Librairie HACHETTE et Ci, boulevard Saint-Germain, 79, Paris. VICTOR CHERBULIEZ DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE LA FERME DU CHOQUARD UN VOLUME IN-16, BROCHÉ A plupart des grands écrivains laissent derrière eux des épaves qu'on recueille ensuite. De ces épaves, le gros est médiocre. Ce sont des fragments, des essais, des œuvres hâtives ou de circonstance, que l'auteur a négligés, oubliés. Son nom les recommande à l'attention; c'est la pâture des érudits, de la critique de second ordre, des amateurs de l'inédit. « Qui nous délivrera de l'inédit?» s'écriait un jour M. de Sacy dans un accès d'humeur légitime; on a fini en effet par en abuser. Ces reliques n'ont souvent de valeur qu'aux yeux de ceux qui les découvrent et cherchent par elles à accrocher leur personnalité infime à la réputation d'un mort illustre. Il y a une autre besogne moins ingrate et plus particulière à l'érudition de bon aloi. Elle consiste à rechercher les variantes d'un texte consacré. On en abuse aussi. Les philologues allemands ont usé leur vie à défaire et refaire dix fois le texte des écrivains classiques. En ce qui concerne les écrivains de l'antiquité, la tâche est maintenant à peu près superflue. Si quatre ou cinq cents ans de philologie n'ont pas suffi à reconstituer un texte classique, il n'y a pas de raison pour qu'on y arrive désormais. Les écrivains modernes sont dans un cas fort différent. Grâce à l'imprimerie, aux éditions clandestines ou défigurées et mutilées à dessein, à la guerre engagée autour d'un livre ou d'une opinion, aux fluctuations mêmes de la pensée des auteurs qui en changent quelquefois, ou obéissent à des considérations étrangères au fond de leurs écrits, il se trouve que ceux-ci n'arrivent pas intacts à la postérité. Alors les variantes sont instructives, et on ne possède une bonne édition d'un écrivain célèbre que le jour où on est parvenu à les réunir. Ce n'est pas fait, même pour les grands écrivains de notre littérature nationale. Ce l'est encore moins pour ceux de notre siècle. On en peut citer comme exemple le pénible et curieux travail auquel vient de se livrer, dans le Correspondant, M.Edmond Biré, sur les œuvres de Victor Hugo antérieures à l'année 1830. Ce qui est vrai de Victor Hugo l'est bien davantage des autres écrivains de la période romantique, et tout spécialement de ceux qui sont restés en vue et ont la perspective de vivre. Le développement inouï de la presse périodique, où ont paru d'abord un grand nombre des œuvres d'imagination qui ont eu du retentissement au XIXe siècle, le va-et-vient de la pensée ou des tendances de ceux à qui elles sont dues, la hâte qu'ils ont mise à produire, les remaniements qu'ils ont fait subir successivement à leur premier jet ont créé des difficultés inextricables à ceux qui entreprennent de les éditer ou simplement d'indiquer les éléments d'un texte définitif à établir. Qui serait en état de suivre pas à pas les incarnations variées qu'ont subies les œuvres de Balzac, avant d'aboutir à leur forme actuelle? Une édition complète de la Comédie humaine, accompagnée de toutes les variantes, serait une tour de Babel à construire. M. de Lovenjoul a dépensé de très longs efforts à rechercher les origines du texte admis dans l'édition de la maison Lévy des œuvres de Balzac. Il y renvoie; ce renvoi est déjà un tour de force. Il a permis à M. de Lovenjoul d'édifier une sorte de monument bibliographique. Il n'y a là, malgré tout, que des indications sommaires, une ébauche assez informe, et ce ne pouvait pas être autre chose. Il n'existe, pour ainsi dire, plus de moyens de courir après Balzac dans les journaux et recueils sans nombre où il a déposé un embryon par-ci, un chapitre par-là. Ces journaux et recueils ont disparu; il n'en subsiste ordinairement pas de collection. Leur disparition a ôté à ceux qui auraient envie de les consulter la possibilité de le faire. |