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incontestable que la loi de 1857 n'a pas été abrogée; elle ne l'a pas été d'une manière expresse, et elle ne pourrait l'ètre implicitement que dans les cas où ses dispositions seraient inconciliables avec une loi nouvelle.

Peut-on prétendre que cette inconciliabilité résulte du principe proclamé par la loi du 24 juillet 1867, qui supprime la nécessité de l'autorisation préalable autrefois exigée pour la formation en France des sociétés anonymes? Il n'existe aucun rapport entre l'objet de cette loi et les nécessités auxquelles a pourvu celle du 30 mai 1857. La loi du 24 juillet 1867 ne s'occupe en aucune manière des sociétés étrangères, et les modifications qu'elle a apportées à l'art. 37 du Code de commerce, n'ont pu entraîner au profit de ces sociétés l'abandon des conditions légales jugées nécessaires pour la garantie des intérêts nationaux. L'autorisation préalable autrefois exigée pour la formation des sociétés anonymes, a été remplacée en Francè par une réglementation minutieuse à laquelle doivent se soumettre rigoureusement les fondateurs des associations de cette nature. Le législateur a pensé que les tiers trouveraient dans cette réglementation une protection suffisante de leurs intérêts; mais il ne pouvait y assujettir les sociétés étrangères qui ne sont soumises pour leur constitution qu'à la législation de leur pays d'origine. Il n'existait dès lors aucun motif de renoncer à leur égard aux garanties de la loi du 30 mai 1857, et il n'y a d'ailleurs rien d'inconciliable entre les conditions imposées par la loi de 1867 pour la constitution des sociétés anonymes françaises, et les dispositions de la loi de 1857 qui n'admet à l'exercice de leurs droits en France, que les sociétés anonymes étrangères régulièrement constituées dans les Etats qui ont obtenu du gouvernement français l'autorisation jugée nécessaire pour leur permettre d'ester en justice.

Les gouvernements étrangers ne s'y sont pas trompés et, aucun d'eux n'a vu dans la promulgation de la loi du 24 juillet 1867 contenant la réglementation des sociétés françaises, une abrogation implicite des règles posées par la loi de 1857. Depuis cette promulgation, la Suisse, l'empire d'Autriche et les royaumes de Suède et de Norwège ont cru devoir solliciter, et ont obtenu du gouvernement français, en 1868 et 1872, les décrets qui étaient nécessaires pour assurer aux sociétés anonymes formées dans leurs Etats, l'exercice de leurs droits et la faculté d'ester en justice devant les tribunaux français.

Il faut reconnaître toutefois que la nécessité d'une autorisation du Gouvernement, exigée par l'article 37 du code de commerce pour la formation des sociétés anonymes, a pu être prise en considéra

tion lors de la présentation de la loi de 1857, et a pu avoir un certain poids dans la rédaction de l'article 1er de cette loi, qui vise expressément les sociétés soumises à l'autorisation du gouvernement Belge et qui l'ont obtenue. Mais la loi a été faite dans l'intérêt du commerce français et pour lui assurér une réciprocité en pays étranger. Or, cet intérêt serait lésé, si les sociétés étrangères pouvaient aujourd'hui être admises à l'exercice de leurs droits en France, sans distinction et sans que l'Etat auquel elles appartiennent ait obtenu un décret d'autorisation générale. Certaines sociétés anonymes étrangères jouissent en effet pour leur constitution, d'une liberté absolue, alors que celles fondées dans notre pays sont assujetties à une réglementation minutieuse. Pour éviter les avantages qui peuvent en résulter en leur faveur, il faut que le gouvernement français, avant de permettre aux sociétés étrangères d'agir judiciairement en France, conserve le droit d'examiner si la législation du pays où elles sont fondées, offre, au point de vue de leur constitution ou de leur fonctionnement, des garanties analogues à celles exigées par la loi française.

