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sont d'une manière générale, assimilés aux nationaux en matièrə d'établissement, d'industrie, d'impôts, etc., la Cour fédérale dit excellemment, dans le même sens que le tribunal, que « le recourant « était mal venu à arguer de ce traité, puisqu'il n'était ressor<< tissant d'aucun des Etats contractants et qu'au surplus cette con<<vention de commerce et d'établissement, entièrement étrangère << aux questions de compétence judiciaire, ne contient aucune << question relative au for. » — D'après le tribunal de commerce, l'argumentation du recourant, détruite par le considérant cité, se résumait ainsi : « Le demandeur est anglais et domicilié en Suisse ; « le traité en question dit que les Anglais domiciliés en Suisse << jouissent des mêmes droits que les ressortissants suisses; si donc << un Suisse ne peut pas assigner en Suisse un Français domicilié << en France, les Anglais, qui ont les mêmes droits que les Suisses, << doivent avoir les mêmes charges et ne peuvent, par conséquent, << pas davantage assigner en Suisse un Français domicilié en << France. >

NOTE. Pour éliminer de la question le traité anglo-suisse, disons que le raisonnement qui précède et que le tribunal de commerce trouve << spécieux », ne se soutient pas devant les deux circonstances rappelées par la Cour fédérale. Celle-ci, tout en ayant également tout à fait raison dans son interprétation de la convention du 15 juin 1869, aurait dû cependant éviter de paraître trouver aussi naturelle la conclusion à laquelle elle arrive. Il est étrange, quoi qu'on dise, que, sur le territoire suisse, un Anglais ou autre étranger puisse commettre, au préjudice d'un Français domicilié en France, une distraction de for interdite au Suisse lui-même! C'est cependant là le résultat de la rédaction profondément vicieuse ou incomplète de l'article 1er du traité. L'on a voulu uniquement, en adoptant la teneur de cette disposition, permettre au Français d'user de l'article 15 du Code civil en traduisant un compatriote fixé en Suisse devant un juge français et de faire exécuter la sentence en Suisse; mais les négociateurs n'ont point aperçu qu'en donnant à la clause une forme trop limitative ils ne laissaient au Français aucun moyen de se défendre contre l'action introduite par un étranger à la Suisse ailleurs qu'au forum rei. L'on peut affirmer que si les dėlėgués des deux pays avaient remarqué cette conséquence ils l'auraient prévenue. Le Tribunal fédéral a le tort de laisser croire que l'effet de la disposition internationale dans l'espèce a été voulu et est justifié par une raison quelconque. Il est, au contraire, involontaire, tout à fait illogique et insoutenable en législation. Quelques mots le donnant à entendre n'auraient pas été déplacés.

D'une manière générale, l'on peut dire que les dispositions de la convention de 1869 qui traitent du for des actions personnelles ordinaires sont beaucoup trop laconiques. Elles conduisent, à cause de cela et du

droit qu'a chaque Etat d'appliquer sa législation intérieure aux cas non clairement prévus, à des résultats assez singuliers. Voici en effet ce qu'une étude approfondie de ces clauses nous a fait conclure à cet égard pour les différentes combinaisons à raison du domicile et de la nationalité des parties. (Voir notre étude intitulée : L'article 59 de la Constitution fédérale, Lausanne, 1880, p. 20 et suiv.)

