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en matière de faillite.

La convention, internationale intervenue entre la France et la Suisse, le 15 juin 1869, sur la compétence judiciaire et l'exécution des jugements dans les deux pays renferme, entre autres stipulations, les dispositions suivantes :

< Art. 6. La faillite d'un Français ayant un établissement de < commerce en Suisse pourra être prononcée par le tribunal de sa << résidence en Suisse, et, réciproquement, celle d'un Suisse ayant un << établissement de commerce en France pourra être prononcée par << le tribunal de sa résidence en France.

«

<< La production du jugement de faillite dans l'autre pays donnera << au syndic ou représentant de la masse, après toutefois que le ju«gement aura été déclaré exécutoire, conformément aux règles éta<«<blies en l'art. 16 ci-après, le droit de réclamer l'application de la « faillite aux biens meubles et immeubles que le failli possèdera << dans ce pays... »

«

L'art. 16 de la même convention, auquel l'art. 6 se réfère, règlemente la forme en laquelle la demande d'exequatur devra être poursuivie ; et, enfin, l'art. 17 décide : « que l'autorité saisie de la de<< mande d'exécution n'entrera pas dans la discussion du fond de « l'affaire; et qu'elle ne pourra refuser l'exécution des jugements « que dans les cas suivants :

« 1° Si la décision émane d'une juridiction incompétente;

« 2o Si elle a été rendue sans que les parties aient été dûment << citées et légalement représentées ou défaillantes;

< 3o Si les règles du droit public ou les intérêts de l'ordre public << du pays où l'exécution est demandée s'opposent à ce que la déci«sion de la juridiction étrangère y reçoive son exécution. »

Ces diverses dispositions ont donné naissance à des questions fort délicates et soulevé certaines difficultés que la Cour de cassation vient de trancher par son arrêt du 17 juillet 1882.

Il peut être fort intéressant, pour les relations commerciales qui existent entre les deux pays, d'examiner, avec certains détails, ces diverses questions, afin de bien comprendre la portée de l'arrêt qui vient d'être rendu et les conditions dans lesquelles cette jurisprudence pourra recevoir, dans la pratique, son application.

Précisons bien, tout d'abord, les faits de ce procès.

Un sieur Lancel, après avoir exercé, pendant quelque temps, le commerce à Paris, était allé s'installer en Suisse où il avait continué la même industrie.

JOURNAL DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
ET DE LA JURISPRUDENCE COMPARÉE.

T. 9. No VII-VIII, 1882.

En 1875, il fut déclaré en état de faillite par le tribunal de Genève et, deux ans plus tard, la faillite fut clôturée pour insuffisance d'actif; le passif de cette faillite s'élevait à une somme de 59,000 fr., dans laquelle était comprise une somme de 3,084 francs représentant la créance d'un sieur Veillard négociant à Paris. Lancel, à la suite de ces événements, revint à Paris, où, tant en son nom personnel qu'au nom de son père et de sa femme, se disant séparée de biens, il reprit le même commerce.

Le 19 février 1880, Veillard, qui était toujours créancier de la somme de 3,084 francs comprise dans le passif de la faillite suisse, présenta requête au Tribunal de commerce de la Seine, et obtint, à la même date, un jugement de ce tribunal par lequel: attendu qu'il résultait des renseignements transmis au tribunal que Lancel était en état de cessation de payements, le déclarait en état de faillite et nommait pour syndic M. Bėgis.

Lancel fit opposition à ce jugement et conclut à la nullité de la déclaration de faillite en France en opposant la déclaration de faillite dont il avait été l'objet en Suisse, soutenant qu'il ne pouvait plus, en raison du jugement rendu à Genève, et en exécution de la convention internationale du 12 juin 1869, être déclaré en faillite en France une seconde fois; il ajoutait, subsidiairement, que Veillard était personnellement non-recevable à provoquer cette seconde faillite, par le motif que, ayant produit à la faillite de Genève et ayant été partie à cette faillite, il se trouvait lié par une sorte de contrat judiciaire, et, que, en ce qui le concernait, il ne pouvait que poursuivre en France, suivant les prescriptions de la convention de 1869, l'exécution du jugement rendu en Suisse.

