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(GUIBERT, C. ROSSIGNOL.)

Le demandeur, agent d'affaires de profession, avait accepté de Rossignol, boulanger, de recouvrer, pour compte de ce dernier, certaines créances commerciales. L'opération terminée, une contestation s'étant élevée entre parties, relativement à la rémunération due, Guibert fit citer son débiteur devant la justice de paix en payement, et le juge, se reconnaissant compétent, condamna le défendeur à payer au demandeur la somme de 40 francs pour honoraires et frais à ce jour. 21 décembre 1893. Justice de paix de Boussu. Sentence.

« Sur la compétence :

« Attendu que, pour déterminer la compétence, il ne s'agit point d'examiner la qualité des parties en cause, mais bien si la contestation est l'objet d'une opération commerciale;

« Que le fait d'exercer des poursuites pour obtenir payement des créances dues à un commerçant ne constitue pas une opération commerciale, bien que celui qui s'en est chargé soit justiciable du tribunal de commerce;

<«< Attendu que le demandeur ne pose pas un acte de commerce, en réclamant en justice le montant de ce qui peut lui être dû, sa créance est civile, bien qu'elle ait pu prendre naissance à l'occasion d'un acte commercial; «Par ces motifs, nous nous déclarons compétent;

<< Au fond :

« Attendu que le défendeur a chargé le demandeur (Guibert), de poursuivre en payement douze de ses débiteurs; que ceux-ci ont été, en effet, appelés en conciliation devant nous, mais que des citations en justice n'ont pas été lancées contre eux;

« Attendu que le défendeur prétend qu'un traité à forfait a été conclu avec le demandeur, mais ce traité, s'il a existé, n'aurait été fait que le 4 avril 1891, c'est-à-dire après les avertissements envoyés aux débiteurs, qui ont été convoqués au commencement du mois de mars précédent;

«< Attendu que l'existence de ce forfait est démentie d'ailleurs par cette circonstance, que le défendeur, ce qui est reconnu par celui-ci, a payé au demandeur les frais des douze premiers avertissements, s'élevant à 13 fr. 20 c. et portés à l'avoir du cité;

<«< Attendu que la somme réclamée par le demandeur s'élève à 76 fr. 58 c., le montant des douze premiers avertissements déduits;

« Qu'en présence du peu de travail auquel s'est livré le demandeur et du résultat obtenu, le demandeur n'ayant adressé que

quelques lettres et n'ayant fait qu'une vacation au tribunal de ce siège, il y a lieu de considérer sa demande comme exagérée;

« Qu'en estimant à 40 fr. ce qui peut lui être encore légitimement dû, on lui allouera un salaire raisonnable;

<< Par ces motifs, nous, Léon Flameng, juge de paix du canton de Boussu, nous déclarons compétent, et faisant droit, condamnons le défendeur à payer au demandeur la somme de 40 francs pour honoraires et frais à ce jour..... »

Appel par Rossignol.

25 avril 1894. Jugement du tribunal de première instance de Mons, en degré d'appel.

« Sur l'exception d'incompétence :

« Attendu que l'action a pour objet le payement d'honoraires dus pour le recouvrement de créances;

<«< Que la loi répute actes de commerce toutes obligations des commerçants, à moins qu'il ne soit prouvé qu'elles ont une cause étrangère au commerce;

« Attendu que les termes « toutes obliga<<tions » de l'article 2 de la loi du 25 mars 1872 sont généraux et absolus;

«Que les deux parties en cause sont commerçantes; que cette qualité n'est pas contestée dans le chef de l'appelant, et qu'en ce qui concerne l'intimé, elle lui est conférée par le dit article 2 de la loi de 1872;

«Que le recouvrement de diverses créances commerciales dont l'appelant a chargé l'intimé constitue un acte de commerce; qu'en effet, bien qu'il n'ait pas été inspiré par l'espérance d'un lucre quelconque, il a rapport au commerce de l'appelant; que, s'il est vrai que le mandat n'est qu'un contrat civil, il devient commercial, s'il a pour objet, comme dans l'espèce, de poser des actes de commerce et s'il n'est pas gratuit;

«Par ces motifs, le tribunal, ouï M. Hubert, substitut du procureur du roi, en son avis...; reçoit l'appel, et y faisant droit, met le jugement dont appel à néant; dit pour droit que le premier juge était incompétent pour connaître de l'action... » (25 avril 1894. Présents MM. 1o Le Bon, vice-président; 2o Legrand, juge; 3° Wouters, juge suppléant.)

