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ADOPTION.

indépendamment des enfants légitimes et naturels, reconnaîtra-t-on des enfants adoptifs?

L'adoption était connue chez les Romains et chez quelques autres peuples de l'antiquité; on s'était proposé de l'établir en France: la situation générale des peuples modernes, notre situation particulière comporte-t-elle cette institution?

Pour maintenir le partage égal des terres dans les anciennes démocraties, c'était une bonne loi, dit Montesquieu, que celle qui voulait qu'un père, qui avait plusieurs enfants, en choisit un pour succéder à son patrimoine, et donnât les autres en adoption à quelqu'un qui n'eût point d'enfants, afin que le nombre des citoyens put toujours se maintenir égal à celui des partages.

On proclame l'adoption comme un grand moyen de favoriser les actes de bienfaisance et une consolation offerte à ceux qui n'ont point d'enfants.

Mais l'exercice d'une bienfaisance sagement ordonnée ne nous est-il pas suffisamment garanti par la latitude que nos lois donnent à la faculté de disposer? Quant aux douceurs de la paternité, la loi civile pourrait-elle jamais, par des fictions, remplacer des sentiments qui ne peuvent être que l'ouvrage de la nature?

Exista-t-il jamais autre chose entre les parents et les enfants adoptifs que les relations plus ou moins intimes qu'un doux commerce de générosité et de reconnaissance peut former entre des êtres honnêtes et sensibles, relations qui considérées en elles-mêmes et dans tout ce qu'elles présentent de bon et de moral, sont indépendantes des vains appareils de l'adoption?

L'adoption est donc inutile.

DE LA VALIDITÉ DU MARIAGE

D'UN ÉMIGRÉ MORT CIVIL.

Question renvoyée par le premier consul à la section de la législation sur le rapport du ministre de l'intérieur :

Un prévenu d'émigration, autorisé par le gouvernement à rester en surveillance sur le territoire de la république, peut-il se marier légalement?

Motifs des membres de la section qui ont opiné pour l'affirmative.

La question proposée n'aurait jamais vu le jour, si les officiers civils avaient mieux connu la nature et les limites de leurs fonctions.

Ces officiers sont les ministres et non les juges du contrat de mariage; ils n'ont que la vérification et l'application matérielle des conditions et des formes que les lois prescrivent pour la célébration de ce contrat ; tout ce qui est contentieux, tout ce qui tombe en question de droit est étrangers aux officiers civils, qui ne peuvent ni suspendre ni refuser leur ministère, à moins que cette suspension ou ce refus ne soit justifié par la disposition littérale de la loi, par l'opposition régulière de quelque tiers, ou par un jugement; un système qui abandonnerait le sort des familles à l'arbitrage de chaque officier local compromettrait l'activité et la liberté qu'il est si nécessaire de conserver dans les relations sociales, et qui ne pourraient être menacées sans le plus grand danger pour l'ordre public.

Or, aucun texte de loi n'a prohibé les mariages des pré

venus d'émigration; ceux qui pensent que ces mariages doivent être prohibés raisonnent par induction, par analogie; ils argumentent non de la lettre, mais de l'esprit particulier des lois intervenues contre les émigrés; tout raisonnement, toute argumentation, dans une pareille hypothèse et dans toutes les hypothèses semblables, sont interdits. Ce n'est point aux officiers civils à faire naître et moins encore à préjuger, en suspendant leur ministère, des questions d'un ordre si élevé, et à jeter des inquiétudes dans la société par une prévoyance qui excède les bornes de leurs attributions.

En conséquence, il suffirait peut-être dans le cas actuel d'avertir ces officiers, lorsqu'ils interrogeront l'autorité, que leurs fonctions se réduisent à observer les formes et à se conformer aux dispositions des lois qui règlent les mariages, sans entrer dans des discussions qui ne les concernent pas.

CONSULTATION

SUR LA VALIDITÉ DES MARIAGES

DES PROTESTANTS EN FRANCE.

Nous publions, pour terminer ce volume, un ouvrage remarquable de Portalis, devenu aujourd'hui fort rare. C'est la consultation qu'il rédigea, à la demande de M. le duc de Choiseul, alors ministre, sur la validité du mariage des protestants en France, d'après la législation existante avant l'édit de 1787.

Cette consultation fut délibérée à Aix, en Provence, le 20 octobre 1770. Elle porte les signatures de Portalis et de son ami Pazeri. Elle était rédigée trois ans après le réquisitoire fameux de l'avocat général Servan, devant le parlement de Grenoble, sur une question identique, et plus de seize ans avant l'édit donné à Versailles, le 28 novembre 1787, enregistré par le parlement de Paris, le 29 janvier 1788, par lequel l'état civil des protestants fut enfin établi et réglé conformément aux lois de la raison et de la morale.

Déjà la jurisprudence avait varié sur cette importante question, et le duc de Choiseul, qui voulait établir la tolérance civile dans la nouvelle ville de Versoix, fit demander à Portalis, alors âgé seulement de vingt-quatre ans, une consultation sur ce sujet.

A cette époque, en effet, comme l'a dit un de nos premiers magistrats, célèbre à la fois par la mâle vigueur de son éloquence et la profondeur de son érudition: « Pour les >> protestants qui ne voulaient pas abjurer ou mentir à Dieu

>> et aux hommes, il n'y avait pas de famille; leurs mariages célébrés au désert étaient destitués des effets ci>> vils... La jurisprudence, plus humaine que les édits, avait quelquefois égard à la possession d'état; Servan venait de » faire entendre sa voix ardente dans son éloquent plai» doyer pour une femme protestante'.» Mais la loi ne reconnaissait pas encore la validité des unions formées par eux légitimement devant leurs ministres.

L'appel fait par M. le duc de Choiseul répondait trop bien aux idées de celui auquel il s'adressait, pour ne pas lui inspirer un ouvrage digne du talent qui le distinguait. Portalis traita son sujet avec cette force de raisonnement et cette clarté qui lui étaient propres. Il posa d'abord les vrais principes de la morale et de la police en fait de mariages. Le mariage, suivant lui, est un contrat du droit naturel indépendant du sacrement qui le sanctifie; il a pour but la formation des familles qui composent la société, il a droit à la protection des lois, du moment qu'il n'a point été formé par caprice et qu'il a été publiquement contracté : la morale et l'ordre public l'exigent également. Partant de cette base, il traite à fond la matière, et entre à ce sujet dans de féconds développements.

Linguet parle de cette consultation, dans son mémoire pour Mme de Bombelles, et dit que cet écrit est plein d'éloquence et de solidité. Voltaire, auquel cet ouvrage fut communiqué par le célèbre Moultou de Genève, en porta un jugement plus flatteur encore: « Ce n'est point là une consultation, dit-il, c'est un véritable traité de philosophie, de législation et de morale politique. » Il l'enrichit de notes marginales de sa main 2. Cette œuvre de Portalis est citée dans

1 Éloge de Malesherbes, discours de rentrée de la cour de cassation de l'année 1841. Tome IV, page 119 des Réquisitoires, plaidoyers et discours de rentrée, prononcés par M. Dupin, procureur général de la cour de cassation.

2 Ce manuscrit ainsi annoté, et le billet de Voltaire à Moultou, en le lui renvoyant, sont précieusement conservés dans la bibliothèque du fils de l'auteur.

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