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Lorsque la réciprocité n'est pas garantie. »

Cette dernière restriction ne se trouvait pas dans le projet de Code de procédure civile présenté par le Gouvernement. La minorité de la commission chargée d'examiner le projet (avec le Dr Gneist) estimait également que l'Empire d'Allemagne devait, à cet égard, devancer les autres Etats et leur donner l'exemple. Mais la majorité de la Commission refusa de reconnaître comme admissible en matière de droit international, la maxime: «noblesse oblige. » La loi n'exige pas que la réciprocité soit garantie par un traité international; il suffit qu'en fait l'exécution des jugements des tribunaux allemands ait lieu, dans le pays étranger, et cela en vertu de la décision même qui a été rendue en Allemagne, encore que l'exécution soit subordonnée à un examen préalable analogue à ce lui que prescrit le Code de procédure allemand et quand bien même cet examen serait plus rigoureux, mais cependant à la condition que les tribunaux étrangers n'aient pas à apprécier en fait ou en droit la valeur intrinsèque du jugement rendu en Allemagne. Il faut qu'à l'égard de ce dernier jugement, les maximes suivantes soient admises sans conteste dans l'Etat étranger:

Res judicata est, quæ finem controversiarum pronunciatione judicis accipit.» (Modestinus, L. 1, Dig. de re judicatâ, 42, 1.) Res judicata pro veritate accipitur. » (Ulpianus, L. 2, Dig. de statu hominum, 1, 5.)

Dans ce cas également, le demandeur sera tenu de fournir la preuve de la réciprocité. Cette preuve sera considérée comme non avenue, s'il est établi que l'exécution des jugements allemands a eu lieu d'une manière différente, ou si cette preuve contraire résulte d'une déclaration ou d'une affirmation officielle. Il sera toujours loisible au juge allemand de faire lui-même des recherches à l'effet de se renseigner sur ce qui se pratique dans la législation étrangère, et au besoin il pourra consulter le Gouvernement allemand; mais ce n'est point là pour lui une obligation. Il va de soi que le juge peut toujours reconnaître l'existence de la réciprocité, en se basant sur sa connaissance personnelle de l'état des choses.

Il résulte des termes de la loi : « (le jugement d'exécution) ne sera pas rendu », que le législateur n'a pas envisagé les circonstanses mentionnées dans les nos 1 à 5 comme des moyens d'exception réservés uniquement au défendeur et dont le juge ne serait tenu de vérifier l'existence qu'autant que des conclusions auraient été formulées à ce sujet, au cours de la procédure, et que l'inexistence de ces circonstances aurait été soutenue; le juge devra au contraire procéder à cet examen, d'office, au cours de l'instance.

L'exécution est du ressort du droit public; le jugement d'exécution peut donc être refusé contre un défendeur qui, quoique cité régulièrement, n'a pas comparu, notamment pour ce motif que la réciprocité n'est pas garantie. Par exception au principe qui domine les débats, principe aux termes duquel le juge est lié par les demandes et conclusions des parties, celui-ci peut agir d'office et par voie d'enquête, dans les limites tracées par l'article 661 nos 1 à 5.

En admettant que les conditions prescrites se trouvent remplies et que l'affaire se présente de telle façon qu'un jugement d'exécution puisse être rendu, le défendeur doit néanmoins être entendu, au cours de l'instance, sur le point de savoir s'il a à présenter des objections de la nature de celles que le débiteur peut proposer, aux termes des articles 686 et 687, lorsqu'il s'agit d'exécuter un jugement rendu par un tribunal allemand. Ces objections cependant ne sont recevables qu'autant qu'elles reposent sur des faits tellement récents, qu'elles n'aient pu être produites dans l'instance terminée par le jugement dont l'exécution est requise. Rentrent notamment dans cette catégorie, les exceptions résultant du paiement, du concordat, de la compensation, de la concession d'un terme pour le paiement.

Le jugement d'exécution pourra être attaqué au moyen des voies de recours ordinaires, aussi bien par le demandeur débouté, que par le défendeur contre lequel le jugement devra être exécuté.

