Page images
PDF
EPUB

ter à l'immense et si glorieuse révolution de juillet, il eût vu tous ses voeux s'accomplir, et toutes ses doctrines politiques recevoir un plein assentiment de l'opinion nationale : mais, si les principes et les doctrines de feu mon frère ont puissamment contribué au succès de l'Histoire de France, il faut aussi l'attribuer, en partie, au nombre et à l'importance des connaissances acquises, des événements et des faits annotés et plus ou moins développés par cet écrivain, surtout à la franchise avec laquelle il n'a pas craint de les exposer. L'indépendance et l'impartialité, qui n'est autre chose que la justice historique, sont les caractères distinctifs de l'ouvrage de l'abbé de Montgaillard; il s'est armé de la plus inflexible sévérité, ses partisans et ses détracteurs sont d'accord à cet égard; il a signalé ces hauts et bas fonctionnaires publics, plus ou moins fameux, qu'aucun gouvernement n'a pu éviter depuis quarante ans, et qui ont porté malheur à tous les gouvernements qu'ils ont servis ; il a poursuivi jusque dans leurs derniers retranchements de fortuné et de pouvoir les coupables, les hypocrites, les insensés, les traîtres, les hommes vendus à l'étranger, en un mot, tous les personnages qui ont défiguré la statue de la liberté constitutionnelle, qui l'ont flétrie et mutilée, soit par leurs excès dans les premières années de la révolution, soit par leur servilité et leur vénalité de puis les restaurations de 1814 et 1815 : il a signalé tous les personnages qui ont déserté les principes et compromis les bienfaits de la révolution française. Sans considérer s'il n'eût pas été possible à l'historien ou à l'annaliste, comme on voudra, d'apporter plus

de modération ou de calme dans ses jugements sur certains individus, et de faire une plus large part aux circonstances atténuantes; sans considérer, d'un autre côté, si ces ménagements n'eussent pas altéré la vérité historique, et ne fussent pas en conséquence devenus nuisibles à l'ordre social, je m'empresse de convenir avec la saine partie du public, avec toutes les personnes de bonne foi, que les jugements portés par feu mon frère sont quelquefois inexacts, ou exagérés, tant il avait d'indignation pour le crime et d'horreur pour les bouleversements politiques : feu mon frère a pu se tromper relativement à quelques faits, ou plutôt sur les détails explicatifs de ces faits; en parlant ainsi, je suis loin de vouloir diminuer le mérite de mon frère dans des compositions où il a fait preuve de tant de talent, de patriotisme et d'amour pour la vérité, mais où il a mis quelquefois, sans le vouloir, l'illusion à la place de la réalité.

Mon respect pour la vérité historique, mon respect pour la mémoire de mon frère me faisaient également un devoir de rectifier ce qu'il pouvait y avoir de défectueux dans son Histoire de France; depuis cinq ans, je m'occupe de ce soin, et j'offrirai à mon pays, lorsqu'il en sera temps, un Complément de l'ouvrage de mon frère, où je dirai ce que j'ai vu, entendu et su depuis quarante ans, ce que m'ont appris les empereurs, les rois, les ministres, les grands de la terre auprès desquels les conjonctures les plus imprévues et les plus importantes me donnèrent acces depuis les premiers mois de 1789 jusques à la restauration de 1814.

:

Je respecte le malheur, quelque mérité qu'il soit; mais l'on doit la vérité à ses concitoyens et à l'histoire je la dirai. Faut-il attendre la mort des princes pour les juger? non : le bien public et le repos des États exigent, aujourd'hui, que les grands de la terre entendent, de leur vivant, le jugement que la postérité portera sur leurs fautes.

Le devoir que j'ai à remplir envers mon pays et envers la mémoire de mon frère, m'impose l'obligation de dire quelques mots sur son Histoire de France et sur ma participation à cet ouvrage; je suis donc forcé de parler de moi, et de rompre le silence que j'ai gardé depuis dix-sept ans.

