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Luxembourg et un pour celles de Namur et de Tournésis. Ces cinq députés, qui devaient être agréés par le prince, étaient censés représenter toutes les provinces, et leur présence au conseil devait rendre inutile la convocation des États-Généraux.

Par un édit du même jour, il abolit les cours et conseils de justice et toutes les juridictions seigneuriales et ecclésiastiques; il établit à Bruxelles un conseil souverain chargé de la révision des affaires et de la surveillance suprême, et une cour d'appel pour toutes les provinces, excepté celle de Luxembourg, qui conservait une cour spéciale d'appel.

Par un édit du 12 mars 1787, il divisa les provinces en neuf cercles, sur le plan de l'Autriche, et établit dans chaque cercle un intendant et des commissaires, en supprimant toutes les charges de baillis, de chefs maieurs, d'échevins.

Par un édit du 17 mars 1787, il réforma les métiers et les corporations bourgeoises, en s'attribuant l'élection des chefs et en diminuant l'influence politique de ces corps qui formaient en grande partie le tiers-état.

Ces actes, et beaucoup d'autres que nous passerons sous silence, démontrent que Joseph II s'arrogeait le pouvoir constituant, pour détruire les lois fondamentales du pays; il voulait une réforme politique, non au profit et par l'intervention du peuple, mais au profit du système monarchique; il avait juré de maintenir les chartes et les coutumes, et il viola ses serments; il méconnut les conditions sous lesquelles on l'avait accepté comme duc ou comme comte, et se conduisit en roi absolu.

Quelque vicieuse que pût être la constitution, Joseph 11,

d'après les expressions de Guillaume le Taciturne, ne pouvait par ordonnance altérer l'état du pays. En Angleterre, il n'existe pas de législation écrite et uniforme; l'administration de la justice, à part le jury, est défectueuse; des droits féodaux subsistent: est-ce à dire que le roi d'Angleterre puisse, par une simple ordonnance, promulguer des codes, réorganiser l'ordre judiciaire, abroger les dîmes? Aurait-il pu, par une simple ordonnance, décréter la réforme parlementaire?

Les remontrances des États provinciaux et des conseils souverains ne parvinrent pas à arrêter Joseph II. Le 29 janvier 1787, les États de Brabant lui adressèrent de pressantes représentations, en réclamant le maintien de la Joyeuse-Entrée comme loi fondamentale de l'état brabançon; ils convenaient que cette charte avait quelquefois subi des changements, par exemple lors de l'inauguration de Philippe le Bel et de Philippe II, mais c'était du consentement des États. Nous transcrivons la fin de cette adresse pour prouver que les Belges n'étaient pas ennemis de toutes les réformes, mais qu'ils voulaient qu'elles se fissent légalement. « Si donc, disaient les Etats de Brabant, il est de la haute et souveraine détermination de Sa Majesté d'introduire dans l'administration civile et politique du Brabant quelques changements compatibles avec la Joyeuse-Entrée, promise solennellement, jurée publiquement, les remontrants, pour satisfaire à la religion du serment qu'ils ont prêté sur l'observation de cette loi fondamentale, osent supplier vos Altesses royales (le gouverneur et la gouvernante) de daigner obtenir de la bonté de l'Empereur que ces changements ne se fassent point sans le consentement formel des trois ordres de la province, afin que, selon

les règles du droit naturel, la partie intéressée soit ouïe. » Dans toutes les provinces, les États adressèrent à leur duc ou comte des remontrances aussi respectueuses, en manifestant la volonté de se prêter à toutes les réformes légales.

