égards l'observation de la loi du tribunal qui sera saisi postérieurement est impossible. Ce tribunal ne peut pas, en effet, étre déterminé par avance. D'après ce qui a été dit plus haut, la jurisprudence française reconnaît compétence en notre matière à un assez grand nombre de tribunaux divers. Sans doute l'on est tenté d'objecter que précisément le capitaine du navire abordé a le chois entre ces tribunaux, et que c'est à lui à conformer sa conduite à la législation en vigueur dans le pays où siège le tribunal qu'il a le projet de saisir par la suite. Mais, en faisant cette objection, on te tient pas compte de ce que souvent il est difficile que le capitaine sache à l'avance le tribunal qui sera saisi. Le hasard a bien sur la détermination de ce tribunal une certaine influence. Il est souvent prudest de porter l'action en dommages-intérêts devant un tribunal du port où le navire abordeur est rencontré. Ce port ne peut être connu tant que le navire abordeur n'y est pas trouvé. Ce n'est pas tout. Admettons un instant, au moins pour les besoins de la discussion, que le capitaine du navire abordé doive cornaitre la législation du pays du tribunal qu'il aura à saisir, parze que souvent ce tribunal siégera dans le pays du navire abordeur. On imposerait parfois ainsi au capitaine du navire abordé une obligation impossible à remplir. L'abordage peut avoir lieu la nuit, le navire abordeur peut avoir, même le jour, continué sa route après l'abordage sans permettre de reconnaitre son pavillon, Fardra-t-il donc que le capitaine du navire abordé remplisse dans le prochain port où il s'arrêtera les formalités prescrites par les lois de toutes les nations pour la conservation des actions en dommagesintérêts ? Faudra-t-il qu'il se mette en mesure de plaider devant toutes les juridictions du monde ? Frappé des conséquences iniques et presque absurdes auxquelles conduit le système généralement suivi, un de nos meilleurs juriscope sultes (1) a proposé un système nouveau qu'il recommande surtout pour le cas où l'abordage a eu lieu en pleine mer. Après avoir exposé la doctrine selon laquelle les fins de non-recevoir dépendent de la loi de la juridiction saisie et avoir indiqué que cette doctrine peut être considérée comme établie en France, notre savant et honoré maitre, M, Labbé, s'exprime dans les termes suivants : « La raison « est-elle bien satisfaite de cette décision? N'y a-t-il pas des faits « qu'il n'est pas juste, logique, de placer sous l'empire de telle ou « telle législation positive ? Tout le monde, aujourd'hui, sent le be dans le Journ. du « soin de tracer, par un accord entre les nations, des règles de « droit international maritime pour ce qui se passe en pleine mer. « Faut-il attendre les résultats d'un congrès pour donner à la jus« tice un mouvement plus équitable à l'égard des étrangers ? Notre « loi a-t-elle été faite pour régir des personnes qui ne lui étaient « soumises, ni par le lien de la nationalité, ni par le lieu du séjour « au moment des faits litigieux ? Nous ne proposerons pas de sub« stituer la loi positive arbitraire du demandeur à celle du défen« deur ou à celle du tribunal. Le fait, à notre avis, par la diversité « de la nationalité des parties et par le lieu de son accomplissement, « échappe à toute loi positive. Il reste, sous la loi qui régit l'huma« nité tout entière, le droit des gens, disaient les Romains, qui ont « fini par le confondre avec le droit naturel. Le droit des gens, le « droit commun des nations maritimes, la raison humaine esigent « de la part du capitaine dont le navire a été endommagé ou a péri « par la faute d'autrui une protestation aussi prompte que possible. « Notre délai de vingt-quatre heures, tempéré par l'excuse de l'im« puissance comme le fait notre jurisprudence, répond peut-être « assez bien à cette idée. Mais devons-nous admettre, comme une « nécessité de justice absolue, une signification du protêt plus « prompte que l'introduction de la demande en justice. Un retard « de quelques jours dans le recours direct contre l'auteur présumé « du dommage doit-il être objecté à un demandeur étrauger si, s d'ailleurs, il est démontré qu'il a agi de bonne foi et qu'il a usé « d'une diligence raisonnable; si surtout le retard n'a pas rendu « plus difficile à constater la cause des événements, la faute des « parties. Nous proposons donc au juge de statuer selon sa rai« son, sans le secours d'une loi positive. Oui, en attendant une loi « internationale vraiment applicable à de semblables litiges. Cela « est-il inoui ? Notre législateur lui-même, en ordonnant au juge de « statuer dans le silence de la loi positive, l'invite à suppléer par sa « raison et par le droit naturel à l'absence de textes écrits et pro« mulgués (art. 4, C. civ.)