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Il ajoute que la société ainsi constituée ne devrait pas pour être reconnue en France y publier ses statuts.

Nous ne saurions adopter cette dernière manière de voir. La publication de l'acte de société en dehors du siège social n'est qu'une conséquence de la possession d'une maison de commerce. C'est donc plutôt une disposition qui tient au statut réel qu'une règle du statut personnel.

Si l'on prenait à la lettre l'argument a contrario tiré de l'opinion de M. Vavasseur, on arriverait au raisonnement suivant :

Une société étrangère possédant des usines en France est dispensée de publier parce que sa loi d'origine ne lui impose pas cette obligation;

Donc, une société française doit publier, même à l'étranger, puisque la loi française l'oblige à publier en France.

La question est très délicate, mais nous ne saurions adopter cette conséquence extrême de l'influence de la loi d'origine. Nous concevons fort bien une société ayant un siège unique. Dans ce cas, pas de publications au dehors. Si les publications sont exigées hors du siège social, c'est à cause de la possession d'autres établissements. Quiconque possédera en France un établissement de commerce devra se soumettre aux obligations établies par la loi. Et une société étrangère ne pourra fonctionner en France qu'en publiant ses statuts partout où elle aura un établissement.

Par contre une société française ne doit publier qu'en France; si elle veut être reconnue à l'étranger elle devra suivre la loi étrangère pour tout ce qui est relatif à la possession des biens.

Ses statuts, le nombre de ses administrateurs, le mode de souscription et de répartition du capital, tout cela ce sont les conditions d'existence régies par la loi d'origine. En Italie notamment une société commerciale française est admise de plein droit, comme tous les étrangers, à la jouissance des droits civils Code civ. ital. art. 3. Mais là où elle acquiert des biens, où elle se met en rapport de commerce avec des tiers, elle devra suivre la loi du pays.

4. En conséquence nous estimons inutile la publication faite selon le mode établi par la loi française dans les localités de l'étranger où la société possède des établissements, au point de vue de la validité de la constitution de la société,

Quand la société voudra être reconnue à l'étranger, elle devra, au contraire, suivre pour les publications la loi du pays où elle possède ses usines. C. LEFEVRE,

Dr en droit, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats

près le tribunal de Marmande.

Questions et Solutions pratiques

de Droit international privé.

Donation préciputaire par un père espagnol à sa fille sujette italienne. Biens meubles et immeubles situés en France et Conflit des lois française et espaen Espagne.

43.

gnole.

- Validité.

Quel effet la donation par préciput faite dans un contrat de mariage par un père espagnol à sa fille sujette italienne, contrairement à la loi espagnole, mais conformément à la loi française, peut-elle produire sur les biens, meubles et immeubles situés en France et en Espagne?

Le jugement rendu par le tribunal civil de la Seine (3e chambre) du 31 juillet 1879 (Journal 1881, p. 355) en reconnaissant pour valable la donation préciputaire faite en vue de la dot, par le comte Garcia, sujet espagnol, à sa fille Maria-Emma, aujourd'hui comtesse Antonelli, a violé la loi espagnole.

Pour déterminer avec précision les raisons sur lesquelles est fondé notre avis, nous transcrivons les termes du jugement, que nous critiquons: « Attendu que par son contrat de mariage reçu par Me Appoloni, notaire à Rome, le 21 avril 1870, le comte Garcia a constitué à sa fille Maria-Emma, aujourd'hui comtesse Antonelli, une dot de 200,000 francs, et lui a donné par préciput et hors part le quart des biens qu'il laisserait à son décès; Attendu que la dame Jannesse et Ramond Garcia prétendent que cette donation doit être annulée parce qu'aux termes de la loi espagnole une fille ne peut recevoir aucune libéralité avec dispense de rapport par contrat entre vifs en vue de la dot ou à raison de son mariage; - Attendu qu'en admettant que ce soit là la législation espagnole, il n'y a pas lieu d'annuler la donation dont s'agit; qu'il est de doctrine que l'étranger peut disposer des biens qu'il possède en France conformément à la française, encore que le mode de disposition qu'il entend adopter soit proscrit par la loi de son pays; que la quotité des biens dont l'étranger peut disposer à titre gratuit, en ce qui concerne les immeubles qu'il possède en France se détermine uniquement d'après la loi française et sans égard aux biens qu'il possède à l'étranger; qu'il s'ensuit que la donation préciputaire faite à la comtesse Antonelli peut s'exercer dans tous les cas sur les immeubles que son