Pourvoi par Guibert.

Aux termes de l'article 13 de la loi du 25 mars 1876, «si la contestation a pour objet un acte qui n'est pas commercial à l'égard de toutes les parties, la compétence se détermine par la nature de l'engagement du defendeur ».

La question soulevée par le pourvoi, telle

qu'elle résulte des faits de la cause, se présente donc de la manière suivante : l'engagement pris par un commerçant de payer à un agent d'affaires des honoraires à raison du mandat donné par le premier au second, de poursuivre en justice le recouvrement de créances arriérées, a-t-il un caractère commercial ou un caractère civil? Pour pouvoir décider la question, il faut faire abstraction tout d'abord, d'une part, de la qualité de commerçant dans le chef du demandeur en cassation, demandeur originaire, et, d'autre part, de la nature commerciale ou civile des créances que le demandeur était chargé de recouvrer pour compte du défendeur. Le seul point à examiner pour déterminer la compétence du juge saisi de l'affaire, est la nature de l'engagement du défendeur (art. 13 de la loi du 25 mars 1876).

La compétence des tribunaux de commerce, compétence exceptionnelle, est réglée par l'article 12 de la loi susdite d'une façon générale, ils connaissent « des contestations relatives aux actes réputés commerciaux par la loi ». Et les articles 2 et 3 de la loi du 15 décembre 1872 énumèrent certaines opérations réputées par la loi actes de commerce en vertu de leur nature intrinsèque. D'autre part, l'article 2, in fine, assimile à ces opérations « toutes obligations des commerçants, à moins qu'il ne soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce », c'est-àdire les actes de commerce qui sont considérés comme tels à raison de la qualité de leur auteur.

La caractéristique des actes de commerce en général, c'est l'esprit de lucre ou de spéculation. Aussi la loi ne fait-elle que réputer commerciales les opérations des commerçants. Si l'esprit de spéculation, de lucre, fait défaut, le caractère de commercialité ne peut exister, et l'acte sera purement civil quoique posé par un commerçant. (BONTEMPS, Traité de la compétence en matière civile, sur l'article 12, no 3.)

Le jugement attaqué reconnaît que le recouvrement de créances « n'est pas inspiré par l'espérance d'un lucre quelconque ». En effet, il n'est rien de moins commercial, à ce point de vue, que le mandat donné à un tiers de poursuivre une action en justice; et, par suite, l'engagement pris de rétribuer ses services. Il s'agit là d'un contrat purement civil, et on ne lui conçoit pas d'autre but que de faire consacrer en justice un droit qu'on prétend avoir.

Dira-t-on que cette qualification changera lorsque le mandant sera un commerçant?

Pourrait-on soutenir, comme on a essayé de le faire, que la convention qu'il fait avec son cocontractant acquiert un caractère

commercial, parce que l'obligation qui en résulte pour lui « n'aurait pas une cause étrangère à son commerce »? (Art. 2, in fine, de la loi de 1872.)

On peut évidemment dire que si le commerçant a des débiteurs en retard, c'est parce qu'il a conclu avec eux des opérations qui sont commerciales dans son chef. Mais à supposer qu'il y ait un rapport entre l'exercice du commerce et la poursuite des débiteurs, ce n'est pas là un rapport direct de cause à effet. « La cause réelle » du mandat, ici encore, est l'existence d'une créance et la volonté du créancier d'en obtenir le remboursement.

L'exercice du commerce n'est que l'occasion et non la cause de la collation du mandat, comme le fait remarquer à juste titre le jugement du juge de paix de Boussu.

