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9. Observation générale l'action hypothécaire doit s'exercer conformément à la loi territoriale, laquelle doit régir exclusivement la forme et les conditions exigées pour que le créancier auquel le droit d'hypothèque appartient puisse l'exercer. Ce principe s'applique à la forme de l'inscription, à l'effet de la date, au rang, etc. (Fiore, Droit intern, privé, liv. II, chap. 4, nos 225 et suiv.)

10. Quelle est la valeur en France d'un jugement rendu par on tribunal étranger?

L'ancien droit possédait un texte formel sur ce point, l'article 121 de l'ordonnance de 1629 (article que certains auteurs considèrent comme encore en vigueur): « Les jugements rendus, contrats ou << obligations reçus ès royaumes et souverainetés étrangères, pour <quelque cause que ce soit, n'auront aucune hypothèque ni exécu<tion en notre dit royaume, ainsi tiendront les contrats lieu de « simples promesses, et nonobstant les jugements, nos sujets contre « lesquels ils auront été rendus pourront de nouveau débattre leurs << droits comme entiers par devant nos ofüciers. »

Aujourd'hui il est certain qu'un « exéquatur doit toujours être demandé à la juridiction française. Mais le tribunal français doit-il se borner à vérifier si la décision émane d'un tribunal compétent; doit-il, au contraire, comme le veut la dernière jurisprudence (voy. notamment Bordeaux, 20 août 1879, Bartisius et Tamanti, Journal 1870, p. 585, Rouen, 20 avril 1880, Journal 1882, p. 167, cass. 28 juin 1881, Journal 1882, p. 170), vérifier au fond le jugement? Le traité de 1760 ne permet pas cette controverse pour les jugements émanés de tribunaux italiens : ils sont valables en France, et réciproquement (1).

11. Malgré l'étendue des termes du traité de 1760, le français porteur en France d'un jugement rendu par un tribunal italien doit toujours s'adresser à la justice française, quand il veut mettre à exécution la décision qui a été rendue (et réciproquement). (V. cass. 14 juillet 1825. S. 26. 1, 278 - cass. 17 mars 1830. S. 30. 2. 95.) Aux termes d'une déclaration échangée entre les deux gouvernements de France et de Sardaigne, sous la date du 11 septembre 1860 (Moniteur du 16 novembre 1860 (2), à la suite de difficultés

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(1) Conventions diplomatiques analogues: Traité avec la Russie des 31 décembre 1786, 11 janvier 1787, art. 16. Traité avec le grand duché de Bade du 16 avril 1846 publié par ordonnance du 3 juin de la même année. Traité avec la Suisse du 15 juin 1869 publié par décret du 19 octobre 1869.

(2) Cette déclaration n'a pas été insérée au Bulletin des lois.

qui s'étaient élevées sur notre article 22, les cours des états respectifs auxquelles l'exécution est demandée doivent faire porter exclusivement leur examen sur les points suivants : 1o si la décision émane d'une juridiction compétente; 2o si elle a été rendue les parties dûment citées et légalement représentées ou défaillantes; 3o si les règles du droit public ou les intérêts de l'ordre public du pays où l'exécution est demandée ne s'opposent pas à ce que la décision du tribunal ait son exécution. En dehors de ces trois constatations, les Cours des états respectifs doivent éviter soigneusement de s'ériger en juges du fond du litige. (Voy. Cour de Paris, 3 juin 1881, Bonacini e. Dupuy, France judic. 1880-81. 2. 625. D. P. 1882. 2. 67.) Antérieurement à cette déclaration, un arrêt du Sénat de Nice du 20 février 1841 refusa d'autoriser l'exécution d'un jugement du tribunal de commerce de Marseille, prononcé par défaut contre un sujet sarde, à la suite d'une assignation donnée en la personne du procureur du roi à Marseille. Le Sénat considéra qu'une assignation donnée en cette forme était contraire aux règles fondamentales de l'administration de la justice en Sardaigne.

C'est qu'en effet, suivant les expressions mêmes du traité de 1760, l'exécution dans l'un des pays contractants d'une décision rendue dans l'autre pays ne doit avoir lieu « qu'à la forme du droit », c'est-à-dire qu'autant qu'elle n'a rien de contraire aux lois et à la juridiction du pays dans lequel l'exécution est demandée (1). La déclaration du 11 septembre 1860 se relie d'une manière logique au traité du 24 mars 1760.