Veillard et le syndic résistèrent à cette prétention.

Ils soutinrent que, tant qu'un jugement de faillite rendu en Suisse n'a pas été déclaré exécutoire en France par un tribunal français, il n'a, dans ce pays, aucune force juridique; qu'il doit être considéré comme non avenu; et que les tribunaux français compétents pour prononcer la faillite de Lancel, commerçant à Paris, ne pouvaient voir leur action entravée par un jugement étranger qu'en raison de son imperfection il n'était pas possible de leur opposer ils excipaient, en dernière analyse, de cette circonstance que la faillite déclarée à Genève ayant été clôturée pour insuffisance d'actif, ses créanciers avaient repris, contre leur débiteur, l'exercice de tous leurs droits.

Le syndic allait plus loin; il disait qu'il n'y avait pas au procès que le créancier Veillard qui avait provoqué la mise en faillite de Lancel, mais une masse de créanciers qu'il représentait, en sa qua

lité, et auxquels le jugement rendu à Genève n'était pas opposable. Lancel répliquait que la faillite, en principe, a un caractère d'unité et d'universalité contradictoire avec l'existence de deux faillites parallèles; qu'en cette matière la convention de 1869 avait eu pour effet de mettre, au point de vue de la faillite, la France et la Suisse sur le pied d'égalité, et que, sous la réserve d'une vérification portant sur les trois points déterminés par l'art. 17 de la convention, les jugements de faillite rendus, soit en France, soit en Suisse, avaient force de chose jugée dans les deux pays.

Le Tribunal de commerce de la Seine et, après lui, la Cour de Paris, firent droit aux conclusions de Veillard et du syndic et la faillite fut maintenue.

«

D'après le jugement, « il ne s'agissait pas, au procès, de rendre < exécutoire en France le jugement rendu par le tribunal suisse; << il convenait, seulement, de rechercher si Lancel était commerçant « à Paris, et s'il était en état de cessation de payements; et il trou< vait la preuve de cette cessation de payements dans les documents « produits qui établissaient que la faillite prononcée à Genève < avait été clôturée pour insuffisance d'actif; qu'il s'étaît révélé, à < cette époque, un passif de 59,000 francs ; qu'il n'était pas justifié que ce passif eût été éteint, et que, par le jugement de clôture, << chacun des créanciers était rentré en possession de tous ses droits < contre le failli. »

Sur l'appel, la Cour de Paris confirma la décision des premiers juges par un arrêt du 8 juillet 1880, qui a été rapporté et critiqué (Journal, 1880, p. 581).

Cet arrêt fut déféré à la Cour de cassation.

Le pourvoi soulevait une question d'interprétation de la convention de 1869;

En principe, il est certain que cette convention attribue compétence aux tribunaux suisses pour prononcer la faillite d'un Français exerçant le commerce en Suisse et, réciproquement, aux tribunaux français pour prononcer la faillite d'un Suisse exerçant le commerce en France; mais, quel est l'effet de ces jugements rendus, soit en Suisse soit en France, en vertu de la compétence qui leur est attribuée ? Ont-ils, de plano, et indépendamment de l'ordonnance d'exequatur, autorité de chose jugée dans les deux pays? Ou bien estil nécessaire qu'ils aient été préablement déclarés exécutoires, pour avoir cette autorité?

Telle est la question principale qui se pose.

Deux autres questions viennent se greffer sur la première :

En admettant que l'ordonnance d'exequatur soit nécessaire

pour donner aux jugements de faillite rendus en Suisse force de chose jugée, cette circonstance que le créancier poursuivant la faillite en France avait déjà produit à la faillite de Genève pour le montant de sa créance n'est-elle pas de nature à le rendre non recevable à faire prononcer, pour la même cause, la faillite de son débiteur en France?

Enfin quelles conséquences juridiques, la clôture de la faillite pour insuffisance d'actif à Genève, peut-elle avoir sur la situation du failli en France au regard de ses créanciers?

