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54 ACTIONS EXERCÉES EN FRANCE PAR LES SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES.

d'ailleurs basée sur des motifs de haute équité. Elle prévient le scandale que présenterait l'établissement en France, de sociétés anonymes étrangères fondées avec les capitaux français, en dehors des conditions imposées par la loi française et par la législation de leur pays d'origine, et qui n'étant pas soumises à la juridiction des tribunaux ordinaires, auraient pu violer impunément leurs engagements en se couvrant du vice même de leur constitution.

En résumé les questions concernant le droit reconnu aux sociétés étrangères d'agir en justice et de plaider comme demanderesses devant les tribunaux français, doit se résoudre d'après les distinctions établies par la loi du 30 mai 1857, mais en tenant compte des modifications survenues dans la législation étrangère. Les sociétés anonymes ou autres associations commerciales qui ne peuvent être fondées en pays étranger qu'avec une autorisation préalable de leur gouvernement, ne sont admises à exercer une action judiciaire devant les tribunaux français, que si le pays auquel elles appartiennent a obtenu une autorisation générale à cet effet, par décret rendu en Conseil d'Etat, dans les termes de l'art. 2 de la loi de 1857. Mais si, depuis l'obtention de ce décret, la législation du pays où elles sont créées a dispensé les fondateurs des sociétés anonymes ou autres associations, d'obtenir une autorisation préalable, ces sociétés restent malgré cette modification de la législation, recevables à ester en justice devant les tribunaux français en exécution du décret précédemment rendu.

Les sociétés étrangères actionnées devant les tribunaux français en raison des engagements ou obligations qu'elles ont contractés envers un Français, doivent toujours être admises à se défendre et à plaider devant ces tribunaux, alors même que l'Etat auquel elles appartiennent n'aurait pas obtenu du gouvernement français un décret leur assurant l'exercice de leurs droits en France, dans les termes de la loi de 1857. Dans ce cas, elles doivent être considérées comme des associations de fait, n'ayant aucune existence légale comm>> personne civile ou morale, mais dont les membres sont tenus personnellement des engagements contractés, et soumis à ce titre à la juridiction des tribunaux français.

AMB. BUCHERE,

Conseiller à la cour d'appel de Paris,

135; Paris, 9 mai 1865. Dalloz, 65, 2, 106; Sirey, 66, 2, 116. Amiens, 2 mars 1865. V. en ce sens, Buchère, Traité des val. mob., 2o édit., nos 522 et suiv.

De la saisie-arrêt pratiquée en France par un étranger sur un Français.

Cette question d'une grande importance pratique mérite d'être examinée dans son fondement juridique. La faculté de saisie-arréter les deniers ou effets appartenant à un Français a été quelquefois contestée en justice à l'étranger par des raisons spécieuses assez difficiles à reproduire à cause de leur manque de netteté (V. notamment aff. King c. Saige, Tillet, etc., Référé. Le Droit, 4 mars 1882) (1). On a rappelé que la situation juridique de l'étranger en France avait donné lieu à trois systèmes. Le premier admettait que l'étranger jouissait en France de tous les droits civils qui ne lui avaient pas été formellement ou implicitement refusés par un texte de loi (Zachariæ, I, § 76; Demangeat, no 56; Valette, Explic. somm., p. 408-416). D'après le second, diamétralement opposé, les étrangers ne jouiraient en France que des droits qui leur auraient été expressément ou tacitement accordés (Demolombe, 1, 240-246 bis). Le troisième système distingue entre les facultés et avantages généralement considérés par les peuples civilisés comme rentrant dans le droit naturel et ceux qui ont leur source au contraire dans le droit national ou propre à chaque peuple. Les étrangers jouiraient des droits de la première catégorie; ceux de la seconde ne leur appartiendraient que dans les conditions prévues par les articles 11 et 13 C. civ. (Aubry et Rau, I, p. 294; Proudhon, I, p. 155; Duranton, I, 359; Troplong, de la Prescription, I, 35.)