père a laissés en France, qu'il est à remarquer d'ailleurs que ladite donation préciputaire, quoique faite entre vifs et ayant par conséquent un caractère irrévocable, ne concerne que les biens que le donateur laissera à son décês; que c'est là une donation d'une nature mixte, une institution contractuelle qui ne paraît pas défendue par a loi espagnole, et qui est, dans tous les cas, autorisée par les articles 1082 et suivants du Code civil;

Par ces raisons, lė tribunal « maintient tant au point de vue de la loi espagnole que de la loi française l'institution contractuelle consentie par le comte Garcia à la comtesse Antonelli à titre de préciput et hors part dans son contrat de mariage, et il dit qu'elle sera exécutée tant sur les biens situés en France que sur les biens situés à l'étranger. »

Le caractère international de la question est évident, puisque la nationalité espagnole du comte Garcia, de la succession duquel il s'agit, est reconnue, que son fils, le comte Garcia de Palmira, est également sujet espagnol, que la comtesse Antonelli est italienne, et qu'il y a dans la succession des biens immeubles situés à PortoRico, colonie espagnole. Nous croyons donc nécessaire d'exposer quelques considérations générales de droit international, quoique nous ne prétendions pas réfuter la doctrine établie dans le jugement au sujet de la disposition des biens immeubles situés en France, connaissant les prescriptions de la loi française et l'esprit avec lequel l'interprète la jurisprudence des tribunaux.

Personne n'ignore qu'il s'est fait dans le progrès de la science juridique un changement décisif, non seulement dans la conception rationnelle de la propriété, mais encore dans les institutions légales qui la réglementent. La propriété s'est transformée d'institution politique en institution civile, elle ne dépend pas du souverain comme dans l'organisation féodale, dans laquelle l'homme suivait la condition de la propriété; mais, au contraire, aujourd'hui le droit de propriété suit la condition de la personne, et le droit de succession est régi par le droit de famille. En vertu de cette transformation essentielle, toutes les législations modernes reconnaissent et sanction. nent le principe que l'état et la condition juridique des personnes doivent être réglés par la loi de la nation à laquelle elles appartiennent, pourvu qu'elle ne soit pas en contradiction avec les principes d'ordre public de l'État dans lequel l'individu demeure. Excepté en ce qui pourrait porter atteinte au régime de la propriété et à l'intérêt économique, agricole ou politique de l'Etat, comme par exemple le majorat, la transmission des fiefs, des fideicommis, des biens substitués qui ne pourraient avoir d'effets daas un Etat qui aurait

complètement aboli le régime héréditaire féodal, les droits successoraux sont déterminés aujourd'hui par la loi nationale. Ainsi, partout disparaît la prédominence des lois réelles; l'étroit esprit féodal de l'Angleterre même, ainsi que le prouve l'acte de 1870, cède devant la suprématie rationnelle de l'élément personnel. La législation et la jurisprudence dans tous les pays où le progrès social a fait reconnaître dans la nature de l'homme l'origine du droit, tendent à se régler sur le principe que la propriété appartient aux particuliers, et qu'à la souveraineté appartient seulement l'empire sur le territoire. Ce principe a été consacré entièrement et explicitement dans le Code civil italien et dans la jurisprudence espagnole.

