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Il s'agit de la vérité historique; je dois prouver en conséquence que je n'ai point changé de principes, d'opinions, de conduite, depuis mon retour dans ma patrie, 1799.

J'ai imprimé, il y a plus de trente ans, ces paroles « Les princes français n'ont rien appris, et ils « n'ont rien oublié depuis 1789; » je répète en 1831 ce que j'ai écrit en 1798, ce que je pensais avec une ferme conviction, ce qui était pour moi une démonstration mathématique, ce que j'avais vu de mes yeux et entendu de mes oreilles (1).

(1) J'ai vu Louis XVIII arriver à l'armée de Condé avec un fourgon d'ordonnances et d'arrêts du conseil à enregistrer en parlement. Pendant son séjour à Blanckembourg, il tenait conseils jour et nuit, nommait des ambassadeurs et des ministres, et faisait de nombreuses promotions dans ses armées de terre et de mer, quoiqu'il n'eût pas un soldat, une barque, un écu : le monarque in partibus avait une immense correspondance de conspirations, et, en attendant leur succès, il organisait l'administration du royaume sur le pied où nous l'avons vue depuis la restauration. Je dirai un jour comment il entendait faire jouir les Français d'une constitution libérale, comment il se proposait d'oublier le 21 janvier, et d'organiser la liberté de la presse; de quelle nature étaient ses amnisties et ses promesses, et ce qu'il pensait et disait de nos conquêtes, de la gloire de nos armées et de celle de nos plus illustres généraux!!!!.. Je me bornerai à citer ici quelques-unes des paroles de Louis XVIII, prononcées en son conseil, ou à moi dites dans son cabinet. — « Scellez toujours, M. le garde des sceaux, ces lettres « de grâce (il s'agissait de dix-neuf conventionnels, ayant voté la « mort); j'outre-passe, comme vous le dites, les droits de la puis«sance royale; mais lorsque je serai sur mon trône, mon parlement

de Paris saura bien me prouver que j'ai outre-passé ces droits, et << les gens auxquels je fais grâce seront rompus en place de Grève << avec mes lettres-patentes au cou...-La presse est le philosophisme,

Je connaissais Louis XVIII et Charles X, l'émigration, la cour des Tuileries; cette cour devait, de

« l'irréligion, la révolte mis en action; j'y donnerai bon ordre en « rentrant dans mon royaume, et messieurs les écrivains peuvent compter sur une chambre syndicale, sur une belle et bonne cen« sure. Il ne faut pas laisser parler une nation, et le Français moins << que tout autre peuple.... » Lorsque dans la conférence du 21 janvier 1797, à Blanckembourg, je parlais à Louis XVIII des éclatantes victoires remportées par les armées de la république, il me répondait: « Et ce sont pourtant des brigands, des sujets révoltés, des scélérats « qui ont de tels avantages militaires! Il faut rougir, lorsqu'on est « Français, de ce qu'ils appellent honneur et courage. » Ce prince me demandait un jour si je croyais que Bonaparté fût réellement GENTILHOMME. Je lui ai entendu dire : « Masséna, Kléber, Jourdan,

« Hoche, Ney, Mortier (qui avait cependant rendu de grands ser<< vices à la comtesse de Provence, lorsque cette princesse était sur << la rive droite du Rhin), Bernadotte, Soult, et autres gens de cette espèce, ejusdem farinæ, sont sortis de la boue. >>

La plupart de nos faiseurs de Mémoires et d'Histoires savent tout; ils ont pénétré dans tous les cabinets, et assisté aux conseils les plus secrets des princes; rien ne les embarrasse lorsqu'on leur fait une commande historique; événemens et individus, ils ont tout vu, tout connu : en conséquence, ils créent des faits et font des anecdotes qu'ils donnent pour des vérités historiques. Je ne sais quels rédacteurs de mémoires ou d'histoires ont imprimé que j'avais été offrir, en Italie, le cordon-bleu à Bonaparte; c'est de l'absurdité risible.-Louis XVIII tenait beaucoup à gagner Bonaparte à la cause royale; il me proposa de le sonder, j'en fis sentir l'inutilité et le danger; je m'y refusai: pressé sur ce chapitre, je dis à Louis XVIII: « Je ne vois qu'une « seule chose à offrir au vainqueur de l'Italie, qui finira par étre « maître de la France; c'est la main de Madame royale (depuis, « duchesse d'Angoulême), et je doute qu'il l'acceptât, quelque immense fat un tel honneur. Bonaparte est républicain, et «c'est avec une armée toute républicaine qu'il gagne ses batailles. » de Des personnes encore vivantes ont été instruites, dans le temps, ce fait; elles pourraient en rendre témoignage; elles pourraient

que

toute nécessité, finir comme elle a fini; et si quelque chose eût pu me surprendre avant de mourir, c'eût été de voir, à ma dernière heure, la branche aînée de la maison de Bourbon encore sur le trône de France.

