Page images
PDF
EPUB

sible de la manière prévue par la police. En effet, les conditions de l'assurance donnent à l'assuré le droit de payer la prime au bureau de l'agent général qui a signé la police. Or, il n'existe plus d'agent de ce genre, ou du moins il n'est plus reconnu comme tel par l'autorité. L'assuré serait donc réduit à faire ses payements à Paris. De plus, l'absence d'agents dans le pays ne lui permet plus, en cas d'in cendie, de faire procéder avec la même facilité que par le passé au règlement du dommage.

« L'envoi, prescrit par l'art. 14 des conditions, d'un état des objets brûlés, endommagés ou sauvés qui doit se faire sous peine de déchéance dans le délai de quinze jours à partir de l'incendie, ne peut plus être fait à l'agent, mais au siège de la compagnie à Paris, ce qui abrège le délai. De plus, l'indemnité ne peut plus être perçue auprès de l'agent général, mais bien à la caisse de la compagnie à Paris (art. 23), ce qui occasionne des frais et des retards. La suppression de l'agent général et du domicile élu ne permet plus de poursuivre la compagnie devant les tribunaux d'Alsace-Lorraine. Il faudra donc exercer les poursuites en France, ce qui, abstraction faite d'autres préjudices, occasionnera un surcroît de frais. En tous cas, à défaut de fortune saisissable en Alsace-Lorraine, l'exécution forcée devra se faire à l'étranger et sera donc plus difficile (§ 797 du Code procédure civile). C'est à bon droit aussi que le défendeur fait valoir que son crédit hypothécaire repose en grande partie sur les sûretés dont jouissent les créanciers hypothécaires en AlsaceLorraine, d'après la loi du 4 juillet 1881.

[ocr errors]

« La demanderesse allègue à l'encontre de ces objections que depuis le 11 mars 1881 elle a continué à opérer en Alsace-Lorraine et à régler les dommages en cas d'incendie; qu'en outre ses agences existent encore en Alsace-Lorraine, et que les directeurs de la compagnie Rhin-Moselle sont ses fondés de pouvoir. Toutefois les relations de la demanderesse avec la compagnie de Rhin-Moselle ou avec les directeurs de cette compagnie, ne sont rien moins que claires et présentent même un caractère équivoque, ainsi qu'il résulte de ce fait, que dans diverses lettres les directeurs Mathis et Poizat, qui dans l'acte notarié du 18 juillet 1881 sont personnellement constitués comme fondés de pouvoir, ne prennent pas cette qualité, mais signent comme représentants de la compagnie RhinMoselle. Quoi qu'il en soit et en admettant même l'exactitude de toutes les allégations de la demanderesse, il ne s'agit au fond que d'une manœuvre tendant à éluder la défense d'opérer. Or, un pareil mode d'opération n'est nullement comparable à celui qui existait quand le contrat d'assurance a été conclu et auquel le défendeur

pouvait s'attendre pour l'avenir. Il peut arriver, en effet, à tout moment que les autorités administratives mettent en vigueur leur arrêté, en faisant cesser toutes espèces d'opérations, d'autant plus que la prohibition a déjà reçu un commencement d'exécution par l'enlèvement des plaques des agences. Tout au moins l'assuré est exposé à ce que dans un procès, sur une question d'indemnité, la compagnie lui oppose l'illégalité des opérations conclues par elle. Il importe peu, à cet égard, que le receveur d'enregistrement de Strasbourg, qui n'est pas chargé de faire exécuter l'arrêté d'interdiction, ait encore certifié pour l'année 1882 la production du registre des annulations de la demanderesse. Il n'est même pas établi que cette production ait été faite par la demanderesse elle-même et non par la compagnie de Rhin-Moselle qui a pris à son compte une partie des polices de la demanderesse. Cette dernière n'a même pas prétendu que depuis le 11 mars 1881 elle ait remis au président du département le rapport annuel prescrit par l'arrêté du président supérieur du 19 juillet 1872.