L'article 8 du Code italien prescrit que « la succession doit être régie par la loi nationale de la personne, de quelque nature que soient les biens et dans quelque pays qu'ils soient situés »; disposition qui, dans le cas présent, mériterait d'être tenue en compte parce que, croyons-nous, la comtesse Antonelli est en ce moment sujette italienne. La Cour de cassation (Tribunal supremo) d'Espagne a rendu deux sentences qui méritent aussi une mention spéciale. Dans la première du 6 novembre 1867 elle a établi que « le statut personnel régit tous les actes qui se rapportent au point de vue civil à la personne de l'étranger, se soumettant aux lois en vigueur dans le pays dont il est sujet, et décidant d'accord avec elles toutes les questions d'aptitude, de capacité et de droits personnels, parce qu'en procédant différemment on introduirait la perturbation et il deviendrait facile d'éluder les droits de la patrie qui protègent les droits des nationaux en même temps qu'elles leur imposent des obligations corrélatives. Cette raison sur laquelle repose la sentence de la Cour de cassation (Tribunal supremo) de Madrid est nette et décisive dans son application au cas présent puisque la donation faite à la comtesse Antonelli est une perturbation dans le droit de famille établi par la loi espagnole et qu'elle atteint les intérêts d'un sujet espagnol, le comte Garcia de la Palmira. Il est par conséquent absolument impossible qu'elle puisse prévaloir là où s'étend la juridiction d'Espagne. En déterminant plus encore le principe consacré par la sentence ci-dessus, la même Cour de cassation (Tribunal supremo) a décidé, en date du 27 novembre 1868, que la loi nationale de chaque individu, régit ses droits personnels, sa capacité de transmettre par testament ou ab intestat et le régime de son mariage ou de sa famille ». C'est d'après cette jurisprudence qui, comme on le sait, a force de loi en Espagne, qu'a été consacrée la doctrine de la suprématie du statut personnel sur la loi territoriale, doctrine qui constitue un des plus grands progrès de la science juridique.

Nous avons exposé ces considérations, moins avec l'intention de combattre le criterium à l'aide duquel il a été fait application du Code civil français au jugement qui nous occupe, qu'avec le propos de relever les principes du droit international qui déterminent les relations des statuts personnel et réel ici en cause, et d'exposer la jurisprudence en vigueur dans cette matière en Espagne, c'est-àdire devant les tribunaux où M. Jannesse et M. le comte Garcia de la Palmira devront à la fin faire valoir leurs prétentions, dans le cas où ledit jugement serait confirmé.

Nous ne prétendons donc pas discuter le principe de la lex rei sitæ conformément auquel les tribunaux français interprètent et appliquent l'article 3 du Code civil, bien que dans la théorie rationnelle du droit et dans la tendance que suit aujourd'hui l'évolution jurique ce soit au contraire le principe du statut personnel qui prédomine au point de constituer déjà, comme nous l'avons démontré, la doctrine légale dans quelques pays. Nous ne prétendons pas non plus opposer à la diversité irrationnelle des lois appliquées à une même succession, la conception rationnelle qu'avaient les Romains du patrimoine et sur laquelle se sont fondées des autorités aussi respectables que Savigny, Mittermaier, Fiore, pour affirmer que la succession est un ensemble indivisible, universitas juris, qu'elle représente de droit la personne du défunt avant la prise de possession par l'héritier, qu'elle ne peut être considérée dans un lieu plutôt que dans un autre, mais qu'elle doit être regardée certainement comme la continuation du défunt, et doit en conséquence être régie par la loi même à laquelle celui-ci était soumis.

Toutefois, si nous n'insistons pas sur cet ordre de considérations, nous ne pouvons pas nous empêcher d'établir qu'une fois le principe de la lex rei sita adopté, il faut nécessairement, à moins de tomber dans l'arbitraire et d'empiéter sur la juridiction d'un autre Etat, accepter la conséquence qu'il y a autant de successions que de pays différents dans lesquels se trouvent les biens immobiliers: quot sunt bona diversis territoriis obnoxia totidem patrimonia intelliguntur. D'autre part, il est nécessaire de distinguer la succession mobilière de la succession immobilière; et l'opinion unanime des auteurs (Foelix, Droit privé international, no 66; Demangeat, Condition des étrangers, p. 337; Schaffner, Droit privé international, § 132; Story, § 483; Zachariæ, Droit civil; Aubry et Rau, § 31, no 3; Demolombe, Traité de la publication des lois, n° 91) et la constante pratique judiciaire française (Merlin, Répertoire, vo Lois; Stewart, Journal du Palais, t. XXXVIII, p. 249: Cour de Paris, 1er février 1836, 3 février 1838, 14 juillet 1871, etc.; Cour de cassation, 8 dé

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