Pour refuser à l'étranger le droit de saisir-arrêter les sommes dues à un Français, on n'insiste pas d'ailleurs sur la nécessité de prendre parti au sujet de cette thèse tripartite. On soutient que même en concédant à l'étranger la situation la plus favorable, celle qui découle de la première opinion et accorde tous les droits à l'étranger, sauf les interdictions formelles ou implicites des textes, il ne peut user contre un national d'un mode d'action tout à fait exceptionnel et dont il est parfois difficile de mesurer les effets redoutables.

Comment, dit-on, un homme qui ne se rattache pas à la patrie française, qui n'y a aucune assiette, n'y possède souvent ni meubles ni immeubles, pourrait-il prendre à l'égard d'un Français une me

(1) II importe de faire observer que le président des référés a été déterminé à rapporter son ordonnance dans cette affaire non par l'opinion que le droit de saisir-arrêter n'appartenait pas à un étranger, mais par des considérations de fait.

sure qui, en coupant le crédit et paralysant les affaires de ce dernier, est susceptible d'entraîner les conséquences les plus funestes? Où le Français ira-t-il plus tard chercher une réparation si la saisiearrêt a été portée à tort? L'impunité presque assurée à un homme sans surface en France ne le conduira-t-elle pas à abuser de cette mesure? Enfin, on ajoute subsidiairement qu'alors même que l'étranger pourrait recourir à cette voie extraordinaire, il ne saurait se soustraire à l'obligation du dépôt préalable d'une caution. Et l'on cite, à titre d'exemple, l'article 47 de la loi de 1844 sur les brevets d'invention qui dispose que « le cautionnement sera toujours imposé à l'étranger breveté qui requerra la saisie ».

Il semble, comme on peut s'en convaincre, que cette opinion repose sur une conception plus sentimentale que juridique des relations de débiteur à créancier. Dans cet ordre d'idées cependant, la situation d'un Français ne nous paraît pas plus intéressante, que la nationalité de son créancier soit différente ou non de la sienne. La saisiearrêt suppose une créance; la créance n'a pas de nationalité: « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers », dit l'article 2093, sans ajouter, ce qui eût été une iniquité, des créanciers français. Quel abus a-t-on à craindre de l'étranger? Il ne peut recourir à la procédure de saisie-arrêt que dans les cas prévus par la loi, c'est-à-dire s'il est porteur d'un titre authentique ou sous seing privé, ou s'il est autorisé par le juge. Dans les deux premiers cas, c'est le débiteur lui-même qui s'est reconnu cette qualité ou en a été convaincu par jugement. De quoi se plaint-il? Il est maître de sortir immédiatement de cette situation en désintéressant son créancier. En cas de permission de juge, les magistrats ne sontils pas là pour ne répondre les requêtes qui leur sont présentées qu'à bon escient et qu'après avoir examiné les présomptions de créance, sous la réserve d'ailleurs d'en discuter en référé le caractère et la probabilité. Cette procédure de conservation n'est donc mise en œuvre par l'étranger, comme par les nationaux, que sous les garanties précises que la loi a organisées; si l'étranger y "ecourt, c'est qu'il est fondé en titre ou que ses droits, soigneusement examinés par le juge, sont certains.

Ce qui est incontestable, c'est que la base juridique de ce droit est aussi solide pour les étrangers que pour le national. D'abord, aucun texte de loi ne les en prive ni expressément ni implicitement, comme ils sont privés par exemple du bénéfice de la cession de biens (art. 905 C. proc. civ.).

La faculté de saisir-arrêter les biens de son débiteur, en vertu de titres ou de permission du juge, est ouverte par les articles 557 et

558 C pr. civ. à « TOUT créancier ». L'expression du Code est aussi universelle et compréhensive que possible: c'est un avantage inhérent à la nature du droit et non à l'état ou à la qualité de la per

sonne.

Ce texte spécial à la matière est corroboré d'ailleurs par les quelques articles du Code civil qui posent les règles du droit international privé telles qu'elles étaient entendues par le législateur français en 1804. L'article 14 du Code divil décide que le Français pourra distraire l'étranger de ses juges naturels et le traduire devant un tribunal français en quelque lieu que l'obligation ait été contractée.