Le Suisse domicilié en Suisse et le Français domicilié en France ne peuvent, dans les cas ordinaires, être distraits de leur for naturel par un citoyen de l'autre nationalité qui voudrait introduire l'action dans son pays à lui. Le Français a cependant le droit de citer devant les tribunaux de France un autre Français domicilié en Suisse, ce qu'à notre avis pourrait faire également le ressortissant d'un tiers pays avec certitude que libre cours devrait être donné en Suisse à la sentence. Mais le Suisse n'aurait pas cette faculté, et le jugement qu'il aurait obtenu en France contre le Français devrait ne pas être exécuté en Suisse. Il va sans dire, d'ailleurs, que le Suisse ou l'étranger pourrait profiter en Suisse des dispositions de la loi du pays analogues à celles de l'art. 15 du Code civil. La protection du for du domicile est également accordée, dans la règle, aux deux parties, française et suisse, lors même qu'elles seraient domiciliées toutes deux en France ou en Suisse. Si maintenant le demandeur est un étranger aux deux pays et le défendeur un Français ou un Suisse, le traité n'est pas applicable et l'action peut étre portée ailleurs qu'au domicile de l'intimé, pourvu que la loi du tribunal saisi l'autorise. L'espèce examinée plus haut rentre dans cette supposition. Cette hypothèse admise, le jugement pourrait se heurter à un refus d'exécution dans l'autre pays, celui du domicile du défendeur, mais il devrait être suivi d'effet dans un seul cas, celui où le défendeur appartiendrait à la nationalité du pays du jugement. Par exemple, la condamnation prononcée à Genève contre Mègevand, Français, pourrait n'être pas tenue en France pour avoir été compétemment rendue, tandis que si le défendeur était suisse, l'exequatur ne saurait être refusé (voir plus haut). Enfin, le traité n'a pas l'effet de déterminer le for compétent entre un étranger défendeur et un Suisse ou un Français demandeur; il se borne, à l'article 2, à exclure, pour le cas où l'étranger réside dans le même pays que son adversaire, l'exception tirée de l'extranéité des parties contestantes de la même manière que cela est prescrit entre deux Suisses ou deux Français. (Voir Journal 1880, p. 399.)

Tout cela est, on le voit, extrêmement compliqué et peu logique. La nationalité des plaideurs joue un beaucoup trop grand rôle. C'est une des parties du traité qui ont le plus besoin d'une revision attentive.

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héritiers en paiement des dettes. Art. 59 de la constitution fédérale. Cour de justice de Genève, 21 mars 1881. Zempl frères c. Louis Desseaux. Semaine judiciaire, 1881, p. 260.

L'action personnelle dirigée par un créancier d'une personne décédée à Naples après avoir été domiciliée à Genève doit être portée devant le tribunal du domicile des héritiers. Si ceux-ci ont leur principal établissement dans un autre canton que celui de Genève, les juges de ce dernier Etat sont incompétents, en vertu de la disposition constitutionnelle. L'article 822 du code civil consacre lui-même a contrario ce principe, en décidant que certaines actions seulement seront portées devant le tribunal du lieu de l'ouverture de la succession. Confirmation du jugement rendu le 13 janvier 1881 par le tribunal de commerce de Genève, Semaine judiciaire 1881, p. 105.

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L'injure, soit la diffamation, commise par écrit n'étant réalisée qu'au moment où le document est lu par l'offensé ou par un tiers, c'est, en cas de conflit entre les tribunaux de deux cantons différents, celui de l'Etat où le délit est ainsi perpétré qui a le droit d'en procurer la répression (1).

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Les circonstances de cette cause, considérable à raison des in têrêts engagés, sont rapportés ainsi qu'il suit par le tribunal luimême :

<< Par convention du 7 août 1872, la compagnie du Gothard a << remis à Louis Favre, aujourd'hui représenté par M. Rossi, ingé<<nieur, mandataire de Mme Hava, unique héritière de Louis « Favre, l'entreprise du grand tunnel du Gothard. Cette convention << contient, relativement au délai dans lequel le grand tunnel doit

(1) Ce principe est de jurisprudence constante devant la cour fédérale.

<< s'exécuter, les clauses suivantes : Art. 7. Le tunnel du Gothard • devra être complètement achevé dans l'espace de huit ans à dater « du jour de l'approbation de la convention par le conseil fédéral < Suisse.

« La Cie du Gothard payera 5,000 francs de prime à L. Favre « pour chaque jour de gagné; par contre, L. Favre subira une retenue « de 5,000 francs pour chaque jour de retard pendant les six pre« miers mois, et de 10,000 francs pour chaque jour de retard durant ◄ les seconds six mois. Au bout de l'année, M. L. Favre sera dé« possédé et son cautionnement deviendra la propriété de la Cie « du Gothard. »

« La convention additionnelle des 21-23 septembre 1875 statua, « au chiffre V, que le premier alinéa de l'article 7 précité est remplacé par les dispositions suivantes : Le tunnel du Gothard de« vra être complètement achevé dans le délai de huit ans à dater a du 1er octobre 1872.

