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SUISSE

BULLETIN DE LA JURISPRUDENCE SUISSE (1)

Par M. E. Roguin, Avocat du barreau vaudois, secrétaire de la légation de Suisse en France.

Revue du mouvement législatif. Publication récente.

Concours de la Société Suisse des Juristes,

L'élaboration de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite a fait du progrès pendant l'année 1881. La commission qui en est chargée a adopté une combinaison du système de la saisie pour les dettes inférieures à la somme de cent francs, avec celui de la faillite forcée pour les créances d'un montant supérieur, et cela en supprimant la distinction du droit français entre commerçants et non-commerçants. C'est une conciliation, d'ailleurs assez imparfaite, des deux théories qui se divisent actuellement la Suisse.

La faillite est, en outre, rendue moins prompte à obtenir lorsque la créance du réclamant, dépassant la somme de cent francs, est garantie par un droit de gage mobilier ou immobilier. La discuscussion de ce projet de loi pourra avoir lieu maintenant qu'a abouti celui de loi fédérale sur les obligations et le droit commercial.

Le Code des obligations, du 14 juin 1881, sorti de ce dernier projet, a été adopté à une grande majorité par les deux fractions de l'Assemblée fédérale. Il a traversé heureusement l'épreuve du referendum, et entrera en vigueur le 1er janvier 1883.

Il en est de même de la Loi fédérale sur la capacité civile du 22 juin 1881. Mais cette dernière a pris force déjà le 1er janvier 1882. M. Henri Carrard, professeur de droit à l'Académie de Lausanne, a publié une substantielle brochure, commentaire de cette loi, sous le titre d'Explication de la loi fédérale du 22 juin 1881 sur la capacité civile, Lausanne, Corbaz, 1881. Il est à désirer que des travaux semblables et proportionnés à l'importance de cet objet s'attachent à l'interprétation du Code fédéral des obligations, dont l'entrée en vigueur révolutionnnera, dans six mois d'ici, la pratique judiciaire de la plupart des cantons suisses.

(1) Voir les précédents bulletins, Journal 1875, p. 451; 1876, p. 504; 1878, p. 60; 1879, p. 88; et 1880, p. 397.

Ceux-ci se préparent généralement à cette redoutable épreuve, en élaborant des lois destinées à raccorder leurs anciennes législations avec la future.

La Société Suisse des Juristes, dont le rôle est grand en Suisse, a, par l'organe de son comité, décidé de mettre une seconde fois au concours, pour 1882, la question suivante, traitée, paraît-il, d'une ma nière insuffisante cette année: « Exposé critique de la jurisprudence « en inatière d'interdiction de la double imposition et propositions en « vue du règlement de cette question par une loi, conformément à « l'article 46 de la Constitution fédérale. » Deux prix de 450 et de 250 francs sont proposés. La matière est importante. L'on sait que le conflit des lois fiscales des différents Etats cantonaux amène de fréquentes applications de la garantie constitutionnelle.

ASILE (droit d'). – Réfugiés politiques, Expulsion,
Conseil fédéral, 23 août 1881. Prince Pierre Kropotkine. Feuille fédérale,

27 août 1881.
Voici le texte intégral de l'arrêté du gouvernement fédéral :

« Le Conseil fédéral Suisse, - vu l'article 70 de la Constitution fédérale portant : « La Confédération a le droit de renvoyer de son ter« ritoire les étrangers qui compromettraient la sûreté intérieure ou « extérieure de la aisse, » Considérant que le prince Pierre Kropotkine est venu en Suisse comme réfugié politique, d'abord sous le faux nom de Levaschoff, après s'être enfui de Russie; Que le gouvernement de Genève l'a simplement toléré sur son territoire et a même rendu contre lui un arrêté d'expulsion pour défaut de papiers de légitimation et pour avoir fait usage d'un faux nom ; Que Kropotkine a été incontestablement, depuis 1879, le principal rédacteur et soutien du « Révolté », organe anarchiste, successeur du journal l'Avant-Garde, contre lequel des mesures ont dû être prises en dé. cembre 1878, et dont le rédacteur Brousse a été condamné par les Assises fédérales pour délit contre le droit des gens et ensuite espulsé de la Suisse; Que, sous le nom de Levaschoff, puis aussi sous son vrai nom, K... a fait à la Chaux-de-Fonds, à Lausanne, à Vevey et à Genève, des discours en public excitant les ouvriers à s'emparer violemment de la propriété et à bouleverser par la force l'ordre établi, discours qu'il a ensuite publiés dans son journal Le Révolté (nos des 18 octobre, 1er novembre et 27 décembre 1879, et du 17 octobre 1880); Que, le 18 mars 1881, à l'occasion de l'anniversaire de la Commune de Paris, il a tenu, dans une réunion publique à la brasserie Schiess à Genève, un discours glorifiant l'assassinat du czar