Feu mon frère avait rédigé un manuscrit de notes additionnelles à sa Revue chronologique; il pouvait comporter un volume et demi, deux au plus d'impression ce manuscrit existe en son entier. Il devenait indéchiffrable pour tout homme qui n'en aurait pas eu la clef, qui aurait ignoré la manière dont l'auteur avait conçu et se proposait d'exécuter son nouvel ouvrage, intitulé: Annales françaises. Feu mon frère s'attachait à conserver dans ces Annales une trèsgrande partie de sa Revue chronologique (publiée, anonyme, 1820), à laquelle il adaptait, avec plus ou moins d'opportunité ou de méthode, la partie de son manuscrit relative à chaque fait ou à chaque événement précité: en conséquence, il intercalait dans les articles de sa Revue chronologique des additions de quelques lignes, d'une demi-page, quelquefois de trois ou quatre pages, et rarement d'une plus grande étendue : les derniers mots de ces additions renvoyaient

à la partie correspondante de la Revue chronologique, avec laquelle ils s'enchevêtraient. De cette manière, la Revue et le manuscrit des Annales étaient alternativement disjoints et liés ; ils entraient l'un dans l'autre, et le manuscrit lui-même n'était qu'un continuel renvoi à la Revue chronologique qu'il fallait, comme on voit, dépecer et refondre entièrement pour former de ces deux compositions un tout homogène. Cet aperçu démontre que le nouvel ouvrage de feu mon frère, bien conçu au fond, avait été mal pris dans l'exécution; elle était hérissée de difficultés ; il s'agissait de faire concorder la partie imprimée et la partie manuscrite, dont l'auteur entendait faire un seul et même corps d'ouvrage. L'amour de mon pays, mon attachement aux libertés constitutionnelles, et surtout le désir de rendre hommage au caractère politique de mon frère, me déterminèrent à profiter de cette conjoncture pour publier, sous son nom, quelques réflexions relatives à notre situation politique (1826); il importait de faire connaître, d'indiquer ou d'expliquer certains faits où les historiens à venir pourraient puiser des notions certaines sur la révolution française. Mais les lois restrictives, ou, pour mieux dire, destructives de la liberté de la presse s'aggravaient violemment d'année en année, et l'époque où nous vivions commandait la plus extrême réserve; à peine était-il permis d'effleurer certains faits; il fallait tourner autour de la vérité, recourir aux allusions, aux réticences (même à l'ironie, en exagérant les éloges donnés aux deux rois de la restauration), pour jouir de la faculté de laisser entrevoir dans le lointain la

vérité historique : car, il y allait alors de la vie ou de la mort d'un ouvrage, l'ancien régime régnait avec toutes ses lettres de cachet pour les écrivains, les imprimeurs et les libraires : c'était bien la liberté de la presse, telle que Louis XVIII m'avait dit à Blanckembourg qu'il la donnerait à la France en montant sur son trône!!! Mais, la situation des choses ayant changé depuis 1830, et un prince honnête homme ayant été élevé, par le peuple français, sur le premier trône de l'univers, l'on peut parler aujourd'hui en toute liberté, et l'histoire commence réellement pour les deux rois de la restauration : aujourd'hui, et désormais, l'on pourra dire et prouver ce qu'il était à peine possible de laisser soupçonner il y a dix-huit mois, ce qu'il eût été impossible de publier, même après la mort de l'écrivain, si la France n'eût pas été délivrée de la restauration de 1814.

Avant d'aborder ce sujet, qu'il me soit permis de jeter quelques fleurs sur la tombe d'un frère tendrement chéri; il mérita l'estime de son pays, et sa mémoire a droit à l'estime de tout homme ami de l'ordre et des lois.

Mon frère Guillaume-Honoré avait beaucoup d'esprit, et, ce qui vaut mieux, il était doué d'une grande rectitude de jugement; mais, sa propre loyauté l'abusait quelquefois, il la supposait toujours dans les individus auxquels il accordait sa confiance; le désintéressement, l'esprit d'indépendance, et une entière abnégation de toute espèce d'ambition, formaient les traits distinctifs de son caractère; il ne sollicita jamais de place, et refusa celle de secrétaire général dans diverses

« PreviousContinue »