Au surplus, il est de principe constant que le commerçant qui réclame en justice ce qu'on lui doit, n'agit pas dans un esprit de lucre, et dès lors ne pose pas un acte qui rentre dans l'exercice de son commerce. (Voy. cour d'appel de Bruxelles, 3 avril 1891, PASIC., 1891, II, 414; trib.de comm. d'Anvers, 18 décembre 1894, Journal des tribunaux, 1895, p. 104.) Et la collation du mandat à un tiers dans le même but ne procède évidemment pas non plus de cette idée de lucre ou de spéculation, ce qui devrait être s'il avait le commerce pour cause, et ne peut pas davantage procurer par lui-même un « bénéfice » à celui dont ce mandat émane. Il lui permet de faire reconnaître son droit, et pas autre chose. Cela est si vrai qu'on ne conçoit pas la possibilité de faire sa profession et moins encore un négoce de la solution des contestations qu'on peut avoir soi-même avec des tiers.

Le jugement attaqué reconnaît, comme on l'a vu plus haut, que le mandat donné par le défendeur au demandeur « n'a pas été inspiré par l'espérance d'un lucre quelconque » Mais où il se trompe, c'est quand il ajoute que le mandat « ayant simplement rapport au commerce » du défendeur, cela suffit pour qu'il devienne un acte de commerce.

Il y a, à ce sujet, dans la législation commerciale, un cas d'analogie bien marqué. L'article 12, n° 4, de la loi du 25 mars 1876, énonce que les tribunaux de commerce connaissent « de tout ce qui concerne les faillites, conformément à ce qui est prescrit au livre III du code de commerce ». Les auteurs et la jurisprudence examinent la question de savoir ce qu'il faut entendre par ces termes généraux tout ce qui concerne les faillites. >> On décide que « l'on doit considérer comme étant en matière de faillite, toutes les contestations qui sont nées à raison de l'état de

faillite, qui ne se seraient pas produites si la faillite n'avait pas été déclarée. » (BONTEMPS, sur l'article 12, no 177, et les autorités citées.) Mais parmi ces contestations, il peut s'en présenter qui soient de nature civile. Dans ce cas, bien qu'elles concernent évidemment la faillite, elles doivent être tranchées par la juridiction civile. C'est ce que prévoit la loi du 16 avril 1851 sur les faillites. Sont renvoyées au tribunal civil, aux termes des articles 492 et 528, l'homologation des transactions au sujet de contestations civiles et, aux termes des articles 502, 504 et 505, les contestations qui ne sont pas de la compétence du tribunal de commerce. (Voy. BONTEMPS, sur l'article 12, nos 185 et 186; Pandectes belges, vo Failli, faillite, nos 2747 et suiv.; DALLOZ, Suppl. au Répert., vo Faillites et banqueroutes, liquidations judiciaires, nos 1516 et suiv.; cour de cass. 5 juin 1884, PASIC. BELGE, 1884, I, 227, etc., etc.) Il ne suffit donc pas que la contestation ait un rapport avec la faillite ou concerne la faillite. Il faut encore qu'elle rentre, par sa nature, dans la compétence commerciale. De même, dans le cas du pourvoi, contrairement à ce que dit le jugement attaqué, il n'est pas suffisant que le recouvrement des créances « ait rapport au commerce du futur défendeur en cassation. Il faut, de plus, que cet acte pris en luimême soit commercial. Or, l'acte qui ne résulte pas d'un esprit de lucre ou de spéculation est, par cela même, « étranger au

commerce ».

C'est là l'interprétation qui seule doit être admise. L'opinion contraire conduirait à des conséquences absurdes. Il faudrait, dans ce cas, décider que le mandat donné par un commerçant à un avocat de poursuivre le recouvrement de créances, a un caractère commercial parce que l'obligation du mandant a été contractée à l'occasion de son commerce, et il faudrait admettre que l'avocat devrait porter son action en payement de ses honoraires devant le tribunal de commerce.

La question est la même en ce qui concerne le recouvrement d'honoraires d'arbitres ou d'experts amiables désignés par des commerçants et qui sont chargés de trancher des contestations purement commerciales. La doctrine et la jurisprudence décident que l'action des arbitres experts en payement de leurs honoraires doit être portée, non devant le tribunal de commerce, mais devant le tribunal civil, parce que l'engagement pris par les parties de payer aux arbitres experts des honoraires n'est constitutif d'aucune idée de lucre ou de spéculation, et que cet esprit est l'élément caractéristique et essentiel des actes de PASIC., 1895.