L'autorisation d'ester en justice prévue par la loi de 1857, n'a d'ailleurs aucun rapport avec l'autorisation préalable autrefois nécessaire pour la formation de nos sociétés anonymes. Le Conseil d'Etat, avant d'accorder cette autorisation préalable, examinait les statuts et imposait souvent certaines conditions qu'il jugeait utiles à la marche régulière des opérations de la société. Le gouvernement conservait un droit de surveillance sur chacune d'elles. La loi du 30 mai 1857 ne prévoit rien de semblable. Elle autorise toutes les sociétés régulièrement constituées dans les pays auxquels elle est rendue applicable par un décret spécial, à exercer leurs droits en France sans examiner leurs statuts, sans rechercher leur but et leur objet, et sans conserver aucun contrôle de leurs opérations. C'est une loi générale dont le bénéfice ne peut pas être réclamé par une société particulière, mais qui devient, par le décret sollicité et obtenu par le gouvernement du pays, applicable à toutes les sociétés anonymes qui seront créées régulièrement dans cet Etat. Elle a donc un objet complètement distinct des anciennes prescriptions de l'article 37 du Code de commerce, et il nous parait impossible que la modification apportée à cet article par la loi du 24 juillet 1867, au point de vue de l'autorisation préalable du gouvernement, ait pu porter atteinte aux dispositions de la loi de 1857. Cette loi est restée en vigueur à défaut d'abrogation expresse ou implicite, et il n'y a lieu dès lors, d'admettre à l'exercice de leurs droits devant les tribunaux français que les sociétés anonymes

étrangères formées dans les Etats qui ont obtenu du gouvernement F'autorisation nécessaire à cet exercice par un décret rendu conformément à son article 2.

Cette première solution ne nous paraît pas présenter de difficultés sérieuses. Mais les changements survenus dans la législation de plusieurs Etats européens relatifs à la constitution des sociétés anonymes, ont donné naissance à une question plus délicate. Nous avons dit qu'à la suite de modifications apportées en Angleterre aux . règles concernant la formation des sociétés commerciales par actions, dans le but d'accorder plus de latitude à l'établissement de ces sociétés, un certain nombre de nations, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, etc., avaient comme la France elle-même par la loi du 24 juillet 1867, supprimé la nécessité de l'autorisation préalable du gouvernement exigée pour la constitution des sociétés anonymes. Or, l'article de la loi du 30 mai 1857 n'accorde l'exercice de leurs droits en France qu'aux sociétés anonymes étrangères et aux associations commerciales, industrielles ou financières soumises à l'autorisation de leur gouvernement et qui l'ont obtenue. Faut-il en conclure que les Sociétés anonymes, fondées dans les pays qui ont obtenu du gouvernement français l'application à leur profit de l'article 1er de la loi de 1857, mais qui n'ont plus besoin d'autorisation préalable de leur gouvernement, par suite du changement survenu à cet égard dans la législation de leur pays, ne doivent pas être admises à invoquer le bénéfice de la loi du 30 mai 1857? En un mot, les sociétés anonymes créées sans autorisation dans les pays où cette formalité n'est plus nécessaire, peuvent-elles être admises à ester en justice en France, en vertu des décrets antérieurs rendus conformément à l'article 2 de la loi de 1857?

Pour refuser à ces sociétés étrangères l'exercice de leurs droits en France, on se fonde sur les termes de l'art. 1er de la loi de 1857, qui ne vise que les sociétés qui ont obtenu l'autorisation du gouvernement. La capacité juridique de ces sociétés est, dit-on, de droit étroit, et elle ne peut pas être étendue par les tribunaux qui n'ont pas à apprécier si les garanties résultant des lois étrangères sont équivalentes à une autorisation préalable ou aux précautions exigées par la loi française. Un savant professeur de droit de la faculté de Lyon, M. Thaller, a soutenu cette thèse avec une grande habileté dans le Journal des Sociétés. Suivant lui « la loi de 1857 n'habilite << pas toutes les sociétés quelles qu'elles soient, ni même toutes les << sociétés anonymes présentes ou futures. Elle n'habilite que les « sociétés autorisées; si notre territoire et notre marché leur sont << ouverts d'une manière générale, c'est parce que ces sociétés ont

<< subi chez elles l'épreuve d'un examen administratif et remporté < un diplôme de capacité. Régulièrement, l'action de ce diplóme ne << devrait s'exercer que dans les limites de leur territoire, mais << nous avons consenti par avance à lui donner effet chez nous. Le « décret étranger a devant nos tribunaux toute la force qu'aurait un « décret rendu par notre gouvernement. C'est en considération de « l'autorisation qui lui a été donnée en Belgique (ou dans les pays « où la loi a été rendue applicable) que la société est reconnue par << nous. En d'autres termes, la loi de 1857 était un acte de courtoisie « vis-à-vis du gouvernement belge, une reconnaissance discrète de <la sagesse dont il faisait preuve dans l'examen des statuts de so«ciétés. Voilà tout. Aujourd'hui le gouvernement belge n'a plus à <exercer le droit de veto que l'ancienne législation lui accordait. « Les garanties qu'offraient les sociétés anonymes ont disparu depuis qu'elles peuvent librement se constituer. L'autorisation << cessant, les effets de la loi cessent en même temps (1). »