<< En présence de ces faits, la dénonciation adressée par le défendeur dans ses lettres des 31 mai et 4 juin 1881 et son refus de payement des primes ultérieures, pour cause de non exécution du contrat de la part de la demanderesse, paraissent d'autant plus justifiés, qu'il est notoire que les compagnies opposent toujours aux demandes d'indemnités qui leurs sont faites, l'interprétation la plus stricte des clauses de l'assurance et que d'un autre côté l'importance des intérêts pécuniaires du demandeur nécessite la stricte exécution de toutes les conditions du contrat dans le sens dans lequel ce dernier a été passé. Il importe peu à cet égard que le changement survenu dans la situation ne soit pas le fait de la demanderesse, mais ait été introduit par une décision de l'autorité. L'imposibilité du fait dans laquelle se trouve la compagnie d'exécuter certaines conditions essentielles du contrat, suffit pour justifier la demande en résiliation. La demanderesse ne pourrait invoquer la force majeure que contre une demande en dommages-intérêts, qui serait formée à côté de la demande en résiliation et dont il n'est pas question au cas présent. Il est donc sans importance que la loi du 30 mai 1857 soit encore en vigueur en Alsace-Lorraine, ou non. La question de savoir si c'est à bon droit ou à tort que l'autorité a interdit les opérations des compagnies d'assurances françaises ne supprime pas vis-à-vis de l'assuré le fait de l'impossibilité où se trouve la demanderesse d'exécuter le contrat. Si la demanderesse cherche à déduire des principes du droit international l'abrogation de la loi du 30 mai 1857, il lui reste à prouver que le droit international prive un Etat de la faculté d'in

terdire pour des raisons de droit public les opérations des sociétés anonymes étrangères. Une pareille défense serait du reste absolument dénuée de sanction. Ces principes auraient dû empêcher dès l'année 1857 le législateur français de promulguer la loi du 30 mai. Quant à l'opinion d'après laquelle cette loi serait abrogée par l'art. 11 du traité de paix de Francfort, du 10 mai 1871, il suffit de s'en référer aux développements contenus dans l'arrêt du 11 décembre 1881, qui sont encore maintenus aujourd'hui par le tribunal régional supérieur.

« Pour répondre aux objections présentées par la demanderesse en dehors de l'enchaînement de ces déductions juridiques et dont s'est occupé l'arrêt de la Cour suprême de l'Empire du 11 avril 1882, il y a lieu de faire encore observer ce qui suit :

<< 1. En interprétant l'art. 11 du traité de paix comme le fait la demanderesse, il ne s'agit dans cette article, abstraction faite de l'Alsace-Lorraine, que d'une concession faite par la France au reste de l'Allemagne, attendu que dans ces Etats il n'existe aucune loi qui interdise aux sociétés anonymes étrangères d'ester en justice. Toutefois cette hypothèse est dénuée de tout fondement. Les deux tiers de l'Allemagne (la Prusse et la Saxe) jouissaient de cette prérogative par suite des décrets du 19 novembre 1866 et du 23 mai 1868. Quant aux autres Etats de l'Allemagne dont les sociétés par actions n'avaient sans doute pas d'intérêts en France, il était de peu d'importance pour eux d'obtenir la même concession au moyen du traité de paix. Aussi bien que la Prusse et la Saxe, ils auraient, soit lors du traité, soit déjà antérieurement, pu obtenir de la France un décret rendu en conformité de la loi du 30 mai 1857. La France avait un intérêt capital à assurer les relations d'affaires de ses grandes sociétés industrielles avec l'Allemagne. Cela était surtout nécessaire pour l'Alsace-Lorraine qui seule pouvait être en question, attendu que dans les autres Etats de l'Allemagne, il n'existait aucune loi prohibitive contre les compagnies françaises. En Alsace-Lorraine au contraire les sociétés anonymes françaises dominaient exclusivement les relations commerciales et elles avaient à redouter par suite du changement politique une forte concurrence de la part des sociétés allemandes. L'intérêt qu'avait la France au règlement de cette question est exprimé dans la proposition faite à ce sujet par le représentant français, tandis que le refus pur et simple que fit le délégué allemand d'accéder à cette proposition prouve que l'Allemagne, en présence de l'impossibilité où l'on se trouvait en ce moment de prévoir le développement que prendrait la situation de l'Alsace-Lorraine, n'avait aucun motif urgent de se lier les mains à perpétuité sur ce point par un traité de paix.

<< 2. On peut admettre, ainsi que le fait déjà remarquer l'arrêt du 12 décembre 1881, que les mots « sujets » du texte français et <angehörige de la traduction du traité de paix, peuvent s'appliquer aux personnes morales, et il peut en être ainsi dans le § 19, al. 4, du traité avec l'Autriche-Hongrie du 16 décembre 1878, dans lequel d'ailleurs l'alinéa 5 est spécialement consacré aux sociétés anonymes, ainsi que dans l'art. 3 de la constitution de l'Empire. Toutefois il arrive fréquemment que ces mots servent à désigner exclusivement des personnes physiques: par exemple les art. 2 et 3 du traité de paix dont le texte allemand se sert du mot « Unterthanen » ; l'art. 25 du traité de commerce entre la France et l'Union douanière du 2 août 1862 dans lequel le terme sujet ne peut s'appliquer aux sociétés pas actions, attendu que les sujets des Etats de l'Union y sont, sous le rapport du commerce et de l'industrie, placés sur la même ligne que les « nationaux » français, car sans cela la Prusse et la Saxe n'auraient pas eu besoin des décrets du 19 novembre 1866 et 22 mai 1868. Le point de savoir si le terme de « sujets » comprend également toujours les personnes morales est controversé en France, ainsi qu'il résulte de l'interprétation donnée par les tribunaux français au sujet de l'art. 12 du traité de commerce FrancoAnglais du 10 mars 1862. Le texte de l'art. 11 du traité de paix ne suffit donc pas pour justifier d'une manière plausible que les sociétés par actions sont comprises dans le terme du mot « sujet».

