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recès du 25 février 1803. Malgré ce solennel abandon, elle se hâta, en 1813, de mettre à profit les circonstances extraordinaires où se trouvait la Hollande, pour se faire conférer la souveraineté absolue et illimitée : ainsi se réalisa une pensée d'ambition, vieille de plus de deux siècles, pensée héréditaire que Maurice avait hautement avouée et à laquelle peut-être la grande âme de Guillaume le Taciturne n'avait pas fermé tout accès; pensée écrite en traits de sang dans l'histoire, qu'ont maudite Barneveld, sous la hache du bourreau, de Witt, sous la griffe de la populace. L'ambition stadhoudérienne, l'abdication de 1802, l'usurpation monarchique de 1813, tout cela est effacé de l'histoire par M. de Keverberg. Non que nous voulions révoquer en doute les services rendus par le premier des Nassau et ses successeurs, et nous associer aux déclamations de l'abbé Raynal; nous cherchons seulement à ramener les faits à leurs justes proportions. La maison d'Orange, qui n'avait qu'un commandement militaire en Hollande, a voulu se faire dynastie royale; de là cette longue lutte entre les États-Généraux, représentants de la véritable souveraineté nationale, et la maison stadhoudérienne, aspirant au partage de cette souveraineté; lutte à laquelle la conquête française a violemment mis un terme en 1795 et qu'on ne peut nier sans méconnaître les causes des agitations qui remplissent l'histoire des Provinces-Unies. Quoi qu'il en soit, il nous importe peu, à nous Belges, de savoir ce qu'est pour la Hollande la maison d'Orange; ce que nous avons intérêt à savoir, ce que nous savons à l'évidence, c'est que cette maison a prétendu régner sur nous, non en vertu du principe

de l'élection nationale, non en vertu du fait traditionnel de l'hérédité, mais en vertu des traités de 1814 et de 1815.

La première partie de l'ouvrage de M. de Keverberg est donc en certains points un hors-d'œuvre pour nous. La deuxième partie est consacrée au développement du royaume des Pays-Bas, et subdivisée en trois chapitres I. Relations extérieures; II. Administration intérieure; III. Griefs. Il n'entre pas dans notre plan de nous arrêter aux deux premiers chapitres, qui n'ont d'ailleurs qu'un caractère historique; le troisième a un intérêt plus actuel; ici, l'auteur prend corps à corps la révolution de 1830, en lui demandant: De quel droit es-tu? Ce troisième chapitre remplit le deuxième volume, non compris les pièces justificatives, qui forment un troisième et dernier.

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L'auteur commence par se déclarer très embarrassé; il aurait désiré que le prétendu Congrès belge eût donné suite à la résolution qu'il avait prise de rédiger un manifeste; la tâche de M. de Keverberg eût été plus facile il aurait entrepris la réfutation du factum du soi-disant Congrès national. N'ayant pas de manifeste à réfuter, il jette son dévolu sur l'ouvrage de M. Nothomb, et six pages du premier chapitre de l'Essai sur la révolution belge lui fournissent la matière d'un volume in-8° de texte et d'un volume in-8° d'annexes; M. Nothomb a été trop laconique, ou M. de Keverberg bien prolixe.

Ce n'est pas la première fois que l'on reproche au Congrès belge de s'être abstenu de rédiger un manifeste révolutionnaire; nous dirons franchement que