... » On ne saurait nier que ce système est fort ingénieux et fort séduisant. Cependant nous le croyons quelque peu entaché d'arbitraire. Le juge doit sans doute suppléer par sa raison et par le droit naturel à l'absence des textes écrits. Mais précisément en notre matière il y a des textes écrits ; on en trouve, soit dans le Code de commerce français, soit dans les lois ou dans les codes étrangers. C'est du conflit de ces lois ou de ces codes que nait la difficulté. En présence de leurs dispositions contradictoires, à quelle loi faut-il recourir ? Telle est l'unique question. C'est, à notre sens, la supprimer et non la résoudre que d'appliquer la loi naturelle, c'està-dire la règle qui paraît au juge être la plus conforme à la raison, abstraction faite de toutes les législations positives. Il faut, croroasnous, s'en tenir invariablement, en quelque lieu qu'arrive l'abordage et quel que soit le tribunal 'saisi, à la loi du navire abordé. Le capitaine de ce navire n'a pas à se plaindre qu'on lui applique la loi qu'il doit avant tout connaitre, celle sous l'empire de laquelle il a été chargé de la direction du bâtiment. 65. Nous arrêtons ici ces études de droit international privé maritime. Ce n'est pas assurément qu'il n'y ait d'autres conflits de lois nombreux et difficiles se rattachant au droit maritime. Il s'en élève un grand nombre, spécialement à propos de l'affrétement et des as surances ; mais ces conflits sont résolus à l'aide des principes génsraux. Nous ne les examinons pas, par suite, ici, malgré le haut intérêt qu'ils présentent. Notre but était seulement de démontrer, par l'examen d'un certain nombre de questions, qu'en matière maritime, il y a lieu souvent, en présence des divergences des législations, de ne pas tenir compte des principes ordinaires pour s'attacher à la loi du pavillon. Sur bien des points, la jurisprudence et la doctrine, soit en France, soit dans les pays étrangers, n'adoptent pas cette idée générale. Nous croyons que l'avenir lui appartient (1) et que, gråce à elle, on échappera aux graves inconvénients que présente la diyersité des lois maritimes, en attendant l'époque pent-être encore éloignée où les nations adopteront une législation maritime com mune. Ch. Lyon-Caen, et à l'Ecole des sciences politiques. (1) Nous pouvons à cet égard signaler d'excellents symptômes. M. Pasquale Fiore, dans un article récemment paru (La legge, 1882, no 9. p.317 et suiv.), défend la doctrine de l'application de la loi du pavillon. Notre collègue et ami, M. Renault, adhère, dans un grand nombre de cas au moins, à cette doctrine. Rappelons, comme nous avons eu l'occasion de l'indiquer au début de ces articles, que la même opinion a été soutenue avec une grande force à propos de cas supérieur par M. Labbé, par M. de Courcy et par notre rédacteur en chef et ami, M. Clunet. Au mois de septembre 1882, M. Asser, dans un projet de résolutions sur le conflit des lois com mmerciales, présenté à l'Institut de droit international reconnait que « par rapport aux navires la substitution de la loi nationale à la lex rei sitä se recommande en théorie. » Des droits de mutation par décès sur les biens dépendant de la succession d'un étranger, en France et en Suisse. Note de la direction générale de l'enregistrement du 20 juin 1882 à M. le ministre des finances (1). Monsieur le ministro, Par une dépêche du 19 fév. 1882, M. l'ambassadeur de France en Suisse a signalé à M. le ministre des affaires étrangères une question de droit international qui lui parait de nature à appeler l'attention du gouvernement et qui a été récemment soulevée à la suite d'un décès survenu en Suisse. Mlle L... est décédée à Lausanne, laissant son frère pour héritier. D'après les indications fournies par le département des affaires étrangères, la défunte, qui était de nationalité française, avait conservé son domicile en France. Elle ne parait avoir eu à Lausanne qu'une simple résidence