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Questions et Solutions pratiques

de Droit international privé.

Hypothèque constituée sur un navire auglais en Angleterre. Effets dans un pays où l'hypothèque maritime n'est pas re- Droit de préférence. -Loi du pavillon.

41.

connue.

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La constitution, en Angleterre, d'un mort-gage, conformé ment à la loi anglaise au profit d'un sujet anglais sur un navire anglais, appartenant à un propriétaire anglais, assure-t-elle au bénéficiaire de ce droit un droit de suite sur le navire et de préférence contre les autres créanciers, pour le cas où le navire serait vendu sur saisie dans un pays où les meubles ne sont pas susceptibles d'hypothèque (in specie, en Belgique)?

Nous estimons que le mort-gage, constitué dans les conditions susmentionnées, doit produire effet en Belgique et qu'il doit en être tenu compte dans la distribution du prix du navire Sophie Jobson, qui se fait dans ce pays.

C'est une opinion que nous avons déjà soutenue avec quelquesuns de nos plus éminents collaborateurs, qu'en matière de droit maritime international, la règle de droit qu'il convenait d'adopter pour résoudre les conflits de lois était la loi du pavillon.

Cette solution diamétralement opposée aux tendances d'exclusivisme national, dont la jurisprudence de la première moitié de ce siècle porte tant de traces, n'avait pas encore été acceptée par nos cours jusqu'en ces derniers temps. Cependant, comme nous le verrons, des signes d'un ralliement prochain sont déjà visibles.

Mais ce qui recommande cette règle aux suffrages des jurisconsultes plus encore que l'approbation des cours de justice, c'est son harmonie complète avec la nature même des rapports qu'il s'agit de concilier et les besoins les plus évidents du commerce. C'est enfin, ce qui ne saurait être indifférent en une matière qui n'est pas stricti juris, son équité.

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Par la prédominance de la loi du pavillon, nous entendons que toutes les questions concernant la nationalité, la transmission ou le démembrement de la propriété, les droits de gage, les privilèges concédés aux créanciers du navire, doivent être réglés par la loi de la nation dont le pavillon flotte à son mât, c'est-à-dire en écartant le symbole, par la loi du pays où le navire a son siège légal.

Quelle que soit la tendance plus ou moins consciente des lois commerciales et maritimes modernes à adopter des dispositions analogues, le droit maritime des principales nations commerçantes contient encore des divergences assez nombreuses pour devenir la source de fréquents conflits. Si au lieu d'en chercher la solution dans l'application de principes conformes à la nature des choses et aux intérêts supérieurs du commerce, les tribunaux devant lesquels ces conflits sont portés prétendent appliquer exclusivement leur loi nationale, sans tenir compte de la loi étrangère sous l'empire de laquelle les faits juridiques se sont accomplis, ils auront peut-être dans cette voie rencontré la simplicité, mais non la justice. Qui pourra les défendre du reproche d'avoir usé jusqu'à l'excès de l'avantage de la situation accidentelle du navire pour favoriser leurs nationaux? Comment l'action diplomatique s'opposera-t-elle efficacement aux mesures de représailles prises dans les pays étrangers? Ce ne serait plus désormais le règne du droit, mais un état de fait où il n'y aurait place que pour l'arbitraire et la partialité.

Or, comme un état aussi primitif est incompatible avec le développement extraordinaire des relations commerciales, l'intérêt bien entendu de chaque nation conseille de tenter de dénouer le nœud de la situation à l'aide des règles juridiques plutôt que de le trancher par la force.

Le premier point à rechercher dans un état de droit, c'est la stabilité. L'incertitude et le perpétuel changement sont ce qui répugne le plus à une conception juridique. Or, les navires sont des objets (expression bien modeste si l'on songe que la loi leur donne une nationalité) soumis par leur nature à des déplacements perpétuels; leur vie se passe le plus souvent hors des eaux natales, en pleine mer, ou dans les ports étrangers, Leur condition juridique serat-elle aussi variable que la rose des vents; la preuve de leur nationalité, les droits qui les affectent vont-ils dépendre de la côte où ils abordent, changeront-ils dans l'année autant de fois qu'ils feront escale dans un port de nationalité différente ?

