'est un axiome hors de doute: et pour soutenir cette affirmation nous ne citerons pas la longue expérience du passé, en disant que jamais il n'en exista d'autre; nous n'invoquerons pas l'expérience du présent, en répétant que c'est parce que l'on a voulù se placer en dehors de cette vérité que l'on n'a réussi à rien; nous nous bornerons à quelques raisonnemens fort courts: nous dirons qu'on ne peut commander un devoir ou un sacrifice (car un devoir est toujours un sacrifice) à un individu qu'au nom d'un devoir que la société elle-même tout entière doit remplir; qu'on ne peut commander un devoir à la société, qu'au nom de l'humanité; et que de celle-ci on ne peut pareillement rien exiger que du point de vue d'un but imposé au monde tout entier par la loi de création. Rien, dans tout cela, ne peut rester vague, soumis aux indécisions du rai onnement; tout doit être positif et arrêté, et ce positif, on ne le trouve nulle part ailleurs que dans la révélation: tel est le côté social du sujet que nous examinons. Voyons-en le côté individuel tout homme inévitablement, si brute qu'il soit, vous demandera d'où il vient et où il va; et la réponse à ces deux questions deviendra le critérium de sa conduite. Or, lui direz-vous qu'il vient de la matière,

et retourne à la matière; alors vous lui enseignerez en même temps qu'il est un être sans but, par suite sans critérium certain; et assurément ainsi vous ne produirez pas un membre dévoué à la société, mais bien plutôt un être constamment en révolte contre ses lois et contre toute obligation. Nous avons maintenant beaucoup d'hommes de cette espèce; mais nous n'en possédons pas encore de complets; la perfection dans ce genre n'est pas atteinte, car il n'en est pas qui n'ait reçu quelque enseignement du catéchisme et n'en manifeste encore l'influence. Les incrédules de nos jours pèchent encore plus par la science que par le sentiment; et cependant déjà leur moralité est loin d'être irreprochable. Plusieurs d'entre eux pourront nier publiquement ce que nous affirmons ici; mais, bien certainement, il n'en sera pas un qui, dans son for intérieur, ne reconnaisse la vérité de nos assertions. Il faut, dans l'intérêt individuel même, qu'une autre réponse soit faite aux assertions que nous avons posées; il faut que la verité lui soit enseignée; car la vérité est que la société et le monde ont un but. Il faut qu'il apprenne le devoir, à peine d'être ou toujours misérable, ou toujours nuisible et toujours puni.

Si donc il n'y a point d'éducation sans religion, le législateur doit avoir le courage de le dire, et ce serait un beau spectacle et un magnifique enseignement pour la France et pour l'Europe que celui d'une chambre où se discuterait une loi sur l'éducation conçue telle qu'il est nécessaire qu'elle soit. Hors de la route où nous sommes, il est impossible de formuler autre chose que de l'instruction; et c'est parce que l'on n'a ni osé ni voulu y entrer, qu'on a produit tant de projets irréalisables, ou tant de règlemens sans puissance. Donner seulement de l'instruction sans l'éducation, c'est donner le moyen sans le but; traiter avec un soin si particulier, et donner un rang si haut, un rang si aristocratique, à l'instruction, comme on le fait aujourd hui, c'est déclarer que la supériorité entre les hommes n'émane pas de la morale ou de l'accomplissement du devoir, mais de l'élégance des manières, du bien-dire, du savoir-faire et de l'habileté. Or, c'est là un mensonge aussi absurde qu'anti-social, indigne du législateur; ce n'est cependant que la paraphrase d'un discours que M. Guizot a prononcé cette année à la tribune de la chambre des députés. Le ministre fut applaudí.

La question de l'éducation est intimement liée à celle de la pénalité. Il est complétement irrationnel de produire un code des peines et des récompenses autrement que du point de vue de l'éducation donnée, et avant qu'elle soit formulée; en effet, l'un n'est que la sanction de l'enseignement contenu dans l'autre. Nous soutenons de plus qu'il eût été impossible de prime abord et à l'origine de rédiger le premier si la seconde n'eût pas existe. Cependant cette inconséquence s'est commise, et elle est même en pleine vigueur, en ce moment, dans notre pays. Dira-t-on que les articles de notre Code répondent à la déclara tion de principes mise en tête de quelqu'une de nos constitutions, et de plus aux dispositions de notre Code civil. Mais nous ferons observer qu'à ce compte on trouverait beaucoup d'articles qui ne répondent à rien de nettement formulé dans celles-ci. Dira-t-on que le Code sanctionne les principes de la morale universellement enseignée ? Mais alors pourquoi ne point enseigner nous-mêmes cette morale? et si elle ne peut l'être que religieusement, pourquoi repousser l'éducation religieuse ? Qui tient l'école où l'on apprend cette morale? Ce n'est point la société ; et alors, comment peut-elle être assurée que celle-ci soit enseignée à tous ceux auxquels elle destine son Code? Il y aurait, à cet égard, de nombreuses considérations à faire valoir; mais elles nous entraineraient loin du but que nous nous proposons, et la plupart d'entre elles sont d'ailleurs assez usuelles pour qu'il suffise d'en donner l'occasion pour

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