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On s'est demandé si la déclaration du 11 septembre 1860 était obligatoire en Italie, parce qu'elle n'y avait été ni publiée ni insérée dans la collection officielle des lois et décrets du royaume, mais l'affirmative est très généralement admise. (V. dans le sens de la

(1) Sur l'interprétation de la déclaration du 11 septembre 1860 consulter:

1o Au sujet de la juridiction compétente: Aix, 13 mai 1874, D. P., 75, 2, 57 et 58. Cass. req., 27 avril 1870, D. P., 72, 1, 15.

2 Au sujet de la citation des parties: Cour de Casale, 22 mars 1872, 2, 232.

3o Au sujet de l'ordre public: Aix, 13 mai 1874, D. P., 75, 2, 57 et 58. Chambéry, 29 janvier 1873, D. P., 74, 2, 183.

Cet arrêt de Chambéry déclare non exécutoire en France la contrainte par corps requise en vertu de la loi italienne, la contrainte par corps étant abolie en France, sauf dans les cas expressément déterminés, et l'arrêt de la Cour de Paris du 3 juin 1881 indiqué dans le corps du $ 11,

P. 244.

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négative Fiore, Journal 1878, Cour de Brescia, 14 septembre 1875, Journal 1879, p. 306. Dans le sens de l'affirmative Arrêts des Cours de Milan et de Turin, Journal 1879, p. 305 et 307.)

12. L'exéquatur doit toujours être demandé à la juridiction civile, même quand il s'agit d'une décision commerciale rendue par une juridiction commerciale. (En ce sens : Aubry et Rau, t. VIII, § 769 Argument arrêt Cour de Paris, 1er décembre 1879, S. 1881,

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ter.
2. 145.)

Au point de vue de l'application du traité de 1760, les sentences arbitrales revêtues de toutes les formalités voulues doivent être assimilées aux jugements des tribunaux.

La règle suivante, exprimée par MM. Aubry et Rau est encore applicable à notre matière: « La demande d'exéquatur doit, en <principe, se former par voie d'ajournement. Toutefois, lorsqu'il « s'agit d'un jugement rendu sur requête, et qui eût pu être obtenu « en France par la même voie, la demande d' « exéquatur est vala<< blement formée par requête. » (Loc. cit.) Un arrêt de la Cour de Paris (crim.) du 5 mai 1874, Metterio, exige cependant un ajournement, même dans le cas où il s'agirait d'une question de la dépendance de la Chambre du conseil. V. sur la matière de l'exécution en France des jugements italiens les intéressantes questions nos 1 et 8, publiées par le Journal 1878, p. 7 et 112.

13. Supposons, pour démontrer l'économie du traité de 1760, qu'un italien ait obtenu du tribunal de première instance de Gênes un jugement contre un français habitant Paris, qu'il veut faire mettre à exécution contre lui. Il devra, tout d'abord, obtenir des lettres rogatoires. Les demandera-t-il au tribunal de Gênes, qui a rendu la décision? Non, car le traité de 1760 suppose toujours des rapports de Cour à Cour. Ce sera donc la Cour d'appel de Gênes qui délivrera les lettres rogatoires. Cette Cour sollicitera la Cour de Paris, de déclarer la décision du tribunal de Gênes exécutoire en France.

Devant nos Cours d'appel, il est inutile de chercher à se prévaloir du traité de 1760, sans lettres rogatoires (1). C'est ainsi qu'il a été décidé qu'une Cour française à laquelle on demande, avec lettres rogatoires, l'exécution d'un jugement italien, doit faire droit à la demande, même quand la juridiction étrangère a rendu une seconde décision impliquant un sursis à l'exécution de la première, si cette

(1) A défaut de lettres rogatoires, on rentrerait dans le droit commun, et la demande d'exequatur devrait être adressée à un tribunal civil et non directement à une Cour d'appel.

seconde décision n'est pas accompagnée de lettres rogatoires et s'il n'est pas justifié de démarches dans le but d'en obtenir. (Cour de Paris, 23 août 1880, Bonacini C. Dupuy, Journal 1880, p. 585.)

Nous empruntons à Grenier (Traité des hypothèques, no 215) les importants renseignements qui suivent, sur la procédure à employer pour obtenir en France des lettres rogatoires et pour l'envoi de ces lettres en Italie. Grenier rappelle qu'à l'époque où il était procureur général à Riom, en novembre 1818, des lettres rogatoires avaient été adressées, sur ses conclusions, par la Cour de Riom au Sénat de Chambéry.