nous félicitons l'assemblée d'avoir laissé sa première résolution sans résultat; de pareils documents disent trop ou ne disent pas assez; les assemblées politiques ne doivent point entreprendre d'écrire l'histoire; à chacun sa tâche. Qu'on rédige un manifeste pour appeler un peuple à l'insurrection, cela se conçoit; mais lorsqu'un peuple s'est soulevé sans qu'il ait été nécessaire de le provoquer par un appel écrit, lorsqu'il a fait acte d'existence en chassant de son territoire une sorte d'armée d'occupation, en renouvelant ses autorités locales, en formant une assemblée nationale, il devient inutile de rédiger un manifeste posthume. Et à qui, en effet, l'adresserez-vous? A ce peuple? Mais a-t-il oublié ce qu'il a fait, ou ne l'a-t-il pas compris? S'il l'a oublié, vous le lui rappellerez en vain; s'il ne l'a pas compris, vous le lui expliquerez en vain. A l'Europe? Mais parlerez-vous plus haut que les faits qui viennent de se succéder avec une si effrayante rapidité? Rien n'avait été épargné pour constituer le royaume des Pays-Bas; on avait largement puisé dans la rançon de la France; il était là debout depuis quinze ans, solide et immobile en apparence; voilà qu'il s'ébranle; la secousse n'est pas venue du dehors; il s'agite sur lui-même et tombe. Il a suffi d'un mois : c'était la péripétie d'un drame intérieur inaperçu jusque-là et qui ne s'est révélé que par le dénouement. A qui persuaderez-vous que cette catastrophe a été un effet sans cause? Il vous faut un mémoire explicatif; vous l'analyserez avec finesse, vous le disséquerez laborieusement, vous épuiserez toutes les ressources de la dialectique, vous prouverez que la révolution de 1830 a eu tort d'éclater; à tout cela que

voulez-vous qu'on réponde? E pur si muove. Le Congrès a bien fait de ne pas se charger de l'office de l'histoire; il a posé des actes, il a rempli sa mission législative et constituante. Et qui donc a songé à demander un manifeste à la France de juillet?

C'est donc à l'histoire de rédiger les manifestes des révolutions accomplies, et il ne faut pas même les demander le lendemain de l'événement. Les matériaux se préparent; à ce titre, et non comme manifeste national, le livre de M. Nothomb a pu fixer l'attention de M. de Keverberg.

« Si les chefs d'accusation de M. Nothomb, dit M. de Keverberg, sont fondés, il n'en faut pas davantage pour passer condamnation et sur l'établissement du royaume des Pays-Bas, et sur l'administration du roi Guillaume. >> Après cet aveu, dont il faut prendre acte, M. de Keverberg résume de la manière suivante les griefs exposés par M. Nothomb :

1° Vice radical de l'origine du royaume des Pays-Bas; 2o Asservissement de la Belgique à la Hollande; 3o Oppression de la religion catholique.

A ces trois catégories de griefs, M. de Keverberg en ajoute un quatrième, qu'il énonce en ces termes :

4° Opiniâtreté du gouvernement à refuser le redressement des griefs.

On peut se demander si l'addition de ce quatrième grief est bien logique : l'existence des griefs ne supposait-elle point par elle-même le non-redressement, et est-il nécessaire de faire de cette circonstance une qua- trième catégorie distincte des autres avec lesquelles elle doit se confondre?

IDÉE DOMINANTE DE L'ADJONCTION DE LA BELGIQUE

A LA HOLLANDE.

M. Nothomb est parti d'un fait qui, depuis 1814, a dominé les hommes et les choses; ce fait, c'est l'union de quatre millions de Belges à deux millions de Hollandais.

Ce fait posé, M. Nothomb s'est demandé où devait se fixer la suprématie nationale?

Fixée dans le Midi, on assignait à la Hollande une position subalterne.

Fixée dans le Nord, on assignait à la Belgique une position subalterne.

Les antécédents historiques de la Hollande et de la maison d'Orange durent faire prévaloir ce dernier parti.

D'où il résulte que la suprématie politique a été du côté du petit nombre, et la subalternité politique du côté du grand nombre.

D'où il résulte encore que tous les griefs des Belges ne sont que des faits secondaires, dérivés d'un fait principal, longtemps inaperçu du public européen, que l'on n'entretenait que des conséquences.

Avant M. de Keverberg, M. Ch. Froment avait essayé, dans ses Études sur la révolution belge, de réfuter cette partie de l'ouvrage de M. Nothomb; et tout en attaquant son adversaire avec moins de mesure, il avait mieux saisi sa pensée.

« Restait, dit-il, une victoire morale à remporter sur les opinions européennes. On avait obtenu dès le principe, et pour des raisons faciles à comprendre, les sourires de l'Angleterre et les acclamations de la France. Il s'agissait de prouver aux plus hostiles que

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