« 3. L'art. 11 de la convention additionnelle du 12 octobre 1871 et la déclaration du 8 octobre 1873 renferment une disposition spéciale relative aux marques de fabrique et de commerce. Si donc les plénipotentiaires français ont été d'avis que la réciprocité sur ce point était entièrement contenue dans les termes < traitement des sujets des deux nations », cette manière de voir n'a certainement pas été partagée par les plénipotentiaires allemands, car autrement une disposition expresse ultérieure eût été tout à fait superflue. Or, si, pour lever tout doute, il était nécessaire d'expliquer ce terme pour les marques de fabrique et de commerce, il était encore bien plus nécessaire d'introduire une disposition spéciale pour les sociétés par actions. Car même les plénipotentiaires français n'ont jamais exprimé l'opinion que lesdites sociétés sont par eiles-mêmes, et de droit, comprises dans les dispositions de l'art. 11 du traité de paix. Ils ont, au contraire, manifesté une manière de voir opposée en faisant la proposition de régler cette question pour l'Alsace-Lorraine, en faveur des sociétés anonymes françaises. De même la disposition spéciale consacrée au brevet d'invention dans l'art. 10 de la convention additionnelle du 11 décembre 1871 et l'art. 5 du proto

cole de clôture, ainsi que le règlement de la question de la Banque de France dans l'art. 9 dudit protocole, quoique ces dispositions puissent avoir été motivées par des circonstances particulières, semblent indiquer que l'on s'est efforcé d'écarter toute équivoque et de lever tout doute. Or, il était facile de prévoir que l'art. 11 du traité de paix, si l'on voulait comprendre dans sa disposition les sociétés anonymes, sans qu'il soit question de ces sociétés, ni dans le traité, ni dans les conventions additionnelles, ni dans les protocoles du plénipotentiaire, soulèveraient de nombreuses difficultés. Déjà l'existence de la loi du 30 mai 1857 et des décrets rendus conformément à cette loi en faveur de la Prusse et de la Saxe devait amener à régler ce point d'une manière exempte d'équivoque.

« 4. Dans l'énumération des traités qui sont remis en vigueur conformément à l'art. 11 du traité de paix, ainsi qu'à l'art. 11 de la convention additionnelle du 12 octobre et l'art. 18 de celle du 11 décembre 1871, n'est pas compris, il est vrai, le décret rendu pour la Saxe le 23 mai 1868, mais seulement celui relatif à la Prusse du 19 décembre 1866. La mention de ce dernier décret contient la reconnaissance formelle et expresse de la validité du décret et, par suite, de la loi du 30 mai 1857 elle-même.

< La circonstance que ce décret est compris dans l'énumération est certainement d'un plus grand poids que l'omission de l'autre décret. La mention du premier décret n'a pu avoir lieu en effet qu'après examen, tandis que l'omission du décret relatif à la Saxe peut s'expliquer par une erreur. Cette dernière hypothèse paraît d'autant plus plausible que la Prusse, étant l'Etat le plus grand et le plus puissant de l'Allemagne, devait surtout faire valoir ses droits, et que c'est avec la Prusse comme pays-frontière que la France avait le plus de relations commerciales. Si dans ladite énumération sont compris des traités tels que ceux relatifs à la protection de la propriété littéraire, ou les traités de commerce et de navigation avec Brême, Hambourg, Lubeck, Mecklembourg, etc., ce n'est là qu'une conséquence des dispositions expresses de l'art. 11 du traité de paix, d'après lequel les traités de navigation et la convention relative à la protection de la propriété littéraire et artistique sont remis en vigueur, ainsi que de l'art. 18 de la convention additionnelle du 11 décembre 1871, d'après lequel les parties contractantes sont convenues, abstraction faite des conventions internationales mentionnées par le traité de paix du 10 mai 1871, de remettre en vigueur les différents traités et conventions existants entre les chefs allemands et la France antérieurement à la guerre.

« Quelle que soit l'importance que l'on attache aux objections

« PreviousContinue »