Alexandre II; Qu'il a été l'instigateur principal d'une proclamation affichée à Genève le 21 avril, et protestant contre l'exécution des assassins du czar, et que ces derniers faits ont été établis avec évidence dans l'enquête judiciaire ordonnée par le Conseil fédéral, malgré que K... ait refusé de répondre aux questions qui lui étaient adressées par le procureur fédéral du canton de Genève ; Que, au mois de juillet de cette année, il a pris part, comme délégué du Révolté, à un congrès anarchiste-révolutionnaire à Londres, et qu'il y a, d'après son propre journal, tenu des discours et contribué à prendre des résolu tions dont le but avoué est d'organiser l'assassinat et de renverser tous les pouvoirs établis, en se servant pour cela « des moyens chimi« ques et physiques qui ont déjà rendu tant de services à la cause ré« volutionnaire, et qui sont appelés à en rendre de plus grands en« core, comme moyens de défense et d'attaque! » (Révolté, du 23 juillet 1881); Que, bien que ces derniers faits se soient produits sur territoire étranger, ils ne proviennent pas moins d'un réfugié politique ayant conservé domicile à Genève, où l'on peut admettre qu'il se propose de revenir, et où il continue à faire paraitre un jour. nal reproduisant ses théories; Que tous les renseignements sont d'ailleurs d'accord pour le représenter comme un agent actif et influent de la propagande qui a l'anarchie pour but et l'assassinat pour moyen (voir la note ci-après); Que l'autorité fédérale ne saurait tolérer de pareils agissements qui, s'ils n'ont pu réussir à troubler la tranquillité intérieure, sont de nature, s'il n'y était mis fin, à compromettre nos bonnes relations avec d'autres Etats; Arrête : 1° Le séjour sur territoire suisse est interdit au prince Pierre Kropotkine, prenant aussi le nom de Levaschoff ; 2° Le présent arrêté sera communiqué au Conseil d'Etat du canton de Genève et aux gouvernements des autres Etats confédérés, avec invitation de mettre cet arrêté à exécution, dans le cas où K... se trouverait sur le territoire de l'un des cantons. Berne, le 23 août 1881. · Au nom du Conseil fédéral suisse, le Président de la Confédération, (signé) Droz, Le Chancelier de la Confédération, (sigae) Schiess.

Note. – On lit entre autres dans le Révolté du 25 décembre 1880, dans un article de fond intitulé l'Action : « Notre action doit être la

révolte permanente, par la parole, par écrit, par le poignard, lo fusil, « la dynamite, voire même des fois par le bulletin de vote, lorsqu'il « s'agit de voter pour Blanqui ou Trinquet ineligibles. Nous somme « conséquents et nous nous servons de toute arme dès qu'il s'agit de

frapper en révoltés. Tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité. V. notre article Journal 1881, p. 285.

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ASSURANCES. Résiliation du contrat du fait de l'Etat.

Exercice des Sociétés étrangères en Suisse. Tribunal fédéral, 9 janvier 1880. Cie l'Union et consorts c, l'Etat de Neu.

chatel. Recueil officiel, 1880, P, 92. N'est pas inconstitutionnelle et ne lèse pas les droits acquis des Sociétés d'assurances étrangères la loi neuchâteloise du 21 novembre 1878, aux termes de laquelle, l'autorisation accordée par l'Etat à une compagnie étrangère étant toujours révocable, l'assuré a le droit, dans le cas où elle serait retirée, de dénoncer son contrat.