Il n'est pas un esprit sérieux qui ne confesse qu'un tel état, s'il pouvait se rencontrer, serait a négation même de toute existence juridique.

On voit à quelles conséquences regrettables s'est laissée entraîner la jurisprudence chaque fois qu'elle a méconnu la loi du pavillon. Il convient donc de reconnaître que, pour les navires comme pour tout être auquel le législateur accorde une nationalité, la loi qui les régit devra être une et invariable, et que cette loi ne sera autre que celle de leur nationalité.

Si l'on consulte les nécessités pratiques auxquelles la jurisprudence, dans le silence du législateur, doit satisfaire, l'adoption de la loi du pavillon n'est pas moins impérieusement réclamée.

Les navires et particulièrement les steamers modernes sont des entreprises colossales dans lesquelles des capitaux énormes sont engagés (le navire de la ligne anglaise de Londres à Sidney, l'Orient, qui a été lancé en 1879, a coûté 4 millions). Pour favoriser ces magnifiques entreprises, la plupart des législations ont organisé un ensemble de mesures protrectrices en faveur de ceux qui y consacrent leurs capitaux.

Ces derniers, confiants dans les garanties qui leur sont assurées par la loi de leur pays qui est en même temps celles de leurs cocontractants, celle du navire en vue duquel l'opération est faite, donnent leur argent. Toutes les parties ont bien prévu, au moment de leur accord, que le navire gagé voyagerait, parcourrait les ports étrangers; un navire est fait pour naviguer; mais aucune n'a pu soupçonner que le fait même pour le navire de se livrer à sa carrière naturelle pourrait modifier, anéantir même les droits de ceux dont les deniers ont servi à le construire. Cette éventualité, au premier abord impossible, se produira cependant si l'on ne tient pas compte de la loi du pavillon.

A quel excès d'injustice, à quel résultat pitoyable pour les besoins de la marine ne va-t-on pas arriver? Le Sophie Jobson, ou tout autre, a été construit sur les bords de la Tamise des deniers de Jobson; Jobson, constructeur ou armateur, le vend à une personne quelconque. L'acheteur n'a pas l'argent comptant. Où en serait le commerce si de pareilles transactions ne se faisaient qu'écus sur table! Mais Jobson retient par devers lui en gage une partie du navire; sa créance est garantie; la loi de toutes les parties, du lieu du contrat, de la situation légale du navire a disposé spécialement pour ce cas. Le navire peut partir, il part. En route, il contracte des dettes, il est saisi et vendu; mais voici que parce qu'un malheur de mer ou la nécessité des transactions commerciales ont amené ce navire anglais dans un port belge (ou français avant 1874), les constructeurs, les armateurs anglais, c'est-à-dire les créateurs du navire, perdront de leur gage une valeur équivalente à l'écart qui peut exister entre la législation du port d'attache et celle du port de relâche! C'est à la lettre donner pour base au droit la fortune de mer !

Si de telles règles pouvaient prévaloir dans les conseils des magistrats, gardiens et protecteurs des intérêts de tous, ce serait l'anéantissement de la marine marchande. Qui donc, en Angleterre ou

en France, engagerait des capitaux dans la construction et l'armement des navires, à la pensée que le fait seul pour leur gage de mouiller dans les eaux d'Anvers peut détruire les garanties prises en conformité des lois anglaises ou françaises.

Et en matière de transmission de propriété ! Voici un navire anglais vendu régulièrement à Londres, en conformité de la loi anglaise, sous l'accomplissement des formes voulues par cette loi; il touche un port français ou belge; des créanciers français ou belges d'un propriétaire précédent dudit navire prétendent le saisir et s'en approprier le prix. A la résistance du propriétaire actuel, ils répondent que celui-ci, dans l'acte d'acquisition du navire, ne s'est pas conformé à la loi française ou belge. Pourquoi et comment s'y seraitil conformé ? Il était anglais; il traitait en Angteterre d'un navire anglais. Savait-il dans quel pays irait ultérieurement son navire et, comme il pouvait aller dans tous les pays du monde, fallait-il qu'il se conformât à la fois à toutes les législations connues?