La Chambre civile de la Cour de cassation, sans s'arrêter à la situation particulière du créancier poursuivant, a rendu un arrêt de doctrine absolue; elle a décidé que, par le seul fait de la déclaration de faillite d'un Français en Suisse, la situation du failli était définitivement réglée au regard de tous ses créanciers même postérieurs, et qu'il incombait à tous les créanciers de ce failli, quelle que fut leur origine, la cause et la date de leur créance, s'ils voulaient atteindre les biens de leur débiteur situés en France, l'obligation de remplir les formalités exigées par la convention pour rendre le jugement suisse exécutoire en France

L'arrêt est ainsi conçu :

« Sur le moyen unique du pourvoi.

« Vu l'article 6 de la convention internationale signée entre la France et la Suisse le 15 juin 1869 :

« Attendu qu'il résulte en fait de l'arrêt attaqué, ainsi que toutes les parties le reconnaissent dans l'instance, que Lancel ayant en Suisse un établissement de commerce a été déclaré en faillite en 1875 par le tribunal de Genève;

« Attendu qu'aux termes de l'article 6 de la convention sus-visée les tribunaux suisses sont compétents pour prononcer la faillite d'un Français ayant un établissement de commerce en Suisse;

« Qu'il en résulte qu'une fois le jugement déclaratif de faillite rendu, dans ces conditions, par un tribunal suisse, le même débiteur ne peut plus être déclaré de nouveau en faillite par un tribunal français;

« Qu'il importe peu que la faillite prononcée en Suisse ait été close pour insuffisance d'actif, cette clôture n'ayant pas pour effet de mettre fin à la faillite dans les liens de laquelle le débiteur failli reste toujours maintenu;

« Que, dans ces circonstances, il appartenait aux créanciers de cette faillite, s'ils voulaient atteindre les biens de leur débiteur situés en France, de remplir les formalités exigées par la conven

tion internationale pour donner, en France, force exécutoire au jugement rendu par le tribunal Suisse;

<D'où il suit qu'en prononçant une seconde fois la faillite de Lancel, déjà déclaré en état de faillite à Genève, l'arrêt a méconnu et, par là même, violé les dispositions de la convention internationale sus-visée;

«Par ces motifs, casse. »

Nous allons successivement examiner les diverses questions soulevées par ce procès et nous rechercherons ensuite quelles précautions peuvent être nécessaires pour faire passer dans la pratique l'exécution de cette jurisprudence de façon à éclairer toutes les catégories de créanciers qu'elle peut intéresser.

Il est bien certain que la base fondamentale de l'arrêt c'est le principe de l'unité et de l'universalité de la faillite appliqué indistinctement à la France et à la Suisse.

En France, l'application de ce principe n'est pas douteuse, et un commerçant ne pourrait être déclaré en faillite par deux tribunaux différents; il y aurait immédiatement lieu à règlement de juges.

Pour la Cour de cassation la convention du 15 juin 1869 a eu pour résultat d'étendre les effets de ce principe aux territoires des deux nations.

Une fois un commerçant déclaré en faillite en Suisse ou en France, a dit la Cour, il est déclaré en faillite dans les deux pays.

La convention de 1869 avait déjà précédemment reçu une consécration judiciaire ayant une portée analogue par une décision du Conseil fédéral suisse en date du 20 janvier 1875.

Une société financière sous le nom de Crédit foncier suisse était venue s'installer à Paris; elle avait aussi ses bureaux à Genève. Le désastre de cette société, dans son double fonctionnement, avait amené une double déclaration de faillite à Paris et à Genève. Il y avait ainsi conflit de juridictions menaçant l'unité de la faillite que la convention de 1869 avait pour but de consacrer.

Frappé d'appel, le jugement du Tribunal de commerce de la Seine fut confirmé par un arrêt de la Cour de Paris du 20 janvier 1874 (Dal., 76. 5. 222) et par décision du 20 janvier 1875 (Journal 1875, p. 80), le Conseil fédéral suisse annula le jugement du tribunal de Genève par application de la convention de 1869, et par le motif que le crédit foncier suisse ayant son siège principal à Paris, c'était à Paris que la société devait être considérée comme exerçant son

commerce.

C'était la confirmation pure et simple, par application de la con

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