Enfin, le jugement du tribunal étranger devra recevoir son exécution dès que le jugement d'exécution aui a acquis l'autorité de la chose jugée. Un jugement rendu, en première instance, pourra aussi être déclaré exécutoire par provision, et cela aux mêmes conditions qu'un jugement rendu par un tribunal allemand (Code de procédure civile, art. 648 et suiv.).

L'exécution aura lieu en vertu d'une expédition du jugement d'exécution revêtue de la formule exécutoire (Vollstreckungsklausel) (Code de procédure civile, art. 662), et, actuellement, exactement comme s'il s'agissait d'un jugement rendu par un tribunal allemand; l'exécution ne sera pas limitée au ressort du tribunal qui aura rendu le jugement d'exécution, mais elle pourra être poursuivie dans tout l'Empire d'Allemagne. Le Code de procédure civile allemand n'admet pas que la force exécutoire puisse se prescrire.

Il faut remarquer que le jugement étranger peut servir de fondement à une contrainte (Arrest) (Code de procédure civile art. 796 et suiv.) ou à une décision provisoire (art. 814 et suiv.), à l'effet d'assurer l'exécutien forcée qui pourrait être poursuivie ultérieurement, après l'obtention d'un jugement d'exécution. Lorsque le tribunal

allemand refusera de rendre un jugement d'exécution, pour ce motif que l'affaire rentre dans un des cas prévus par l'article 661, nos 1 à 5, le demandeur conservera le droit de faire valoir sa réclamation judiciairement, en la forme accoutumée, et, dans ce cas, il ne sera pas interdit au juge de puiser les motifs de sa décision dans le jugement du tribunal étranger. Si le demandeur peut établir, ultérieurement, qu'il ne se trouve pas dans un des cas prévus par l'article 661, nos 1 à 5, il pourra solliciter de nouveau un jugement d'exécution; il ne serait pas possible de tirer une exception rei judicatæ de ce fait que le jugement d'exécution aurait été refusé une première fois.

En ce qui concerne les sentences arbitrales, l'article 866 du Code de procédure civile leur reconnait une valeur égale à celle d'un jugement passé en force de chose jugée. Cette disposition s'applique également aux sentences arbitrales rendues à l'étranger. Les décisions arbitrales allemandes et étrangères sont, au point de vue de l'exécution, placées sur le même pied; elles ne peuvent être exécutées qu'autant que leur mise à exécution a été déclarée admissible par un jugement d'exécution (Code de procédure civile, art. 868). Ce jugement doit être refusé, aux termes de l'article 867 du Code de procédure civile:

1o Lorsque la procédure n'était pas admissible dans l'espèce ; 2o Lorsque la sentence arbitrale condamne une partie à accomplir un fait illicite ;

3o Lorsque la partie n'était pas légalement représentée, dans l'instance, à moins qu'elle n'ait expressément ou tacitement approuvé la procédure;

4o Lorsque la partie n'a pas été entendue, comme elle en avait le droit;

5o Lorsque la sentence arbitrale n'a pas été motivée ;

6o Lorsque, dans un des cas prévus par l'article 543 nos 1 à 6, tion en restitution peut être intentée.

l'ac

L'action en restitution, dont il est parlé au no 6, peut être inten

tée:

1o Lorsque la partie adverse a, volontairement ou par négligence, dans une déclaration sacramentelle qui a servi de base au jugement, violé la foi du serment;

2o Lorsque le document sur lequel le jugement est basé était faux ou falsifié ;

3o Lorsqu'un témoin ou expert a, volontairement ou par négligence, dans l'affirmation d'une déposition ou d'un rapport sur lesquels le jugement est basé, violé la foi du serment;

4° Lorsque le jugement a été obtenu par le représentant de la partie ou par la partie adverse ou son représentant, au moyen d'un fait commis en vue du procès et pouvant entraîner l'application d'une peine d'ordre public, par voie d'action pénale;

5o Lorsque le jugement a été rendu avec le concours d'un juge qui, relativement au procès, s'est rendu coupable de forfaiture envers la partie, lorsque ce fait peut entrainer l'application d'une peine d'ordre public, par voie d'action pénale;

6o Lorsque le jugement est basé sur un précédent jugement rendu en matière criminelle, lequel a été annulé par un autre jugement passé en force de chose jugée.