- 1re PARTIE.

commerce. (Voy. trib. de comm. d'Anvers, 11 août 1870, Jurisprudence du port d'Anvers, 1870, 1, 287; trib. de Bruxelles, 1er juin 1892, Belgique judiciaire, 1892, p. 989, et cour d'appel de Bruxelles, 16 février 1894, Belgique judiciaire, 1894, p. 405; Pandectes belges, v Arbitrage, arbitre, no 625; Dalloz, Répert., vo Arbitrage, no 1358; Pandectes françaises, vo Arbitrage civil, no 2053; BIOCHE, Journal de procédure civile, art. 1058; cour d'appel de Paris, 18 février 1853, D. P., 1854, 2, 33; cass. franç., 26 décembre 1859, D. P., 1860, 1, 29.)

Entre l'action de l'avocat et de l'expert arbitre et celle de l'agent d'affaires, il n'y a aucune différence, puisque la qualité de commerçant dans le chef du demandeur importe peu et que la seule chose à considérer est la nature de l'engagement du défendeur.

La majeure partie de la jurisprudence ne voit dans le contrat lié entre le commerçant et l'agent d'affaires, conformément à la thèse du pourvoi, qu'un mandat purement civil, quoique salarié (art. 1986 du code civ.), et qui n'est influencé en rien par le caractère commercial qui s'attache aux opérations du mandant. Les tribunaux de commerce, en général, se déclarent d'office incompétents lorsqu'ils ont à statuer au sujet d'une réclamation d'honoraires de la part des agents d'affaires. (Voy. trib. de comm. de Bruxelles, 27 septembre 1877, PASIC. BELGE, 1878, III, 276; trib. de comm. de Bruxelles, 8 avril 1884, Journal des tribunaux, 1884, p. 1143; trib. de comm. de Bruxelles, 12 mai 1885, Journal des officiers ministériels, 1886, première partie, p. 295 et Pandectes belges, yo Compétence commerciale, no 29.)

Dans la pratique de ses affaires, le demandeur en cassation a eu maintes fois à réclamer en justice les honoraires qui lui étaient dus : chaque fois qu'il s'est adressé à la juridiction consulaire, celle-ci s'est d'office déclarée incompétente. D'autre part, la compétence des tribunaux civils a été consacrée par un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, en date du 31 octobre 1888 (PASIC. BELGE, 1890, II, 260; CLOES et BONJEAN, t. XXXVII, p. 10) rendu dans une affaire en cause du demandeur en cassation, arrêt réformant un jugement du tribunal de première instance de Mons du 6 juillet 1887, rapporté dans Cloes et Bonjean avant l'arrêt infirmatif. (Voy. aussi tribunal de Bruxelles, 28 novembre 1883, PASIC. BELGE, 1884, III, 44; comparez justice de paix de Bruxelles, 3 septembre 1885, Journal des officiers ministériels, 1886, 2e partie. p. 25; justice de paix de Gand, 19 novembre 1885, Journal des officiers ministériels, 1886, 2e partie, p. 28; cour d'appel de Paris, 11 avril et 23 juin 1863, D. P., 1865, 5o par

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tie, p. 5 et 6.) De nombreux auteurs sont également favorables à la thèse du pourvoi. (Voy. DALLOZ. Suppl. au Répert., vo Acte de commerce, no 409, et les nombreuses autorités citées.)

Par ces considérations, l'avocat près la cour de cassation soussigné pour le demandeur conclut à ce qu'il plaise à la cour de casser et annuler le jugement.

En concluant au rejet du pourvoi, le procureur général dit en substance :

<< La question du procès trouve sa solution dans l'article 21 de la loi du 25 mars 1876, aux termes duquel « la compétence se dé<< termine par la nature de la demande ». Suivant que son objet sera civil ou commercial, la juridiction se trouvera fixée en conséquence, sans hésitation possible.