1o Le français qui a obtenu un arrêt d'une Cour d'appel de France, ou même un jugement d'un des tribunaux de son ressort, adresse à son adversaire un ajournement devant cette Cour ou présente à la Cour une requête par ministère d'avoué. (Voir la distinction indiquée au § 12 in fine.) Une expédition de la décision dont on veut l'exécution en Italie est fournie à l'appui.

Il est demandé à la Cour que, sur le vu de l'article 22 du traité de 1760, il soit accordé à l'impétrant des lettres rogatoires qui seront adressées à la Cour d'appel italienne, dans le ressort de laquelle est domicilié celui qui a été condamné par l'arrêt ou jugement rendu en France, afin d'obtenir de cette Cour d'appel étrangère de faire faire toutes les opérations nécessaires dans son ressort, pour parvenir à contraindre le débiteur au payement du montant des condamnations prononcées par la juridiction française.

2o Le premier président de la Cour d'appel rend une ordonnance de soit communiqué au procureur général, afin que celui-ci donne ses conclusions par écrit.

3o La Cour rend un arrêt, délivré en minute à la suite de la requête et des conclusions. Par cet arrêt, la Cour déclare que les lettres rogatoires sont octroyées, et seront adressées à la Cour italienne dans le ressort de laquelle celui qui a perdu son procès est domicilié, à l'effet par cette Cour de faire jouir l'impétrant du bénéfice de l'article 22 du traité de 1760 et de permettre dans son ressort la mise à exécution du jugement ou arrêt.

40 En exécution de cet arrêt scellé du sceau de la Cour, cette même Cour adresse séparément (voir au no 14) ses lettres rogatoires à la Cour d'appel italienne qu'elles concernent. Il y est dit qu'elle prie et requiert cette Cour de permettre la signification et la mise à exécution du jugement dont il est question, et ce partout et arrière son ressort, offrant ladite Cour d'en faire de même et plus grand s'il y échet. (C'est pour être parfaitement exact, dit Grenier, que je rends ces dernières expressions, parce qu'elles sont d'un

style ancien entre les Cours de justice de France et celles des états d'Italie, et que ce style s'observe encore (1).

13 bis. On a soutenu que les lettres rogatoires n'étaient pas nécessaires pour obtenir l'« exequatur » d'un jugement français en Italie (voy., dans la Revue pratique, tome VIII, p. 383, une dissertation publiée sous ce titre : « De l'inutilité des lettres rogatoires pour l'exécution, dans les Etats sardes, des jugements rendus à l'étranger »).

En fait, dans la pratique, il est toujours bon de se munir de lettres rogatoires, pour éviter des difficultés en Italie. Les anciens tribunaux de Sardaigne, ainsi que le reconnaît l'auteur de l'article de la Revue pratique », avaient constamment admis la nécessité des lettres rogatoires. Cette manière de procéder n'est-elle pas, du reste, conforme aux termes mêmes de l'art. 22 du traité de 1760, paragraphe commençant par les mots : « En second lieu »? (dans le sens de l'affirmative sur cette question, voy. Cour de Casale, 22 mars 1872, D. P., 72, 2, 232).)

Le traité de 1760 et la déclaration interprétative du 11 septembre 1860 supposent des réquisitions adressées par une Cour d'appel à une juridiction étrangère de même degré et ne prévoient pas le cas d'un arrêt de Cassation. C'est pourquoi il a été jugé que la demande d'« exequatur » d'un arrêt de la Cour de cassation italienne de Turin devait être portée, non devant la Cour de cassation française, mais simplement devant la Cour dans le ressort de laquelle est domiciliée la personne qu'on veut exécuter:

« Attendu qu'il est de principe que toute demande d'exequatur, < pour une sentence étrangère. constitue une action distincte et in« dépendante de l'action principale ; - Que si, d'après les traités << entre la France et l'Italie, elle doit être portée de plano devant << une Cour d'appel, elle ne saurait s'adresser à la Cour de cassa<<tion, uniquement instituée pour examiner la légalité des décisions <rendues par les tribunaux français; Qu'il est d'ailleurs cons

<< tant, en France, que la Cour de cassation ne peut connaître des « difficultés d'exécution résultant même de ces arrêts, etc. (Cour de Paris, 3 juin 1881, Bonacini c. Dupuy, France jud., 1880-81, 2, 626.-D. P., 1882, 2, 67.)

Le même arrêt rappelle ce principe important que l'exequatur peut être accordé, d'après les traités, à des décisions qui ne sont pas encore passées en force de chose jugée; l'arrêt qui l'ordonne,

:

(1) Observation importante empruntée à Grenier les arrêts et ordonnances rapportés ci-dessus ne sont point sujets à l'enregistrement.

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