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de plus, c'est introduire dans l'État des semences de trouble et de discorde : l'histoire de tous les siècles et de tous les pays en fournit des preuves incontestables : et pourrait-il en être différemment, lorsque la cour de Rome pose pour maxime fondamentale : « Les ministres . de la religion sont les représentants de Dieu sur la «< terre, et par conséquent au-dessus des magistrats ? » (V. 17 mai.)

Les partisans de l'ultramontanisme ne cessent de citer l'exemple de l'Angleterre, où l'épiscopat tout entier siége à la chambre des pairs! Il faut être bien ignorant ou de bien mauvaise foi pour s'appuyer, en semblable matière, de l'exemple de la Grande-Bretagne........... D'abord, sa constitution politique diffère essentiellement de celle du royaume de France; ensuite, les évêques anglicans ne sont pas investis du titre et des fonctions de la pairie en vertu d'une ordonnance royale; ils tiennent, au contraire, leur droit de pairie de la seigneurie féodale de leur siége épiscopal; ce droit y est irrévocablement attaché, il ne peut en être distrait; c'est comme seigneur de la terre, comme membre du système féodal qui a fondé et qui maintient la pairie britannique, que l'évêque est lord et membre de la chambre haute rien de semblable n'existe et ne peut exister en France; le régime féodal y est aboli; il ne sera jamais rétabli dans ce royaume! Plus de seigneurs, plus de vassaux dans cette terre constitutionnelle. Le propriétaire du domaine le plus considérable, et le paysan propriétaire d'un quart d'arpent, ont les mêmes droits territoriaux; le roi lui-même n'a pas le droit d'exiger, d'imposer dans ses domaines une redevance féodale quelconque, de se dire seigneur dans le sens attaché à ce mot avant 1789 : d'où l'on voit que l'évêque français ne peut, dans aucun cas, représenter la glèbe pri

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vilégiée, comme l'évêque anglais la représente depuis l'établissement de la chambre des lords.

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Une autre considération fondamentale, tout en faveur des lords spirituels, dérive de l'état de la religion en Angleterre le clergé n'y est pas romain, mais anglican; l'État n'est pas dans l'Église, l'Église est au contraire dans l'État; le monarque de la Grande-Bretagne est, à la fois, le chef de l'Église et le chef de l'État. Par conséquent, l'autorité spirituelle ne saurait empiéter et prévaloir sur la puissance temporelle; dans la constitution anglaise, le gouvernement n'a pas à craindre autant que dans d'autres États les intrigues de la cour de Rome, les dissensions religieuses qui ont causé tant de calamités dans les États soumis à l'influence du pouvoir ultramontain. Il est toujours réduit, il est vrai, à réprimer les révoltes que ce pouvoir chercherait à exciter en Irlande, où le papisme a conservé une funeste influence; mais un tel état de choses prouve précisément à quels périls l'ultramontanisme pourrait exposer l'Angleterre, s'il n'était fortement contenu et réprimé; la situation même de l'Irlande fait sentir la nécessité de ne pas souffrir que les prêtres catholiques s'immiscent dans les affaires publiques. Tout gouvernement obtiendra quand il le voudra une soumission absolue du clergé catholique : voyez Napoléon * éloigna les prêtres des affaires publiques; ils furent

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* En lisant les mandements épiscopaux depuis 1802, on voit que dans la bouche des prêtres Napoléon fut tour à tour l'homme de Dieu et l'homme du diable, l'envoyé de la Providence et l'échappé de l'enfer ; Napoléon était légitime ou usurpateur, et ses exploits étaient des vertus ou des crimes selon l'ordre des événements; le clergé impérial recommandait aux prières de la France l'homme qui supprimait des trênes, mais qui donnait des évêchés !

soumis, obéirent strictement aux lois, et n'osèrent se permettre aucune prétention à l'autorité temporelle... Voyez Louis XIV, dont les absolutistes et les ultramontains citent le règne et la piété avec tant de complaisance; ce monarque éloigna les ecclésiastiques de ses conseils *, depuis le jour où il prit les rênes de l'État jusqu'à l'époque de sa mort. Louis XIV, si dévoué à la religion catholique, ne pouvait pas oublier que le cardinal de Bouillon avait eu l'insolence de lui écrire : Cardinal, je ne suis plus votre sujet! Mazarin et Fleury conseillèrent aux deux rois qui leur avaient