« A cet égard, la loi crée une présomption qui sert de guide infaillible au juge, quand elle « répute actes de commerce... toutes << obligations des commerçants, à moins qu'il << ne soit prouvé qu'elles aient une cause « étrangère au commerce ». (Loi du 15 décembre 1872, art. 2.)

<< Semblable disposition n'existe pas dans la législation française.

« La commercialité forme ainsi la règle, et, pour se soustraire à la juridiction consulaire, le demandeur est tenu d'établir que la transaction qui a donné naissance au différend, ne concerne aucunement le négoce du défendeur, qu'elle ne rentre pas dans sa sphère d'activité commerciale.

« C'est donc, à notre avis, mal poser la question que de se demander si, en activant la rentrée de diverses créances, un industriel agit par esprit de lucre; c'est perdre la loi de vue, c'est refuser de la prendre pour guide dans la simplicité de son expression. Deux négociants réglent entre eux les conditions d'un accord réciproque, et voilà que surgit la présomption légale de commercialité qui domine la négociation entière, dans toutes ses conséquences, sans en excepter le caractère de la juridiction, s'il n'y a preuve contraire, si la nature de l'objet du contrat y résiste.

« Cette preuve contraire, le demandeur l'a-t-il subministrée? En aucune manière.

« C'est d'un mandat qu'il s'agit; or, la loi n'a pas déterminé à priori la nature de ce contrat, elle n'a pas dit qu'il est essentiellement civil; mais, par une disposition générique, dès là qu'il est donné par un commerçant à un autre commerçant, d'avance elle lui attribue un caractère commercial, s'il ne justifie du contraire; or, loin que cette preuve ait été seulement tentée, il appert de la nature même du mandat que, dans l'es

pèce, son objet consistait à procurer au défendeur le capital indispensable à l'exercice régulier de son industrie; en toute espèce de négoce, le capital en est l'âme et le nerf vivifiant; où il fait défaut, les affaires languissent et ne tardent pas à conduire le malheureux entrepreneur à une déchéance certaine; comme à l'inverse c'est un principe, bien des fois vérifié, que les maisons les plus prospères sont celles dont le capital circule et se renouvelle le plus rapidement; que d'entreprises ont péri pour avoir immobilisé leurs ressources; d'autre part, voyez la sollicitude de la loi à l'endroit du capital des sociétés commerciales, comme aussi les angoisses de chaque chef de maison, du côté de son crédit et de son renom en banque.

« Des préoccupations aussi légitimes ne pouvaient manquer de tenir en éveil l'attention d'un industriel prévoyant sur l'inéluctable nécessité pour lui de maintenir son encaisse à la hauteur d'échéances imminentes et de besoins nouveaux. C'est le premier devoir de quiconque pratique le commerce.

« Si, considéré en soi, isolément, abstraction faite du milieu qui l'entoure, tout imprégné de commercialité, le fait seul de stimuler Ja torpeur de ses débiteurs n'est pas dominé par la perspective d'un gain, il n'en est pas moins la suite et la conséquence inséparable d'un ensemble d'opérations entreprises en vue d'un bénéfice, auxquelles il se rattache par les liens les plus étroits d'une intime connexité; dès lors, il participe de leur nature et marche avec elles d'une allure qui ne saurait être différente.

«Dans ces conditions, le mandat conféré n'est pas plus étranger au commerce que ne le serait celui de procurer à un fabricant les matières premières indispensables à l'exercice de son industrie.

« Au résumé, pour le négoce de même que pour toute transaction civile, la juridiction est une, elle n'est pas autre pour les négociations qui ont pour objet l'entretien et le renouvellement du fonds roulant, que pour celles qui tendent à alimenter l'industrie des matières à mettre en œuvre. » Conclusions au rejet.

ARRÊT.