Il a été reconnu par une décision du tribunal de l'Empire en date du 5 novembre 1881 (Deutsche Juristenzeitung, IV, 589), que les dispositions de la loi aux termes desquelles les tribunaux allemands doivent, dans certains cas, refuser d'autoriser l'exécution des jugements étrangers ne sont pas applicables aux sentences arbitrales rendues à l'étranger.

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KEYSSNER

Conseiller au « Kammergericht », à Berlin. Traduction de M. F. DAGUIN avocat à la Cour de Paris, secrétaire général de la Société de Législation comparée.

Des actions judiciaires exercées en France par les
sociétés anonymes étrangères.

La plupart des sociétés commerciales fondées en pays étranger pour l'exploitation de grandes entreprises industrielles ou financières font appel aux capitaux français, et parviennent aisément à placer sur les marchés de notre pays une partie des actions ou des obligations dont l'émission est nécessaire au succès de leurs opérations. La multiplicité des négociations qui en résultent, les obligations imposées aux souscripteurs de ces valeurs ou à leurs cessionnaires, donnent journellement naissance à des actions judiciaires qui doivent être portées devant les tribunaux français. Les Sociétés étrangères trouvent-elles, dans les principes du droit international ou dans les règles de notre droit civil, toutes les garanties désirables, et peuvent-elles exercer leurs droits et ester en justice comme le feraient de simples particuliers?

Dans l'origine, et pendant de longues années, les tribunaux français n'ont soulevé aucune difficulté à cet égard. La règle écrite dans l'art. 15 du code civil, aux termes duquel un Français peut être traduit devant un tribunal de France pour les obligations par lui

contractées en pays étranger, même envers un étranger, semblait suffisante pour déterminer la compétence des tribunaux lorsqu'une action judiciaire était intentée contre des actionnaires français pour obtenir l'exécution des engagements par eux souscrits au profit d'une société étrangère. Si la société justifiait de son existence légale et régulière d'après les lois de son pays d'origine, elle était admise à exercer ses droits en justice, comme peut le faire toute personne morale ou civile devant les tribunaux français; mais ce principe ne devait être appliqué qu'à charge de réciprocité, et à la condition que les sociétés françaises, régulièrement constituées, seraient également autorisées à ester en justice devant les tribunaux étrangers. Des difficultés furent soulevées pour la première fois par les Cours de Belgique. En 1849, un arrêt de la Cour de Cassation de Bruxelles, rendu en audience solennelle, toutes chambres réunies, refusa de reconnaître aux sociétés anonymes françaises le droit d'ester devant les tribunaux belges.

Cette décision causa une grande émotion dans le monde des affaires. Les sociétés françaises adressèrent leurs réclamations au Gouvernement, et en 1854, une convention internationale, annexée au traité de commerce du 27 février de la même année, promit de mettre un terme à ces difficultés. Cette convention était ainsi conçue :

«La faculté de faire valoir leurs droits devant les tribunaux belges étant contestée aux sociétés anonymes françaises, et des inconvénients sérieux pouvant résulter de cet état de choses pour les associations commerciales, industrielles et financières des deux Etats, le gouvernement de S. M. le roi des Belges s'engage à présenter aux Chambres législatives, dans le délai d'un an, un projet de loi qui aura pour objet d'autoriser les sociétés anonymes et autres associations qui sont soumises à l'autorisation du gouvernement français et qui l'auront obtenue, à exercer tous leurs droits et à ester en justice en Belgique, conformément aux lois du pays, moyennant la réciprocité de la part de la France. »

En exécution de cette convention, une loi fut promulguée en Belgique, le 14 mars 1855, aux termes de laquelle les associations anonymes commerciales, industrielles et financières françaises furent autorisées à exercer tous leurs droits et à ester en justice devant les tribunaux belges, toutes les fois que les associations de même nature, légalement établies en Belgique, jouiraient des mêmes droits en France. Cette réciprocité devait être constatée par des traités, ou par la production des lois ou actes propres à en établir l'existence.

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