NOTE. Le grand conseil neuchâtelois prit acte, après la promulga. tion de la loi, d'un rapport du Conseil d'Etat de ce canton selon lequel « en cas de résiliation de contrat », aux termes de la loi précitée, « les « conditions de cette résiliation seront réglées par le juge neuchâtelois « si les parties ne peuvent s'entendre à l'amiable. » Les compagnies françaises l'Union, la compagnie d'Assurances générales et la Nationale recoururent contre les actes législatifs neuchâtelois en prétendant que l'Etat ne pourrait, sans atteindre le principe constitutionnel de l'inviolabilité de la propriété, rompre les contrats passés antérieurement au retrait de l'autorisation. Le tribunal repousse ce pourvoi par le motif que la loi neuchâteloise réservait expressément aux tribunaux le droit de décider comment se ferait la résiliation et par celui que les compagnies pouvaient, en déclarant ne pas se soumettre à la loi, éviter la résolution unilaterale des conventions' passées antérieurement, quitte à renoncer pour l'avenir à exercer à Neuchâtel. Le premier motif parait assez peu solide, car les tribunaux auxquels on ne pouvait songer à retirer l'appréciation des suites de la loi, sont bien obligés d'admettre le droit de résolution consacré par cette dernière. Or, cette faculté ellemême que reçoit après coup l'assuré est une atteinte aux droits acquis des assureurs. Le second considérant est plus spécieux. Reste à savoir si obliger une compagnie à ne plus continuer à exercer pour pouvoir faire respecter intégralement les conventions dans lesquelles elle est partie n'est pas diminuer une situation que l'on doit considérer comme acquise. En tout cas, l'arrèt n'est pas assez fortement motivé.

COMPÉTENCE. Convention franco-suisse du 15 juin 1869.

Traité d'amitié de commerce et d'établissement du 6 septembre 1855 entre la Suisse et la Grande-Bretagne. Demandeur anglais domicilié en Suisse actionnnant à Genève en matière

perspnnelle, un Français domicilié en France. Tribunal de commerce de Genève, 30 septembre 1880. – Mégevand c. Quinat. –

Semaine judiciaire de Genève, 1881, p. 9. Tribunal fédéral, 26 mars 1881. Recueil officiel, 1881, p. 76. Semaine

judiciaire, 1881, p. 241. Cette affaire, qui a donné lieu aux deux décisions citées et, dans l'intervalle, à un arrêt de la Cour d'appel de Genève du 20 décembre 1880, est des plus intéressantes. Elle est née dans les circonstances suivantes : Mégevand, Anglais établi à Genève, attaque en règlement d'un compte d'opérations de bourse devant le tribunal de commerce de cette ville Quinat, Français, domicilié à Paris au moment de l'action. Ce dernier excipe de l'incompétence des tribunaus genevois dans cette matière toute personnelle, en invoquant l'article 1er de la la Convention franco-suisse du 15 juin 1869 et les dispositions du traité précité entre la France et l'Angleterre. Le Tribunal de commerce, la Cour d'appel, qui se borne à adopter les motifs des premiers juges, et le Tribunal fédéral rejetérent successivement cette exception. Ces décisions paraissent inattaquables.

En premier lieu, le défendeur, faisant remarquer que l'article 1er de la convention franco-suisse interdit au Suisse habitant la Suisse de porter dans ce pays son action personnelle contre un Français domicilié en France, soutenait que le demandeur étranger aux deux pays et se trouvant dans la même condition ne pouvait, ni jouir de plus de droits que le Suisse lui-même, ni, par conséquent, distraire le Français de son for naturei. Le tribunal et la Cour fédérale répondent, avec le demandeur, à cette argumentation que la disposition citée est applicable uniquement aux contestations nées soit « entre Suisses et Français, » soit « entre Français et Suisses. » Le Tribunal fédéral ajoute que cette interprétation, seule compatible avec la lettre de l'article, trouve en outre sa confirmation, soit dans le message du Conseil fédéral du 28 juin 1869, soit dans les décisions de l'Assemblée fédérale en des cas analogues. En effet, le message cité constate que la distinction à l'égard de la nationalité des parties a dû être articulée sur la demande expresse des délégués français, afin de bien indiquer que la disposition n'était point applicable « aux contestations entre Français », et l'Assemblée fédérale, comme le Tribunal fédéral lui-même, a reconnu que l'acte international n'est point invocable par un Français poursuivi en Suisse à l'aide d'un jugement obtenu contre lui en France, c'est-à-dire hors du lieu de son domicile, par un autre Français. (Voir la décision de l'Assemblée fédérale, qui a fait jurisprudence, dans la feuille fédérale, 1874, II, p. 125.) – En outre, ajoute la haute Cour, l'article jer du traité de 1869 n'étend nullement d'une manière expresse l'application de sa disposition aux relations entre étrangers, ce que font d'autres articles du même acte quand les négociateurs l'ont voulu ainsi (articles 6, 7 et 8).

Quant au moyen tiré du traité entre la Suisse et l'Angleterre aux termes duquel les Anglais en Suisse et les Suisses en Angleterre

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