LA COUR; Sur l'unique moyen du pourvoi accusant la fausse application et, partant, la violation de l'article 2 de la loi du 15 décembre 1872, comprenant les quatre premiers titres du code de commerce et des articles 12, no 1, et 13 de la loi du 25 mars 1876, contenant le titre premier du livre préliminaire du code de procédure civile; en ce

que le jugement attaqué a décidé que la juridiction civile est incompétente pour connaître de l'action, alors que la compétence se détermine uniquement par la nature de l'engagement du défendeur, et que l'engagement du défendeur en cassation, défendeur originaire, c'est-à-dire son obligation de rémunérer les services du demandeur à raison du mandat de poursuivre en justice une rentrée de créances, est incontestablement un acte civil n'ayant aucune corrélation avec le commerce du défendeur;

Attendu, en fait, que l'action intentée par l'agent d'affaires Guibert, tendait au payement d'honoraires et prenait sa source dans un contrat de mandat aux termes duquel Rossignol, défendeur à cette action, avait chargé Guibert de poursuivre le recouvrement de certaines créances commerciales;

Attendu, en droit, que cette action, bien que dirigée contre un commerçant, est de la compétence des tribunaux civils;

Que, d'après l'article 13 de la loi du 25 mars 1876, la compétence se détermine par la nature de l'engagement du défendeur, lorsque la contestation a pour objet un acte qui n'est pas commercial à l'égard de toutes les parties;

Que l'engagement contracté par le commerçant de payer des honoraires à son mandataire, par cela même qu'il a été contracté sans esprit de lucre, a une cause étrangère à son commerce et échappe à la présomption de commercialité que l'article 2 de la loi du 15 décembre 1872 attache en général aux obligations des commerçants;

Que l'esprit de lucre ou de spéculation est de l'essence des actes de commerce; que, lorsqu'elle en est dépouillée, l'obligation du commerçant, eût-elle quelque corrélation avec son commerce, revêt un caractère purement civil;

Qu'il en est ainsi dans l'espèce; que, s'il y a un rapport entre l'exercice du commerce du défendeur et la poursuite de ses débiteurs, la cause juridique du mandat, source de son obligation, réside exclusivement dans l'existence d'une créance et la volonté du créancier d'en obtenir le remboursement pour éviter une perte et non pour réaliser un bénéfice; Que, partant, le tribunal civil de Mons s'est à tort déclaré incompétent;

Par ces motifs, casse..., renvoie la cause devant le tribunal civil de Tournai.

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1o La signature du jugement correctionnel par tous les juges qui l'ont rendu n'est pas requise pour les jugements sur incident (1). (Code d'inst. crim., art. 196.)

2o La circonstance que la majorité des inculpés ne comprend que la langue française, peut résulter de certaines énonciations du procèsverbal d'audience. (Loi du 3 mai 1889, art. 9.) HEUSSCHEN,

C. LE MINISTRE des finances.)

Pourvoi contre deux arrêts de la cour d'appel de Gand, des 1er et 10 juillet 1895; le dernier rendu par MM. 1° Vanderhaeghen, faisant fonctions de président; 2o Verbeke, et 3o de Cock, conseillers.

ARRÊT.

LA COUR; Quant au pourvoi dirigé contre l'arrêt incidentel du 1er juillet 1895: Attendu que l'arrêt de condamnation a été prononcé le 10 juillet 1895; que le 15 du même mois seulement la déclaration de pourvoi contre cet arrêt incidentel a été faite;

Que ce pourvoi est, en conséquence, tardif; Quant au pourvoi contre l'arrêt définitif: Sur le moyen déduit de la violation du § 1er de l'article 9 de la loi du 3 mai 1889 et de la fausse application du § 2 du même article, en ce que une mention du procèsverbal d'audience ne peut constituer le jugement motivé exigé au § 2 du dit article, jugement qui doit être prononcé publiquement et signé par tous les magistrats qui l'ont rendu;

Que les prévenus comparants demandant, l'un, l'usage de la langue française, l'autre, celui de la langue flamande, pareil jugement était nécessaire, en pays flamand, pour auto riser l'emploi de la langue française ;

Qu'en conséquence, les actes d'appel dirigés contre le demandeur et conçus en langue française sont nuls;

Attendu que le procès-verbal d'audience en date du 22 novembre 1894, tenu en la cause devant le tribunal correctionnel de Bruges est signé du président et du greffier; qu'il constate la publicité de l'audience, et qu'il renferme la déclaration suivante :

« Le prévenu Nahan déclare faire choix de

(1) Cass., 5 octobre 1883 (PASIC., 1883, I, 353).

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