temporaire. Son hérédité ne comprend aucun immeuble en Suisse. Elle se compose exclusivement de valeurs de Bourse nomi. natives françaises, déposées en France au siège de la compagnie débítrice. M. L.., héritier de sa sœur, a payé au Trésor français, en décembre 1881, les droits de mutation par décès sur ces valeurs. Il pensait ainsi avoir satisfait à toutes les obligations fiscales créées par le décès de Mlle L., mais il a été mis en demeure, par le juge de paix de Lausanne, de fournir un état détaillé de tous les biens meubles et immeubles dépendant de la succession de la défunte et d'acquitter sur la totalité de ces biens l'impôt réclamé par le canton. M. L... a refusé de se soumettre à cette exigence en se fondant sur ce que, d'après l'article 5 du traité franco-suisse du 15 juin 1869, la succession de sa soeur devait être considérée comme ouverte en France. Cette interprétation a été repoussée par le Conseil d'État cantonal par le motif que le traité de 1869 aurait uniquement établi des principes de droit civil et de compétence, ne pouvant porter aucune atteinte à l'exercice des droits de souveraineté et, par suite, à l'exigibilité des taxes fiscales édictées par les lois. Le conseil d'État a prescrit, en conséquence, au juge de paix d'insister pour obtenir le recouvrement des droits. M. L... s'est alors adressé à M. l'ambassadeur à Berne pour lui soumettre la difficulté, dont la solution peut intéresser, dans l'avenir, un grand nombre de nationaux français. M. Arago fait remarquer, tout d'abord, qu'il (1) V. Journ. de l'enregistrement, no 21. 930. n'existe aucune uniformité dans les diverses législations en vigueur dans les différents cantons; il est, dès lors, indispensable de se bore ner à rechercher, d'après les dispositions législatives spéciales au canton de Vaud, si la prétention émise par ce canton de soumettre à l'impôt les biens français appartenant à Mlle L... est réellement jus. tifiée. M. l'ambassadeur n'hésite pas à se prononcer pour la négative. Dans l'espèce, la succession est ouverte en France, les biens mobiliers de Mlle L... étaient situés en France, au lieu de son domicile. La défunte ne possédait, d'ailleurs, en Suisse aucune valeur dont la mutation pût donner ouverture à l'impôt. - Suivant M. l'ambassadeur, la distinction qu'on cherche à établir entre les effets du droit civil et ceux du droit fiscal ne parait pas établie; d'après le traité de 1869, la succession d'un Français mort en Saisse s'ouvre en France au lieu du dernier domicile du décédé. Les conséquences de toute nature qui découlent de cette solution d'une question de droit civil doivent être appliquées dans toute leur étendue. Si les héritiers de Mlle L... avaient été domiciliés en France, le gouvernement cantonal eût-il poursuivi ces héritiers devant les tribunaux français en payement d'un droit déjà régulièrement versé en France ? La négative ne semble pas douteuse, et l'on est amené à conclure que le gouvernement suisse est amené à profiter de l'établissement des étrangers sur son territoire pour les contraindre à supporter des taxes qu'il ne pourrait exiger d'eux, s'ils fussent res. tés dans leur patrie. – La constitution de 1874 et les lois en vigueur dans les cantous ont eu soin, d'ailleurs, de dispenser les Suisses étrangers à un canton, du payement de l'impôt sur les biens situés hors de la conscription de ce canton. Pourquoi les Français ne profiteraient-ils pas de cette disposition ? M. l'ambassadeur annonce que, malgré la force de ces considérations, M. L... est très exposé à perire son procès ; il se demande, en conséquence, s'il n'y aurait pas lieu de chercher à régler par des cúnventions diplomatiques, à l'exemple de la Grande-Bretagne et de la Russie, la situation réciproque de nos compatriotes en Suisse et des nationaux suisses en France. En terminant, M. Arago exprime la crainte que les dispositions des art. 3 et 4 de la loi du 23 août 1871 ne soient opposées aux justes réclamations du gouvernement français, et il pense qu'il conviendrait d'abroger cette loi temporaire et d'une application difficile, qui assujettit à l'impôt en France les valeurs mobilières étrangères dépendant de la succession d'étrangers domiciliés dans notre pays. En vous transmettant cette dépêche, monsieur le ministre, M, de Freycinet rappelle que l'interprétation du traité de 1869, défendue |