« Lorsqu'il dut être admis que les travaux des lignes d'accès ne pouvaient être achevés que dans le courant de 1882, l'entreprise << Favre, supposant que, dans ces circonstances, la question du dé« lai d'achèvement du grand tunnel avait perdu tout intérêt pour << la compagnie, s'adressa à celle-ci par lettre du 27 avril 1880, en < demandant que le terme d'achèvement pour ledit tunnel fût I porté au 31 juillet 1881. Dans cette même lettre, l'entreprise < ajoute qu'une prorogation de délai lui est due, attendu que les <causes du retard ne lui sont pas imputables.

«

<< Par office des 24 mai et 2 juin 1880, la direction du Gothard déclare ne vouloir pas entrer en matière sur ladite demande ; « elle conteste que le terme d'achèvement ait perdu son importance et que l'entreprise ait des titres quelconques à la prolongation de « délai sollicitée. Le dit office se termine toutefois comme suit: << Tout en déclarant que nous ne sommes pas disposés à entrer en << matière sur votre proposition, nous n'entendons pas dire que nous <ayons, en toutes circonstances, l'intention d'insister sur les moyens <et les droits à une indemnité que nous assurent nos conventions dans « le cas où le grand tunnel ne serait pas achevé à l'époque pres«< crite; cela dépendra essentiellement de la manière que procé<dera l'entreprise elle même ; mais aujourd'hui nous ne saurions « renoncer à aucun des droits que nous assurent nos conventions.

« C'est à la suite de cette réponse que l'entreprise du grand tun<< nel a ouvert une action à la compagnie du Gothard devant le Tri« bunal fédéral, sous date du 12 août 1880, tendant à ce qu'il soit < prononcé par jugement avec dépens:

<< 1. Que la compagnie doit lui tenir compte du temps qui a été « perdu dans la construction du grand tunnel par suite des ordres « donnés par elle et des circonstances mentionnées dans la << demande ;

<< 2. Que le temps dont il doit lui être tenu compte conformément << à la conclusion n° 1 est de 780 jours, ce chiffre étant toutefois sou«mis à la modération du tribunal. >

L'entreprise alléguait principalement à l'appui de ses conclusions que pour décider de quelle manière plus ou moins active elle devait conduire ses travaux il était indispensable qu'elle connût l'époque où elle devait avoir terminé le tunnel; qu'il était urgent que les experts appelés à formuler leur opinion devant le tribunal visitassent le souterrain avant la terminaison des travaux ; et que, si la question du délai n'était pas tranchée avant le règlement de compte définitif, ce différend apporterait dans cette dernière opération une complication extrêmement fâcheuse. La compagnie du Gothard conclut par voie d'exception au rejet d'une demande qui, suivant elle, ne visait pas une prestation et constituait une action préjudiciable d'une portée absolument indéterminée, et par suite, sans intérêt réel. Elle faisait observer, d'ailleurs, en réponse au deuxième argument de la partie adverse que, s'il s'agissait surtout d'une vérification par experts, celle-ci pouvait fort bien être sollicitée d'une manière plus simple, d'après la procédure fédérale elle-même.

Pour parer à l'objection capitale de la défenderesse, l'entreprise ajouta en réplique le passage suivant à ses conclusions : « En con«séquence, le règlement des indemnités prévues à l'article 7 du << contrat du 7 août 1872 doit s'opérer entre parties en regard du jcur qui sera fixé par le jugement du tribunal comme délai d'a«chèvement des travaux. >

Le Tribunal fédéral admit l'exception dilatoire de la compagnie par le motif principal que, d'après les principes généraux du droit, applicables à l'espèce à défaut de dispositions expresses dans les législations lucernoise et fédérale, la recevabilité d'une action préjudicielle dépendait de l'intérêt juridique du demandeur à obtenir une décision immédiate du point en litige, intérêt qui n'existait pas dans l'espèce. La Cour se rangea également au système de la compagnie, en rappelant que la demande d'une expertise aurait dù être formée d'une autre manière, et, quant à la conclusion ajoutée en réplique déclara n'avoir pas le droit de décider, avant le moment où un débat approfondi pourraii avoir lieu sur l'ensemble de là liquidation entre parties, d'après quel principe celle-ci devrait

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