Je n'entends parler, à cet égard, ni des gouvernements de droit ou de fait, ni du droit divin ou de la souveraineté nationale; je n'ai pas mission de discuter de si graves doctrines. J'irai plus loin; le cardinal de Retz avait profondément raison lorsqu'il disait.... « Le peuple entra dans le sanctuaire, il « leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que « l'on peut dire et tout ce que l'on peut croire du << droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'ac«< cordent jamais si bien que dans le silence. La salle « du palais profana ces mystères.» Je pense qu'il n'est permis d'agiter ces grandes questions que lorsqu'il s'agit de l'existence même d'une nation; c'est ce qui est arrivé de notre temps; la révolution française a déchiré le voile, et depuis quarante ans l'esprit révolutionnaire ou contre- révolutionnaire

également attester que, dès 1797, je voyais dans le général Bonaparte un empereur de France ; je l'ai dit et écrit alors... Le cordonbleu allait fort bien à la taille de Pichegru, de Moreau, et d'autres généraux que je ne nommerai pas; mais à Bonaparte !!!!

Je dirai, en son lieu, bien des choses qui ne sont pas connues ou qui du moins n'ont jamais été publiées; sur la condamnation de Louis XVI et de Marie-Antoinette ; sur celle du duc d'Orléans, de Bailly, de M. de Malesherbes; sur Robespierre; ma conversation avec Louis XVIII au sujet de ce régicide, et ses regrets sur l'issue du 9 thermidor seront laissés un jour à l'histoire, avec les preuves à l'appui.

s'agite et s'étend, de jour en jour, dans les deux mondes: le premiers'appelle constitutionnel ou liberté légale, le second s'intitule monarchique ou pouvoir absolu; c'est la lutte entre les nations et les

gouvernements, entre le génie du mal et celui du bien. En définitive, il s'agit de l'affranchissement du genre humain; la révolution de 1789 l'a proclamé, la révolution de 1830 l'opérera, quoi qu'on fasse contre!...

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Ce résultat m'est démontré, comme une règle d'arithmétique, depuis trente-six ans. En 1795, j'écrivais «Les gouvernements ont, comme les individus, un bonheur qui fait souvent la gloire des princes ou des ministres; car le bonheur se mêle des réputations comme des fortunes. Sans entrer dans l'examen des causes qui doivent opérer bientôt la séparation totale de l'Amérique et de l'Europe, il n'en est pas moins évident pour l'homme qui suit, avec quelque attention, les circonstances que la politique a développées depuis vingt ans, que les nations européennes, et en premier lieu l'Espagne et le Portugal, seront forcées de ne voir dans leurs colonies, peut-être avant un terme moins long, que des alliés de la métropole. » - «La révolution française en a opéré une totale dans les rapports politiques et commerciaux qui liaient l'Amérique et l'Europe; elle hâte l'époque de l'entière indépendance des colonies, de leur constitution en républiques souveraines, ou de leur union avec le continent de l'Amérique Septentrionale. On doit regarder aujourd'hui le Nouveau-Monde comme séparé de l'Ancien. Il n'est pas d'événements (poussât-on les efforts de la politique jus

qu'à supposer une alliance entre la France et l'Angleterre, entre l'Angleterre et l'Espagne), il n'est pas d'événements qui puissent s'opposer avec succès à ce résultat inévitable. L'Amérique va bientôt montrer son propre génie; des républiques vont y surgir de toutes parts; elle va être déchirée par les divisions intestines et les guerres; et les puissances de l'Europe, avant trente ans, auront renoncé à leurs possessions dans cette partie du globe. Elles y porteront des marchandises, mais elles n'y donneront plus de lois. L'Espagne sera obligée de rendre libre le commerce de ses Indes, car il ne lui restera bientôt que ce seul moyen de le conserver à ses sujets. La nation la plus sage sera, bien incontestablement, celle qui ouvrira la première aux vaisseaux étrangers les ports de ses colonies, qui leur assurera une entière indépendance, et qui acquerra ainsi la liberté entière du commerce avec le vaste continent de l'Amérique méridionale........ » (L'an 1795, ou Conjectures sur les suites de la révolution française, etc., pages 169 et 170; publié à Londres et à Hambourg, janvier 1795.)

Dès cette époque, j'étais intimement convaincu, et je n'ai pas cessé un instant, depuis 1795 jusqu'à ce jour, d'être persuadé que l'heure de la liberté constitutionnelle avait sonné dans les deux mondes ; j'avais la ferme croyance que les gouvernements ne pourraient plus, sans grand péril, tromper long-temps les peuples. Cette belle phrase de Voltaire, que M. de Talleyrand a répétée soixante ans après le grand génie : « Il y a quelqu'un qui a plus d'esprit

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