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* On lit dans saint Simon : « Les dépêches que le cardinal << de Janson envoyait de Rome, où il demeura sept ans, plai<< saient si fort à Louis XIV, qu'à son retour le monarque plein conseil, qu'il regardait comme un vrai malheur de ne pouvoir le faire ministre. Puisqu'il a le bonheur d'étre estimé « si capable par Votre Majesté, dit Torcy, pourquoi ne serait« il pas admis au ministère? le roi lui répondit: Lorsqu'à la « mort du cardinal Mazarin, j'ai pris le timon des affaires, j'ai résolu avec grande connaissance de cause, de ne faire jamais entrer aucun ecclésiastique dans mon conseil, et des «< cardinaux moins que les autres ; je m'en suis bien trouvé, et je ne changerai pas. Il est vrai que celui-ci a une capacité supérieure, et que je n'appréhenderais pas de lui les mêmes « inconvénients que j'aurais à craindre des autres ; mais ce serait « un exemple que je ne veux pas donner. Cela n'empêche pas qu'en me confirmant dans la résolution de suivre la loi que je me suis imposée, je ne sois fáché qu'elle me force à éloigner un si digne sujet. )) - -Certainement Louis XIV était un excellent catholique romain, et un roi infiniment dévot; les ultra-royalistes et les ultramontains ne cessent de dire que ce monarque possédait au plus haut degré le génie et la science de la royauté et du gouvernement: il fallait donc que ce monarque fût bien pénétré, convaincu des inconvénients et des dangers qu'il y avait à admettre des ecclésiastiques dans ses conseils, pour qu'il leur en eût fermé les portes pendant tout son règne.

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confié les rênes du gouvernement, de ne pas admettre des cardinaux, des ecclésiastiques dans leurs conseils! L'archevêque de Sens, Loménie de Brienne, avait donné le même conseil à Louis xvi; on lit dans les Mémoires du marquis de Clermont - Gallerande, publiés à Paris, en 1826: « Le roi (Louis xvi) qui s'était « promis de ne plus avoir de cardinaux en France, « et qui ne s'était décidé à ce parti que d'après un « mémoire rédigé par l'archevêque lui-même, céda à <«< sa demande, sollicita du pape le chapeau, et l'ob<< tint, etc.; » tom. Ier, page 43. - Mazarin et Fleury connaissaient bien l'esprit du clergé, et M. de Brienne aussi, quoique plus tard il se soit contredit lui-même, pour être coiffé du chapeau de cardinal.....

Si plusieurs membres de la chambre des pairs déploient de grands talents dans la discussion du projet de loi sur le sacrilége, plusieurs membres de la chambre des députés, parmi lesquels l'on doit remarquer M. Royer-Collard * se signalent aussi par leur courageuse opposition; et l'autorité de M. Royer-Collard doit

* Le discours de M. Royer-Collard est entre les mains de tout le monde; nous n'en reproduirons pas ici les passages les plus saillants, il faudrait le citer en entier : ce discours restera comme un monument où la vraie piété brille de l'éternel éclat qui lui appartient par son essence, où le fanatisme et l'intolérance sont marqués du sceau de la réprobation religieuse et politique. Quelle distance, grand Dieu, entre M. Royer-Collard et M. Peyronnet! Combien les talents législatifs et la raison politique du simple député sont supérieurs aux divagations saccadées, aux sophismes brillantés, aux périodes violentes et à la présomptueuse ignorance du ministre de la justice, garde des sceaux! M. Peyronnet a démontré, dans cette circonstance, qu'il n'est qu'un avocat, et un médiocre avocat, donnant toujours ses opinions pour des raisons, ses raisons pour des preu ves, et ses décisions pour des autorités.

être ici d'un grand poids, car tout le monde sait à quet point ce député est religieux personne n'ignore en outre combien il a toujours été dévoué à la maison de Bourbon M. Royer - Collard donnait, sous l'empire, des preuves de ce dévouement; il ne craignait pas d'entretenir correspondance avec Louis XVIII, tout en acceptant des fonctions de Napoléon!... Louis xvIII a eu constamment, pendant tout le cours de son exil, depuis 1791 jusqu'en 1814, une agence et une police à Paris; sous le régime impérial, M. Royer - Collard était l'un des principaux agents du roi, et des plus largement rétribués.

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M. le garde des sceaux, Peyronnet, répond coup sur coup, dans l'une et l'autre chambre, aux adversaires du projet de loi; mais sa faconde ministérielle se brise contre leurs argumentations il se montre le champion de l'intolérance, l'homme de l'Église ultramontaine et le familier de la congrégation des jésuites: dans les discours que l'ex- avocat de Bordeaux prononce en sa qualité de garde des sceaux, à la chambre des pairs (séances du 12 février et jours suivants), le ministre se croit profond théologien et profond érudit; il cite Rome, Athènes, l'Égypte, le boeuf Apis, Socrate, le Décalogue, Louis XIV, Montesquieu, Filangierie, Beccaria, etc.; mais toute l'exposition de ses doctrines religieuses et de son verbiage historique atteste sa complète ignorance de la matière qu'il discute; nous disons ignorance, car nous sommes loin de suspecter la bonne foi d'un garde des sceaux, tant nous respectons le haut caractère de cette dignité ministérielle.

M. Peyronnet a prétendu corriger, ou plutôt refaire Montesquieu, génie dont s'honore l'esprit humain! Montesquieu nous a donné une admirable définition de la loi, et c'est avec une extrême justesse que M. le

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