Quel danger, ici encore, de s'écarter du seul principe pratique en matière de conflit de lois maritimes, la loi du pavillon! Qui ne voit qu'en le repoussant, c'est au commerce maritime, au commerce national que l'on porte un coup funeste? On s'expliquera difficilement plus tard que la jurisprudence ait sanctionné de telles doctrines ; aussi avons-nous hâte de constater qu'elle les déserte à l'heure actuelle pour s'en tenir à la loi du pavillon.

Dans une affaire récente, la cour de Caen, sur renvoi de la cour de cassation, a décidé (7 février 1878, Journal, 1878, Vo Locus regit actum, p. 337) que l'acte de nantissement sous forme de vente passé en Angleterre dans la forme de la loi du pavillon, était valable à l'égal d'un navire anglais, même mouillé dans les eaux françaises.

Mais quelles objections rencontre donc l'application de la loi du pavillon! A quels textes du droit maritime se, heurte-t-elle ? Par quelles prescriptious positives le juge se trouve-t-il obligé à l'écarter?

Ceci ne sera pas le moins surprenant dans l'historique de cette théorie de droit qui commence à conquérir le présent et à laquelle l'avenir appartient, c'est qu'aucun texte du droit maritime proprement dit, non seulement ne lui est opposé, mais n'a même été édicté en prévision des conflits de loi. Ce que l'on trouve, au contraire, pour peu que l'on recherche la portée du droit maritime écrit, c'est que la théorie en question est conforme à l'esprit de ce droit et à la nature des rapports qu'il gouverne.

Les raisons de droit invoquées par ceux que la vérité juridique en cette matière n'a pas encore touchés ne sont nullement emprun

tées au droit maritime national ou international, ni même à une partie du droit destinée à régir les relations commerciales.

En un sujet que l'on ne devrait envisager qu'avec les plus larges principes du droit, de la coutume et des usages commerciaux, on argumente des règles les plus strictes du droit civil et de la procédure civile.

Lorsqu'il s'agit de droit de préférence consenti sur un navire, comme dans l'espèce actuelle, l'argumentation est la suivante:

1. La loi belge (ou française) proclame que les navires sont des meubles;

2. Les meubles étant régis individuellement par la loi de leur situation actuelle, c'est la loi belge qu'il convient d'appliquer dans la distribution du prix d'un navire saisi et vendu en Belgique; 3. Or, le droit belge décide que les meubles ne sont pas susceptibles d'hypothèque ;

4. D'où la conséquence que le mort-gage anglais, qui n'est qu'une hypothèque, bien que régulièrement en Angleterre entre Anglais, sur un navire anglais, est sans effet en Belgique.

Nous résumons comme suit notre réponse :

La loi belge (ou française), tout en déclarant que les navires sont des meubles, ne marque-t-elle pas que c'est là plutôt une étiquette superficielle qu'une classification véritablement scientifique, lors. qu'elle en soumet les ventes, adjudications, saisies, revendication, à des formes qui se rapprochent de celles réservées aux immeubles. Ne sont-ce pas des meubles d'une singulière nature que ceux qui, dans un pays comme la France, où le droit de suite sur les meubles est inconna, sont néanmoins susceptibles d'hypothèque (loi du 10 décembre 1874); que des meubles qui ont une nationalité, comme des personnes, qui ont un siège légal, comme un être moral!

Nous en pouvons tirer cette conséquence, c'est qu'il y a là un objet dont la nature ne rentre exactement dans aucune des deux grandes catégories des choses juridiques, meubles ou immeubles, et que cet objet participe plutôt de la nature des deux.

Dès lors, si cet objet vient à être exécuté. à l'étranger, qu'est-ce qui s'opposera à ce que les contrats formés sous l'empire de la loi nationale et auxquels il servait de garantie, soient respectés?

Est-ce la règle du droit international, généralement suivie, que les meubles sont soumis à la loi de leur situation actuelle? Mais qui ne sait que l'usage ne l'a consacrée que pour les meubles ordinaires sans individualité, ni signe distinctif, auxquels les tiers, qui ont fait confiance à leur propriétaire, ne pouvaient reconnaître aucune origine spéciale.

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