Par un juste retour de justice distributive, l'article 15 dispose que l'étranger pourra traduire le Français devant la juridiction française pour des obligations contractées en quelque lieu que ce soit. Cette faculté ouvre à l'étranger contre le national toutes les actions judiciaires que la loi française reconnaît. Il est autorisé à user pour la sauvegarde de ses droits de toutes les mesures que la loi met à la disposition du créancier, et au premier rang de celles que l'on peut considérer comme d'ordre public, telles que les mesures de conservation dont le but répond à une idée de moralité absolue, qui est d'empêcher un débiteur de se soustraire à l'obligation de payer ses dettes. Enfin, et en prenant la question d'une façon générale, quelle que soit l'opinion que l'on ait sur la condition juridique de l'étranger en France, on lui reconnaît le droit qui appartient à tout membre de la communauté humaine de contracter, acheter, vendre, trafiquer librement sous la sanction des lois. Il a qualité pour acquérir toutes sortes de biens, meubles ou immeubles, de droits ou d'objets corporels, ensemble les servitudes, privilèges ou hypothèques qui en forment l'apanage légal. Comment lui contester l'acquisition de l'accessoire si celle du principal ne souffre même pas la discussion? Sur quoi se for derait-on pour diviser ce qui est indivisible, pour scinder les parties d'un même tout et tenter une analyse à laquelle résiste la nature même du rapport de droit dont il est traité ici? Personne n'a songé du reste à détacher ce qui n'est séparable que dans l'abstraction pure et ce que le droit concrétisé, sous forme de de législation positive, n'a jamais désuni. Cette pensée ne pouvait venir d'ailleurs à qui considère la nature du lien qui retient l'accessoire au principal.

En effet, les avantages accordés par la loi à la situation de créancier sont attachés à la qualité de la créance et non à la condition du sujet de droit. Est-ce que l'hypothèque judiciaire n'appartient pas à la créance fondée en jugement rendu par un tribunal français, même au profit d'un étranger contre un Français ? Est-ce qu'un

éti anger, créancier d'un Français, pour gages ou fournitures de subsistances, n'exercera pas sur les meubles de son débiteur français le privilège de l'article 2101 du C. civ.? Est-ce qu'un étranger, tiers porteur d'une lettre de change acceptée ou endossée par un Français, ne saisira pas conservatoirement les effets mobiliers de celui-ci, en vertu de l'article 172 C. com. ? Et le propriétaire étranger ne pratiquera-t-il pas sur les meubles de son locataire français la saisie-gagerie prévue par l'article 819 C. pr. civ.?

Il n'y a pas de doute sur ce point. L'article 2095 a rappelé en termes exprès la véritable nature du droit en cette matière : « Le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier, etc., »

Il faut même aller plus loin. Il n'est pas douteux que l'exécution d'une condamnation prononcée par la juridiction criminelle, correctionnelle ou de police, au bénéfice d'un étranger contre un natio nal, ne puisse être poursuivie par la voie de la contrainte par corps, conservée en cette matière par l'article 2 de la loi du 22 juillet 1867. Cette contrainte est en effet accordée en considération de la nature de la créance et non de la condition particulière du créancier. C'est à une catégorie de jugements et non de personnes que la loi, dans un intérêt d'ordre public, a maintenu la sanction plus efficace de la législation antérieure.

Or, la loi a aussi attaché aux créances ordinaires certains privilèges ou droits accessoires énumérés aux articles 557 et 558 C. pr. civ., tels que la faculté de frapper d'indisponibilité, en quelques mains que ce soit, les sommes appartenant au débiteur non payant. C'est un avantage résultant de la nature du droit et auquel la condition de créancier demeure indifférente, quel que soit l'intérêt qu'il mérite, ou au contraire, dans certaines hypothèses, l'indignité qu'il ait encourue. L'avantage est inhérent à la créance; il passe avec elle dans les différentes mains qui se la transmettent.

Faire dépendre l'exercice de ce droit de la nationalité de celui qui l'exerce, c'est méconnaître le caractère même qui unit le principal à l'accessoire, c'est vouloir ménager l'impunité du débiteur français au détriment de son créancier. La loi n'a eu nulle part une intention aussi contraire à l'équité (1).

Mais le juge de qui un étranger sollicite la permission de frap

(1) Parmi les mesures conservatoires que l'on peut exercer contre l'étranger, Felix (t. I, no 260) énumère la saisie-arrêt, et il ajoute : laquelle, du reste, peut être exercée également contre le débiteur français ».

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