Pour sortir sans retour de l'ordre constitutionnel, il restait une dernière prérogative populaire à violer : le vote des subsides. Cette prérogative avait été respectée par le prince le moins habitué à maîtriser ses passions, par Charles le Téméraire, à qui les États de ses provinces belges refusèrent des subsides pour subvenir à ses aventureuses expéditions. Les États du Brabant et du Hainaut refusèrent les subsides à Joseph II; Joseph II cassa les États : par un édit du 7 janvier 1789, « il interdit au gouvernement général des Pays-Bas de convoquer en assemblée générale, tant les États du Hainaut que ceux du Brabant, et de faire la moindre tentative ultérieure pour obtenir leur consentement refusé...; comme la nation du Brabant et celle du Hainaut, par le refus des États, ont rompu tous les liens par lesquels l'Empereur a été tenu vis à vis d'elles, Sa Majesté se tient déchargée de toute obligation dérivant du pacte inaugural. »

Nous ne suivrons point la révolution brabançonne dans ses erreurs, ses turpitudes, ses crimes 1; notre but a été seulement de la montrer dans son origine, d'en

1 Des hommes honorables, qui ont pris part aux événements de 1788, ont trouvé ces expressions trop fortes; l'auteur, qui le premier a essayé de réhabiliter la révolution de 1788, les aurait adoucies s'il ne s'était imposé la loi de ne rien changer au texte de son ouvrage. Il reconnaît que cette révolution n'a qu'un crime à se reprocher; il persiste à la regarder comme juste et légale dans son origine, comme absurde dans ses développements; il déplore cette absence d'idées politiques qui l'a perdue et qui eût pu perdre la révolution de 1830. Voyez la préface de la seconde édition, p. 36 et 37. (Note de la 3e édition.)

faire ressortir le caractère primitif et l'incontestable légalité. Si elle a dévié de son point de départ, c'est que l'unité nationale ne s'était pas encore dégagée de tous les intérêts de caste et de localité; c'est que ce tiersparti, qui n'est ni la théocratie, ni l'aristocratie, ni la démocratie, n'était pas encore en majorité; c'est que la sociabilité belge avait encore de grands progrès à faire. Nous avons fait comparaître devant nous trois révolutions.

A travers deux siècles et demi, elles se sont donné la main.

Nous avons lu sur le drapeau de chacune d'elles : Haine à la domination étrangère, respect aux institutions nationales.

Au dessus de ces trois grands événements, nous avons vu planer un grand homme qui a enseigné aux Belges l'insurrection légale.

Ces trois révolutions ont eu des destinées différentes. La révolution du xvre siècle a restitué à la Belgique ses libertés intérieures, sans lui donner l'indépendance.

La révolution de 1788, succombant sous ses propres excès, a jeté la Belgique, exténuée, aux pieds de la France républicaine.

La révolution de 1830 a donné à la Belgique l'indépendance et une dynastie nationale, en perfectionnant le gouvernement représentatif.

vais exposer

C'est de cette troisième révolution que je vais la marche politique; nous verrons quels sont les écueils qu'elle a évités, quelles sont les nécessités qu'elle a subies, par quel concours de circonstances et par quelle réunion d'efforts elle est parvenue à se faire sanctionner par l'Europe.

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La révolution française n'a eu à combattre que dans les rues de Paris et, la victoire de la capitale une fois connue, le drapeau tricolore a fait sans obstacle le tour de la France. Le champ de bataille de la révolution belge ne s'est pas renfermé dans une seule ville; tout n'était pas accompli après les Journées de Bruxelles, non moins glorieuses et aussi meurtrières que celles de Paris; il ne s'agissait pas de réduire une dynastie à la fuite la dynastie était absente; mais c'était le sol qu'il fallait délivrer. Sur tous les points du territoire, il a fallu combattre et vaincre les populations se sont levées en masse; l'armée des Pays-Bas, composée de Belges et de Hollandais, s'est trouvée désorganisée par la retraite ou l'inaction des premiers; et, en moins d'un mois, toutes les places des provinces méridionales sont tombées en notre pouvoir, à l'exception de Luxembourg, de Maestricht et de la citadelle d'Anvers.

:

Que les détracteurs de la révolution, que ceux qui l'attribuent à une poignée d'ambitieux ou de fanatiques se rappellent cet élan de tout un peuple se levant spontanément, dans un même but, de sorte que la ville qui proclamait sa victoire était surprise d'apprendre la

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