Il était utile de rapporter textuellement le résumé de l'argumentation du savant professeur qui, bien que spéciale à la Belgique, serait applicable à tous les Etats qui ont obtenu de jouir du bénéfice de la loi de 1857, et qui ont depuis cette époque supprimé la nécessité d'une autorisation préalable de leur gouvernement pour la formation des sociétés anonymes. Cette argumentation serait excellente et sans réplique, si la loi française avait maintenu l'autorisation du Conseil d'Etat qu'elle considérait comme indispensable pour donner aux tiers et au commerce les garanties nécessaires à la sauvegarde de leurs intérêts. Mais le législateur a pensé au contraire, que cette autorisation pouvait être utilement remplacée par une réglementation générale applicable à toutes les sociétés anonymes. Tel a été l'objet de la loi du 24 juillet 1867 qui, dans les dispositions relatives aux sociétés de cette nature, les soumet à l'accomplissement de conditions et formalités jugées suffisantes pour remplacer l'autorisation préalable autrefois exigée par l'art. 37 du code de commerce. Comment, en présence de cette modification de la loi française, les tribunaux de notre pays pourraient-ils déclarer qu'à l'égard des sociétés étrangères, l'autorisation de leur gouvernement demeure indispensable et n'a pas pu être remplacée par une réglementation qui est considérée comme suffisante par la législation du pays auquel elles appartiennent. Par quels motifs refuseraient-ils aux

(1) Dissertation de M. Thaller, Journ. des sociétés, 1881,p 312: Conf.. Trib. comm. Seine, 14 octobre 1879; Analogo : Trib. Seine, 11 mai 1880; Journ. des sociétés, 1880, p. 144.

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sociétés anonymes régulièrement constituées en vertu de cette nouvelle législation, le droit d'ester en justice et de comparaître à leur barre, comme si elles avaient été créées avec une autorisation préalable dont la loi de leur pays les dispense, et qu'elle ne leur permet même pas d'obtenir. Les garanties qu'elles doivent offrir n'ont pas disparu elles ont seulement changé de nature. Elles résultent des formalités multiples auxquelles ces sociétés sont aujourd'hui soumises par les lois des divers Etats qui ont renoncé à exiger l'autorisation préalable, et identiques ou analogues à celles auxquelles les sociétés anonymes françaises sont assujetties par la loi du 24 juillet 1867. « Si ces conditions, dit M. Pont, si cette réglementation dans un pays où les sociétés peuvent s'établir librement, présentent des garanties équivalentes à celles que donnerait l'autorisation préalable elle-même, il n'y a aucune raison pour que le gouvernement n'use pas à l'égard de ce pays, du droit que lui confère l'art. 2 de la loi, d'habiliter en masse par décret les sociétés qui s'y sont librement formées (1). »

On objecte que le gouvernement français ne peut pas imposer aux pays étrangers l'accomplissement des conditions et formalités qu'il juge nécessaires pour assurer au commerce les garanties désirables, et qu'au moment où certains décrets pris en exécution de la loi du 30 mai 1857 ont été rendus, il a pu compter sur le maintien de l'autorisation préalable. Cette objection n'est pas sérieuse. Il est toujours loisible au gouvernement de retirer la faculté qu'il a concédée aux sociétés anonymes de quelques pays étrangers, d'exercer leurs droits devant les tribunaux français. Si la législation nouvelle de ces pays semblait ne plus offrir au point de vue du fonctionnement des sociétés anonymes les garanties nécessaires, il pourrait dénoncer le décret et retirer ainsi aux sociétés la faveur qu'il leur avait précédemment accordée. Si cette mesure n'est point prise par le gouvernement, les tribunaux doivent penser qu'elle n'a pas paru utile, et dès lors, ils ne peuvent refuser de reconnaître à ces sociétés l'exercice de leurs droits, par ce seul motif qu'elles ont été fondées sans autorisation préalable, mais conformément à la législation de leur pays où cette formalité n'est plus exigée pour la formation des sociétés anonymes.

La doctrine que nous soutenons est une conséquence logique du principe admis par la loi du 24 juillet 1867 qui, en supprimant la nécessité de l'autorisation préalable du Conseil d'Etat, a fait rentrer les sociétés anonymes dans le droit commun qui régit

(1) Séance du 28 avril 1857, Moniteur, annexe 6, p. 28.

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